Au cours de la conférence de l’APRAM du 20 septembre 2022 sur le thème « L’IP se met-elle au vert », mon Confrère Guillaume Henry a fait une excellente présentation sur les rapports entre le greenwashing et le droit des marques. Selon lui, le droit des marques n’est pas le principal droit à mobiliser contre ces pratiques, le droit des pratiques commerciales trompeuses étant plus adapté.

Le greenwashing est un procédé de marketing utilisé par une entité pour se donner une image trompeuse de responsabilité écologique. Depuis quelques années, le nombre de marques « green » ne cesse de croitre.

Une décision de nullité rendue par l’INPI le 11 juillet 2022 permet d’appréhender la difficulté d’invoquer le droit des marques contre le greenwashing.

Dans cette affaire, un déposant avait déposé une marque figurative portant sur son emballage d’œufs pour des « oeufs ; tous ces produits étant issus d’une production biologique ou élaborés à partir de produits qui en sont issus ».

 

L’Etat Français a engagé une action en nullité devant l’INPI contre cette marque.

 

  1. Refus de prise en compte de l’ordre public

 

L’Etat français invoquait une contrariété de cette marque à l’ordre public, ce qui justifierait son annulation.

L’INPI n’a pas fait droit à ce grief. Il rappelle tout d’abord sa définition des notions concernées : « la notion d’ordre public et de bonnes mœurs se réfère aux valeurs et aux normes sociales auxquelles la société adhère et vise ainsi à réguler les comportements susceptibles de contrevenir à l’ensemble des règles imposées tant par la législation que par la morale sociale en garantissant des principes essentiels au bon fonctionnement de la société tels que la préservation de l’Etat et de ses institutions ou encore le respect des lois pénales réprimant les comportements discriminants ainsi que les atteintes et offenses portées aux personnes, à leur dignité, honneur et considération ».

Or, en l’espèce, « le fait qu’un opérateur économique ait déposé une marque qui reprendrait, selon les dires du demandeur, « la marque antérieure (…) dans ces mêmes couleurs (…) », ainsi que « la feuille verte de l’autre célèbre label bio, le label bio européen » ne saurait être qualifié d’atteinte à l’ordre public dans la mesure où il n’est pas démontré qu’un tel manquement serait contraire à la législation ou aux règles morales sociales garantissant les principes essentiels au bon fonctionnement de la société évoqués au point ».

 

La décision mérite une pleine approbation sur ce point.

 

2. Risque de confusion contestable avec la marque

 

L’Etat français invoquait également un risque de confusion avec la marque collective de certification AB (https://data.inpi.fr/marques/FR97697491?q=#FR97697491):

 

Les produits sont identiques et l’INPI reconnait que la marque antérieure « AB » est notoire auprès du public concerné dans le secteur alimentaire, et bénéficie ainsi d’un caractère distinctif accru.

 

L’INPI retient pourtant un risque de confusion malgré les faibles ressemblances entre les signes. Selon lui, « si les faibles ressemblances entre les signes en présence ne se trouvent que partiellement compensées par la prise en compte des éléments distinctifs et dominants, il convient néanmoins de relever que ces circonstances ne sont pas de nature à exclure tout risque d’association, du fait de la reprise intégrale et à l’identique, dans le signe contesté, de la marque antérieure dont le caractère distinctif accru en raison de sa très grande notoriété dans le secteur alimentaire a été constaté  et qui, perceptible et individualisable dans ce signe, y conserve une position distinctive autonome. »

 

Il en conclut à « l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent qui peut croire que les produits visés par la marque antérieure et ceux visés par la marque contestée sont proposés par des entreprises respectant les caractéristiques garanties par la marque antérieure collective de certification. »

La décision est beaucoup plus discutable sur ce point. En effet, le consommateur percevra très certainement le logo « AB » comme indiquant que le produit respecte le cahier des charges de cette marque notoire. Pour autant, il ne percevra pas ce signe comme un élément participant de la garantie d’origine des produits en cause, ce qui est la fonction première de la marque. Le caractère trompeur de la marque aurait éventuellement pu être invoqué par l’Etat français mais cela n’a pas été le cas.

La solution est d’autant plus surprenante que le déposant ne s’est pas défendu et qu’il est tout à fait possible que la production d’œufs respecte le cahier des charges de la marque AB. En l’absence de débat sur ce point, il est impossible de savoir si tel était le cas.

Cette décision montre la difficulté de mobiliser le droit des marques contre les marques « green ». La question posée ici est en réalité une question de droit de la consommation : est-ce que la production d’œufs était en droit ou non de revendiquer le logo AB ?