Requalification d'un bail emphytéotique en concession ou marché public

En principe, les contrats portants sur le domaine public (voir sur le blog : Mise en concurrence des titres d'occupation du domaine public : quelle transparence sur les critères ? ; Obligation de mise en concurrence des titres d'occupation du domaine public) ou le domaine privé (voir sur le blog : Mise en concurrence sur le domaine privé : le Conseil d'Etat statue dans l'affaire du Casino de Biarritz) des collectivités territoriales sont soumis à des procédures de mise en concurrence relativement légères.

Pour autant, ces contrats domaniaux ou à dominante immobilière peuvent faire l'objet d'une requalification en commande publique, qu'il s'agisse d'un marché public ou d'une concession, lorsque la collectivité contractante spécifie son besoin, impliquant alors le respect de procédures de mise en concurrence préalables strictes (voir sur le blog : La définition du marché public de travaux en question autour de trois décisions de justice ; La cession d'un actif immobilier public est elle soumise à mise en concurrence ?).

 

Application au bail emphytéotique administratif portant sur un camping municipal

Dans cette affaire, la commune avait consenti un bail emphytéotique administratif à un opérateur privé, bail portant sur le camping municipal.

Le juge considère qu'avoir ôté à l'opérateur la liberté de réaffecter les lieux, en précisant que le bail était consenti pour l'exploitation d'un camping municipal, ne doit pas conduire à requalifier le bail emphytéotique en commande publique pour autant :

"8. Enfin, si le préfet de l'Aveyron fait valoir que la convention ôte à l'emphytéote la libre disposition des biens au motif que son article 5 prohibe leur affectation à des fins étrangères à l'exploitation d'un camping " trois étoiles ", cette circonstance, au demeurant justifiée par la destination des équipements confiés à la SAS Only camp, est sans incidence sur la prétendue méconnaissance des dispositions de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales." (Tribunal administratif de Toulouse, 3 décembre 2024, n° 2305139)

Le juge retient que le contenu du contrat et des délibérations l'approuvant ne permet pas de qualifier l'existence d'un service public, et donc de qualifier l'opération de délégation de service public, impliquant automatiquement l'application du régime des concessions :

"7. Si le camping municipal dont l'exploitation est confiée à la SAS Only camp était au préalable un service public, il n'est toutefois pas qualifié comme tel par la loi. Alors même que, comme cela ressort de l'exposé figurant dans le contrat, il présente, pour la commune de Villefranche-de-Rouergue, le caractère d'une activité d'intérêt général, ni le BEA conclu le 28 juin 2023, ni la délibération l'approuvant, ne comportent de stipulations impartissant des objectifs précis à la SAS Only camp ou permettant à la commune d'exercer un contrôle effectif sur les conditions dans lesquelles la société mènera ses activités, sur l'organisation desquelles cette collectivité n'exerce aucun droit de regard susceptible de caractériser une volonté de confier une mission de service public à la SAS. Ainsi, la commune ne dispose pas du pouvoir d'organiser et de contrôler les modalités selon lesquelles l'emphytéote assure la délivrance des prestations d'hébergement des clients. Dans ces conditions, la circonstance que la SAS Only camp, rémunérée par les bénéfices retirés de l'activité de location, supporte le risque de l'exploitation du camping, n'est pas de nature à emporter qualification d'une délégation de service public au sens des dispositions de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales." (Tribunal administratif de Toulouse, 3 décembre 2024, n° 2305139)

 

Quid des travaux contractualisés au bail emphytéotique ? 

Le juge se livre à une analyse concrète du contrat et des circonstances entourant sa conclusion pour écarter la requalification en commande publique en raison des travaux contractualisés. 

Il indique que le contrat ne comporte aucune prescription technique émanant de la commune susceptible de caractériser un besoin préciser par celle-ci et de la faire regarder comme le maître d'ouvrage direct de l'opération.

Quand bien même les améliorations et travaux réalisés par l'exploitant reviendraient gratuitement à la commune en fin de bail, le juge en déduit que cela ne répond pas à un intérêt économique direct pour elle. 

"5. Il résulte des stipulations de l'article 10.1 du contrat en litige que la SAS Only camp s'est engagée à réaliser des travaux d'amélioration correspondant notamment à des aménagements paysagers, à la rénovation de l'accueil - épicerie, des sanitaires et de l'aire de jeux ainsi qu'au réaménagement de l'espace de restauration, pour un montant de 258 000 euros. La société s'est en outre engagée à installer des hébergements locatifs sur le camping, pour un montant prévisionnel de 600 000 euros, l'ensemble de ces investissements devant être réalisés avant la fin de l'année 2025. Si le contrat prévoit ainsi la réalisation d'aménagement et l'édification d'installations qui deviendront la propriété de la commune à l'expiration du bail, conformément aux principes et dispositions régissant un tel contrat, le BEA contesté ne comporte, s'agissant des aménagements et ouvrages à réaliser, aucune prescription technique émanant de la commune susceptible de caractériser un besoin précisé par celle-ci et de la faire regarder comme le maître de l'ouvrage direct de cette opération. Dès lors, si le contrat en cause satisfait un besoin d'intérêt général d'ordre touristique qui n'est pas étranger à la commune, il ne vise pas à satisfaire un intérêt économique direct de celle-ci." (Tribunal administratif de Toulouse, 3 décembre 2024, n° 2305139)

 

Sécuriser la conclusion du bail emphytéotique

Afin d'éviter un déféré préfectoral contre le contrat, comme dans l'affaire jugée par le Tribunal administratif de Toulouse, il est essentiel pour les collectivités de bien qualifier la nature de l'opération.

La précaution première est de procéder, en amont de la rédaction, à une analyse précise et circonstanciée de la qualification du contrat pour déterminer le cadre applicable et le rédiger en prenant en compte le régime juridique adapté.

Cela est d'autant plus important que les élus et agents qui participent à la conclusion d'un bail emphytéotique ensuite requalifié en commande publique, sans avoir respecté la procédure adéquate, expose leur commune à un risque financier important et s'exposent également personnellement à des poursuites pénales pour favoritisme.

 

Le cabinet est à votre écoute pour vous accompagner :

  • Dans la revue de titres d'occupation et de baux à droits réels tels les baux emphytéotiques ou à construction, et plus généralement dans la définition du montage juridique de votre opération afin de s'assurer de leur conformité et de leur efficacité au regard de l'évolution jurisprudentielle ;
  • Vous accompagner dans la rédaction, l'analyse ou la cession de vos baux emphytéotiques, commerciaux ou contrats de sous-location ;
  • Cartographier et mesurer les risques induits, ainsi que les mesures correctives à apporter s'agissant de contrat déjà conclus ;
  • Vous assister dans la résolution des litiges qui en découlent, le cas échéant.

Goulven Le Ny, avocat au Barreau de Nantes

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