L’arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation le 11 octobre 2018 (n° de pourvoi 17-23211) illustre une nouvelle fois les difficultés soulevées par les adhésions rendues obligatoires à une association de commerçants, au sein d’un centre commercial.
Dans un arrêt Arlatex du 12 juin 2003 (n° de pourvoi 02-10778), la troisième Chambre civile de la Cour de cassation avait considéré que la clause d'un bail commercial faisant obligation au preneur d'adhérer à une association des commerçants et à maintenir son adhésion pendant la durée du bail était entachée d'une nullité absolue.
De sorte que les Cours d'appel de Grenoble (arrêt du 31 octobre 2007) et de Pau (arrêt du 8 octobre 2007), s’appuyant sur la position de la Haute juridiction, avaient pu considérer qu’était entachée d'une nullité absolue comme contraire à la liberté fondamentale de s'associer la clause d'un bail commercial obligeant le preneur à adhérer à l'association des exploitants du centre commercial.
Par suite, ces deux Cours d’appel en avaient déduit que n'ayant pas été volontairement et librement consentie, cette adhésion était privée de cause licite.
De ces décisions, il convenait donc d’en tirer la conséquence suivante : il n'était pas possible de prévoir dans un bail commercial, concernant des locaux situés dans un centre commercial, ni une adhésion obligatoire ni un maintien de cette adhésion tout au long du bail ni de prévoir une sanction en cas de non respect de cette obligation.
Par suite, les preneurs, contraints à adhérer à l’association, étaient en droit, au regard de la nullité de la clause, d'obtenir la restitution des sommes versées.
Néanmoins, dans un arrêt du 14 octobre 2008, la Cour d'appel de Paris avait atténué la portée de cette décision en estimant que le preneur pouvait certes exiger le remboursement des cotisations versées mais qu'il devait néanmoins payer à l'association une somme équivalente aux montants de ces cotisations au titre de l'enrichissement sans cause car il avait tiré bénéfice des actions de publicité, de promotion et d'animation effectuées par l'association…
Sur le même fondement, la Cour d'appel avait également condamné le preneur, tant qu'il restait dans les locaux, à verser chaque année à l'association une indemnité car il continuait à s'enrichir des prestations et services de l'association; le montant étant déterminé en fonction des modalités de calcul prévues dans les statuts de l'association…
Ainsi, la clause faisant obligation d'adhérer à l'association était nulle, mais, le preneur devait néanmoins payer une indemnité, dont le montant équivalait à la cotisation, pour des services qu'il n'avait pas forcément souhaité et/ou dont il n’avait pas bénéficié.
Ce qui revenait donc à réduire à néant la portée de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2003 sur la nullité de l’obligation d’adhésion !
Suite au pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 14 octobre 2008, la première Chambre civile de la Cour de cassation (n° de pourvoi 09-65045) avait, fort justement, dans un arrêt du 20 mai 2010 :
- rejeté le pourvoi de l’association, en rappelant que « la clause d'un bail commercial faisant obligation au preneur d'adhérer à une association de commerçants et à maintenir son adhésion pendant la durée du bail est entachée d'une nullité absolue, »
- cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, qui après avoir constaté la nullité de plein droit de la clause du bail et de la clause des statuts de l'association, avait condamné le preneur « à payer à l'association, pour la période antérieure à son arrêt, une somme équivalente aux cotisations versées et, pour la période postérieure et aussi longtemps qu'il exploitera le commerce, une somme équivalente aux cotisations qu'il aurait dû acquitter comme membre de l'association. »
Une cassation fondée sur l’article 13 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, aux termes duquel toute personne dont les droits et libertés reconnus par la Convention ont été violés a droit à un recours effectif
La Cour de cassation avait en effet relevé qu'en statuant ainsi, « par une décision aboutissant à une reconnaissance théorique, dénuée de toute effectivité, de la liberté du preneur de ne pas adhérer à l'association, la cour d'appel avait violé ce texte.
La Haute juridiction condamna ainsi l'application de la théorie de l'enrichissement sans cause qui avait été faite par la Cour d’appel.
S’appuyant (ou pas) sur la position de la Cour de cassation, en janvier 2014, la société Flunch, locataire de locaux dans un centre commercial appartenant à la société Carrefour, cessa de régler ses cotisations à l’association des commerçants du Grand Vitrolles, à laquelle elle avait adhéré, en exécution des engagements contractuels contenus dans le bail commercial.
Bail commercial dont une clause prévoyait qu’en cas de retrait de l’association, le preneur restait tenu de régler à l’association sa participation financière aux dépenses engagées pour l’animation du centre commercial.
Considérant vraisemblablement que cette stipulation permettait de faire échec à la jurisprudence relatée ci-avant, l’association des commerçants assigna alors la société Flunch en paiement des cotisations.
La société Flunch s’opposa au paiement sur le fondement de la nullité de clause d’adhésion, conformément à l’arrêt Arlatex de 2003, ce que la Cour d’appel de Douai valida dans son arrêt du 8 juin 2017.
La troisième Chambre civile de la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi de l’association, valide dans son arrêt du 11 octobre 2018 le raisonnement de la Cour d’appel aux motifs que :
- d’une part, le preneur ne s’était pas engagé dans le bail à participer aux frais de promotion et d’animation du centre commercial, mais exclusivement à adhérer à l’association des commerçants,
- et d’autre part, la clause prévoyant qu’en dépit du retrait, le preneur devait régler des cotisations, entravait la liberté de ne pas adhérer à l’association ou de s’en retirer, protégée par l’article 11 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Par suite, il était légitime que la société Flunch, ayant renoncé à son adhésion, ne paye plus les cotisations demandées par l’association des commerçants.
Au regard de cette évolution jurisprudentielle, les associations de commerçant existant dans les centres commerciaux se retrouvent ainsi confrontées de façon assez évidente à la question de leur financement.
Et alors que la grande distribution et le retail sont confrontés à des changements de modèle induits par les changements de mode de consommation, certaines enseignes tentant de faire de leurs centres commerciaux des « lieux de vie », qu’il convient d’animer, la question de la pérennité des associations de commerçants est soulevée.
Pas de contribution, soyez le premier