A la suite des décisions refusant la protection des photographies dites « packshot », le Tribunal Judiciaire s’est prononcé en détail sur la protection des photographies de plateaux.  Ces photographies sont généralement faites pendant ou hors du tournage à des fins promotionnelles du film. Il y a encore quelques années, ce type de photographies était protégé par le droit d’auteur (CA Paris, 15 novembre 2013 ou encore 8 novembre 2016). La décision du Tribunal Judiciaire de Nanterre du 11 février 2021 s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle beaucoup plus défavorable aux photographes et refuse de reconnaître l’originalité de deux photographies de plateaux.

 

1. Définition pédagogique des critères de protection des photographies de plateaux par le droit d’auteur

 

Le Tribunal adopte une démarche très pédagogique pour expliquer dans quelles conditions une photographie de plateau peut être protégeable par le droit d’auteur :

 

  • La spécificité des photographies de plateaux de tournage est liée au rôle dévolu au photographe de refléter, le plus fidèlement possible, l’esprit du film en train d’être tourné et dirigé par le réalisateur qui en a choisi toutes les composantes dont le décor, la mise en scène, les costumes, l’éclairage ou la composition des plans. Ces photographies, souvent réalisées juste avant ou après les prises du réalisateur, étaient destinées à assurer la promotion du film notamment dans la presse ou les salles de cinéma, avant l’introduction de la technique de numérisation des films, qui a, depuis lors, rendu possible l’extraction d’images fixes de qualité.

 

  • Dès lors, la liberté créatrice du photographe de plateau, qui est certes seul responsable de la qualité artistique et technique des clichés, n’a vocation à s’exprimer qu’à l’intérieur des contraintes d’ores et déjà issues des choix du réalisateur. Néanmoins, il peut être démontré que le photographe s’est délibérément détaché de l’esprit du film, en explicitant les choix libres et créatifs de ce dernier lui permettant d’exprimer sa « touche personnelle », dans le cadre d’une expression artistique destinée à figer un instant, contrairement à l’art cinématographique lié au mouvement.

 

  • Il convient donc de considérer que si le photographe de plateau n’a le choix, ni du lieu, ni du moment où la photo est prise, ni du cadre, ni de la position des personnages, ni des éclairages, réalisés par les auteurs de l’oeuvre cinématographique, il peut revendiquer la qualité d’auteur lorsqu’il opère des choix techniques, esthétiques et artistiques indépendants du réalisateur, tels que ceux relatifs à l’éclairage, le cadrage, la composition de l’image, l’angle de vue, le choix de l’instant et de l’expressivité des personnages, exprimant, dans la représentation qui est en faite, son propre regard, sa sensibilité et son empreinte personnelle.

 

  • En matière de photographie de tournage, la cour d’appel de Paris a jugé que « Dès lors qu’un photographe de plateau opère des choix techniques, esthétiques et artistiques indépendants du réalisateur tels que ceux relatifs à l’éclairage. au cadrage, à la composition de l’image, aux choix de l’instant et de l’expressivité des personnages. il exprime ainsi dans la représentation qu’il se fait de la scène qu’il photographie, son propre regard, sa sensibilité et son cmpremle personnelle (…) originalité se trouve ainsi caractérisée » (CA Paris, 13 avril 2012)

 

 

2. Le refus de protection des photographies en cause

 
Le Tribunal applique ces principes pour les deux photographies de plateaux pour lesquelles un droit d’auteur était revendiqué. L’originalité est refusée pour les deux photographies.

 

Pour la première photographie :

 

« Cependant, si la composition du plan est propre à la photographie, le choix des couleurs mises en exergue, particulièrement emblématiques du film, n’appartient pas au photographe qui n’a fait que positionner l’acteur maquillé de bleu et vêtu de la chemise rouge portée dans la scène finale devant l’un des éléments du décor, même peu visible dans le film.


Et, si le cadrage positionnant le visage de l’acteur précisément au centre du cliché met effectivement en valeur son expression, que renforce encore un contraste lumineux, force est de constater que la physionomie de M. Z bouche entrouverte, sourcils froncés, exprimant la crainte voire une certaine souffrance est identique sur le premier photogramme extrait du film figurant en pièce 3 en défense.
Ainsi, si M. A X, pour construire son cliché, n’a pas simplement reproduit à l’identique une scène du film, il en a simplement recomposé les éléments caractéristiques tels le personnage, sa tenue et décor, pour saisir le personnage imaginé par le réalisateur dans une attitude adoptée par lui dans le film et qui ne résulte pas du choix du photographe.


De ce fait, les choix du réalisateur mis à part, l’empreinte personnelle de M. A X, limitée à la composition du plan et à la mise en valeur technique des intentions du réalisateur, est insuffisamment caractérisée par l’explicitation proposée qui ne fait que refléter l’atmosphère du film et les choix pré existants, et ne peut suffire à caractériser l’originalité revendiquée ».
 

Pour la seconde photographie :

 

« Moins encore que dans la photographie précédente l’auteur s’est détaché des choix effectués par le réalisateur pour composer sa scène dont le décor, le personnage, sa position physique à la fois dans et à l’extérieur du véhicule, son accessoire lui-même au centre du plan filmé relèvent tous des intentions du réalisateur, l’apport personnel de M. X s’étant limité à choisir le cadrage sur le visage surexposé de l’acteur, éliminant de fait l’intérêt des supposées directives destinées à rendre invisibles ses mains, dans une expression traduisant ici les émotions de son personnage d’assassin en fuite exprimées notamment par un froncement de sourcil marqué sur des yeux plissés, et propre à M. Z.


Or, en considérant la destination promotionnelle des clichés de plateau, le simple fait de faire poser les acteurs, et, nécessairement, de les mettre en valeur notamment par l’éclairage, dans le cadre d’une scène dont toutes les composantes ont été décidées par le réalisateur et sont, par ailleurs, présentes à l’écran, ne peut être considéré comme suffisant pour démontrer la créativité du photographe, dont les ressorts se doivent, dans ce cas, d’être particulièrement explicités.


Là encore, l’originalité du cliché, indépendamment de ses qualités esthétiques, n’est pas démontrée par Mme B X de Y au regard des choix essentiellement techniques effectués par le photographe dans le cadre pré-déterminé par le réalisateur. »


Sur la forme, il faut saluer la motivation détaillée du Tribunal qui explique en détail son raisonnement. Sur le fond, cette décision s’inscrit dans une tendance forte à refuser l’originalité aux photographies dès lors qu’il existe un cadre contraignant comme en matière de packshots ou de photographies de plateaux.

 

 

Jérôme TASSI