En matière de propriété intellectuelle, les « trolls » sont connus depuis plus de 20 ans en matière de brevets. Selon la définition rappelée par Monsieur Julien Pénin, “a patent troll is somebody who tries to make a lot of money off a patent that they are not practicing and have no intention of practicing and in most cases never practiced” (https://www.cairn.info/revue-innovations-2010-2-page-35.htm). La pratique des trolls est largement développée dans le contentieux des brevets, surtout aux Etats-Unis mais aussi en Europe depuis quelques années.

 

Le droit des marques n’échappe pas au phénomène des trolls, même si ces derniers sont quantitativement moins nombreux pour le moment. L’EUIPO est confronté depuis quelques années à quelques trademark trolls qui agissent par le biais de nombreuses sociétés sans réelle activité. Le Tribunal de l’Union Européenne a déjà eu l’occasion de sanctionner ces pratiques sur le fondement de la mauvaise foi (TUE, 7 juillet 2016, LUCEO, T-82/14)

 

L’arrêt commenté concerne à nouveau le sujet des trademark trolls. Il est nécessaire de rappeler les faits qui sont ceux habituels dans ce genre de situations :

  • 5 décembre 2011 : dépôt de la marque MONSOON en classes 12, 28 et 36 par la société Copernicus EOOD
  • Revendication d’une priorité allemande du 3 juin 2011
  • Depuis 2012, la demande a fait l’objet de plusieurs transferts successifs, à savoir le 10 juillet 2012 à la société Verus EOOD, le 27 août 2012 à la société Copernicus Trademarks Ltd, le 10 janvier 2014 à la société Ivo-Kermartin GmbH, et le 22 février 2019 en faveur de la société Segimerus Ltd. Les titulaires successifs de cette marque ont toujours été représentés par M. E. Auer.
  • 7 octobre 2017 : enregistrement de la marque
  • Entre 2015 et 2018, la société Karsten Manufacturing Corp dépose des demandes de marques contenant MONSOON pour des articles de golf en classe 28
  • En 2018, la société Segimerus Ltd obtient des ordonnances de référé interdisant l’usage des signes de la société Karsten Manufacturing. Les ordonnances sont ensuite annulées « au motif que la procédure lancée par la requérante était abusive »
  • 11 octobre 2018 : la société Karsten Manufacturing agit en nullité devant l’EUIPO pour dépôt de mauvaise foi de la marque MONSOON

 

Le 7 avril 2020, la division d’annulation de l’EUIPO a accueilli la demande en nullité, au motif que le comportement du demandeur de la marque contestée, devait être qualifié de mauvaise foi.

Le 16 juillet 2021, la chambre de recours de l’EUIPO a confirmé la conclusion de la division d’annulation selon laquelle le demandeur de la marque contestée avait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement en se fondant notamment sur l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt LUCEO du 7 juillet 2016.

 

1. Rappels des règles sur les dépôts de mauvaise foi

 

Le Tribunal rappelle sa jurisprudence sur les dépôts de mauvaise foi et notamment deux points importants :

 

  • § 26 : Afin d’apprécier si un déposant est de mauvaise foi, il convient notamment d’examiner s’il envisage d’utiliser la marque demandée. Dans ce contexte, il convient de rappeler que la fonction essentielle d’une marque consiste à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service concerné, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 45).

 

  • § 27 :  L’intention d’empêcher la commercialisation d’un produit peut, dans certaines circonstances, caractériser la mauvaise foi du demandeur. Tel est notamment le cas lorsqu’il s’avère, ultérieurement, que ce dernier a fait enregistrer un signe en tant que marque de l’Union européenne sans avoir l’intention d’en faire usage, uniquement en vue d’empêcher l’entrée d’un tiers sur le marché (arrêts du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 43 et 44, et du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 30).

 

2.La condamnation de la stratégie des trademark trolls

 

Le Tribunal retient la mauvaise foi du trademark troll sur la base de plusieurs éléments.

 

Premièrement, le Tribunal relève que ma priorité allemande revendiquée « est le dernier maillon d’une chaîne de demandes d’enregistrement de marques nationales, qui ont été déposées, tous les six mois depuis 2006, en alternance en Allemagne et en Autriche, pour le même signe que la marque contestée, pour des produits et des services relevant de classes au moins partiellement identiques à celles revendiquées par cette dernière marque, par le représentant de la requérante ou par une société liée à ce dernier ».  Ces demandes n’ont pas abouti pour défaut de paiement des taxes.

 

Le Tribunal considère, comme l’EUIPO, qu’un tel comportement n’est pas légitime et s’apparente à un abus de droit : « un tel comportement, de la part du demandeur de la marque contestée, visait à lui conférer une position de blocage en monopolisant le signe MONSOON et en contournant la période de six mois prévue à l’article 34, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 (arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, points 51 et 88). En effet, la requérante, en déposant avant l’expiration de ce délai des demandes successives d’enregistrement de marques nationales, lesquelles ont été considérées comme non avenues pour défaut de paiement des taxes de dépôt, a prolongé de manière artificielle la période de six mois durant laquelle elle pouvait prétendre revendiquer la priorité de la marque contestée. » (§ 36)

 

Il en conclut que la marque doit être annulée pour dépôt de mauvaise foi : « la chambre de recours a pu conclure que le comportement adopté par le demandeur de la marque contestée relevait d’une stratégie de dépôt abusive, laquelle n’est pas sans rappeler la figure de l’« abus de droit », qui est caractérisée par les circonstances selon lesquelles, premièrement, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par celle-ci n’est pas atteint et, deuxièmement, il existe une volonté d’obtenir un avantage résultant de ladite réglementation en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (voir arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 52 et jurisprudence citée). Partant, les démarches du représentant de la requérante ne peuvent pas être considérés comme un développement de la marque contestée (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 88). La chambre de recours a donc pu conclure, à juste titre, que de telles démarches, qui sont contraires aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale conformément à la jurisprudence rappelée au point 30 ci-dessus, étaient constitutives de mauvaise foi » (§ 37).

 

Deuxièmement, peu importe l’absence de relations contractuelles entre les parties pour caractériser la mauvaise foi. L’existence de relations commerciales entre les parties peut également fournir des indices aux fins d’apprécier la mauvaise foi mais il s’agit d’un facteur pertinent parmi d’autres à prendre en considération dans le cadre de l’appréciation globale.

 

 

 

La décision du Tribunal confirme que la stratégie des trademark trolls ne devrait pas prospérer en Union Européenne. Cependant, les procédures sont longues et couteuses pour les sociétés qui subissent ces agissements. Espérons qu’une réforme du droit des marques puisse permettre de lutter plus efficacement contre ce phénomène.