(à propos d’un arrêt de la Cour de Cassation : Cass. Civ 3ème 15/12/2016 : pourv. n° 15-20.953 ; Bull. civ.)

Faits :

En 1977, EDF implante un poteau électrique supportant un transformateur en limite de propriété des Epoux B.

En 1991 – dans le cadre de la politique d’utilité publique d’électrisation rurale – la Commune de Robert autorise EDF à remplacer le poteau électrique existant, par un transformateur. Ce dernier est installé – sans autorisation  sur le terrain que les Epoux B. ont, entre temps, vendu à Monsieur E.

En 2007, la procédure de référé engagée par Monsieur E. confirme l’existence d’un transformateur, dans un coffrage en béton, sur sa propriété.

Monsieur E. assigne près le juge civil la Société EDF en enlèvement du transformateur, ainsi qu’au paiement de sommes à titre d’indemnité d’occupation et de dommages-intérêt en réparation de son préjudice.

Et ce, sur le double fondement de :

  • l’article 545 du Code civil : « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité» ;
  • et de la jurisprudence civile : « en cas d’atteinte à la propriété immobilière, qu’elle constitue une voie de fait ou seulement une emprise irrégulière comme l’admet en l’espèce TDF, les juridictions de l’ordre judiciaire sont seules compétentes pour statuer sur la réparation de l’ensemble des préjudices qui en découlent» (Cass. 1ère, 12/06/1990 : pourv. n° 89-11632 ; Bull. civ.).

La Société EDF soulève l’incompétence de la juridiction judiciaire au profit de la juridiction administrative qui, selon elle, est « seule compétente pour connaître des litiges relatifs à l’indemnisation des conséquences dommageables de l’implantation, même sans titre, d’un ouvrage public sur le terrain d’une personne privée ».

1°/   Seule la voie de fait « dure » justifie l’immixtion du juge judiciaire dans le contentieux des décisions administratives

Traditionnellement, la grille de la répartition du contentieux de la réparation des décisions administratives portant atteinte au droit de propriété est la suivante :

La décision administrative génère :

  • une « emprise irrégulière » = juge administratif
  • une « voie de fait » = juge judiciaire

Sachant que le Tribunal des conflits donne de la « voie de fait » la définition suivante (TC, 17/06/2013, M. Bergoend c/ Sté ERDF Annecy Léman : n° C3911 ; pub. au Lebon p. 370) :

« qu’il n’y a voie de fait de la part de l’administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l’administration

soit   a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété,

soit   a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative »

Définition de principe adoptée par la 1ère et la 3ème chambres civiles de la Cour de cassation.

(v. respectiv. : Cass. 13/05/2014 : pourv. n° 12-28.248 ; Cass.11/03/2015 : pourv. n° 13-24.133).

Dans son arrêt du 15 décembre 2016, si la 3ème ch. civ. de la Cour de cassation ne revient pas sur la définition de la « voie de fait », elle juge que seule la voie de fait « dure » – celle qui a « pour effet l’extinction du droit de propriété » – justifie l’immixtion du juge judiciaire dans le contentieux de réparation des décisions administratives.

Dans tous les autres cas de « voie de fait » – décisions régulières ou irrégulières portant atteinte, sans l’éteindre, au droit de propriété –, comme en matière d’« emprise irrégulière » :

« le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d’une décision [portant atteinte à la propriété privée] et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, l’est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative(…) »

En l’espèce, la 3ème ch. civ. de la Cour de cassation s’aligne sur la position du Tribunal des conflits qui, dans sa décision du 17/06/2013, précitée relève :

« que l’implantation, même sans titre, d’un ouvrage public [tel qu’un transformateur électrique] sur le terrain d’une personne privée ne procède pas d’un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l’administration ;

(…) que, dès lors, elle ne saurait être qualifiée de voie de fait [mais d’emprise irrégulière] »

2°/   La théorie du bilan pour justifier la démolition de l’ouvrage public irrégulièrement implanté sur une propriété privée

Le Conseil d’Etat établit le « protocole prétorien » de l’action en démolition d’un ouvrage public irrégulièrement implanté sur une propriété privée (CE, 29/01/2003, Cne de Clans : pourv. n° 345.239 ; Lebon  ; notam. CAA, 15/03/2016, Cne de Sury-le-Comtal : req. n° 12LY01025).

Il incombe au juge administratif de :

 Rechercher si une régularisation appropriée de l’ouvrage public est possible ;

2°   Dans la négative, d’établir un bilan pour justifier de la démolition de l’ouvrage public en tant qu’elle « n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ».

       Pour ce faire, il doit confronter :

  • les inconvénients de la présence de l’ouvrage pour les propriétaires du terrain d’assiette ;
  • et les conséquences de la démolition pour l’intérêt général.

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