Le droit de garder le silence découle du droit de ne pas s’accuser, de ne pas participer à sa propre incrimination.
Le Conseil constitutionnel a rattaché ce droit à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui prévoit que : « tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».
Dans leur célèbre décision n°2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres, les Sages ont eu l’occasion de déclarer contraire à la Constitution le régime de la garde à vue en ce qu’il ne prévoyait ni l’assistance effective d’un avocat, ni la notification du droit de garder le silence.
Le droit au silence irrigue de plus en plus la procédure pénale :
- audition du suspect placé en garde à vue (article 63-1 du code de procédure pénale) ;
- audition du suspect entendu librement (article 61-1 du code de procédure pénale) ;
- interrogatoire de première comparution (article 116 du code de procédure pénale) ;
- première audition du témoin assisté (article 113-4 du code de procédure pénale) ;
- présentation devant le procureur de la République (article 393 du code de procédure pénale) ;
- audience devant le tribunal de police (article 535 du code de procédure pénale) ;
- audience devant le tribunal correctionnel (article 406 du code de procédure pénale) ;
- audience devant la cour d’assises (article 328 du code de procédure pénale).
Dans leur très récente décision n° 2020-886 QPC du 4 mars 2021, M. Oussama C., le Conseil vient de renforcer un peu plus le droit au silence en l’imposant dès à présent devant le juge des libertés et de la détention (dans le cadre d'une réserve d'interprétation transitoire).
Plus précisément, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat » figurant au deuxième alinéa de l'article 396 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Pour parvenir à cette solution, les Sages rappellent que le juge des libertés et de la détention doit prendre sa décision éventuelle de placement en détention provisoire en « énonçant les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement par référence à l'une des causes limitativement énumérées aux 1 ° à 6 ° de l'article 144 du code de procédure pénale. Ainsi, l'office confié au juge des libertés et de la détention par l'article 396 du même code peut le conduire à porter une appréciation des faits retenus à titre de charges par le procureur de la République dans sa saisine » (considérant 7).
En effet, l’article 144 du code de procédure pénale prévoit que la détention provisoire « constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique » et ce, « au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure ».
Il est intéressant de rapprocher cette décision de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 octobre 2020 (pourvoi n°20-82.961), la Cour ayant sanctionné une cour d’appel pour avoir refusé d’examiner l’existence d’indices graves ou concordants de la participation du mis en examen, comme auteur ou complice, à la commission des infractions qui lui sont reprochées. La chambre criminelle s’est fondée sur l’article 5 1. c de la Convention européenne des droits de l’homme pour décider que « la chambre de l’instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s’assurer que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés ». La chambre criminelle a considéré que la cour d’appel avait méconnu le principe du droit à la liberté et à la sûreté en énonçant « que la discussion des indices graves ou concordants, voire des charges, est étrangère à l’unique objet du contentieux dont la chambre de l’instruction est saisie, en l’espèce celui des mesures de sûreté ».
Cette jurisprudence a d'ailleurs été confirmée par trois arrêts très récents.
Le premier arrêt du 27 janvier 2021 (pourvoi n°20-85.990) concerne la révocation du contrôle judiciaire pour laquelle la Cour a décidé que « dès lors qu’elle a caractérisé l’existence d’un manquement entrant dans les prévisions de l’article 141-2 du code de procédure pénale, et souverainement estimé qu’il devait donner lieu à révocation du contrôle judiciaire, la décision de placement en détention provisoire prise pour sanctionner l’inexécution par la personne mise en examen des obligations du contrôle judiciaire n’a pas à être motivée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences de l’article 144 du même code ».
Dans le deuxième arrêt du 9 février 2021 (pourvoi n°20-86.339), la Cour a décidé que « la chambre de l’instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s’assurer, même d’office, que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés ».
Dans le troisième arrêt du 24 février 2021 (pourvoi n°20-86.537), la Cour a opéré un revirement de jurisprudence sur le droit de se taire fondé sur l'évolution de sa jurisprudence sur l'examen des indices graves ou concordants dans le cadre du contentieux des libertés et de la détention provisoire, en se fondant sur les articles 5 1. c et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que sur l'article préliminaire du code de procédure pénale :
« 12. La Cour de cassation a jusqu’à présent considéré que cette information n’avait pas à être donnée lors d’une audience au cours de laquelle est examinée la détention provisoire de la personne mise en examen, car son audition a pour objet non pas d’apprécier la nature des indices pesant sur elle, mais d’examiner la nécessité d’un placement ou d’un maintien en détention (Crim. 7 août 2019, pourvoi n°19-83.508).
13. Cependant, la Cour de cassation juge désormais qu’il se déduit de l’article 5 1. c de la Convention européenne des droits de l’homme que la chambre de l’instruction, à chacun des stades de la procédure, doit s’assurer, même d’office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, en constatant expressément l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation comme auteur ou complice de la personne mise en examen à la commission des infractions dont le juge d’instruction est saisi (Crim. 27 janvier 2021, pourvoi n°20-85.990, en cours de publication).
14. Il s’ensuit que l’existence de ces indices est dans les débats devant la chambre de l’instruction saisie du contentieux des mesures de sûreté.
15. Dès lors, la personne concernée peut être amenée à faire des déclarations qui, si elles figurent au dossier de la procédure, sont susceptibles d’être prises en considération par les juridictions prononçant un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.
16. Il résulte de ce qui précède que le droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire doit être porté à la connaissance de la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction saisie du contentieux d’une mesure de sûreté.
17. Toutefois, l’évolution de la jurisprudence rappelée aux paragraphes 12 à 14 n’implique pas que la chambre de l’instruction soit amenée à statuer sur le bien-fondé de la mise en examen, qui relève d’un contentieux distinct de celui des mesures de sûreté.
18. Dans ces conditions, le défaut d’information du droit de se taire est sans incidence sur la régularité de la décision rendue en matière de mesure de sûreté.
19. En revanche, à défaut d’une telle information, les déclarations de l’intéressé ne pourront, en application du principe posé au paragraphe 11, être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.»
Dans ces conditions, le débat au fond n’étant pas étranger au contentieux des libertés, il est donc nécessaire de garantir l’effectivité du droit de se taire.
Nul doute que le droit de se taire doit d’ores et déjà être notifié quelle que soit la juridiction amenée à statuer sur le contentieux des libertés et de la détention.
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