Commentaire publié dans la Revue Lexbase Public du 4 juillet 2024

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 7 juin 2024, n° 489404, mentionné aux tables du recueil Lebon  
 

Par une décision du 7 juin 2024, le Conseil d’État a sanctionné une méthode de notation des offres, pour le moins originale, mise en oeuvre par une intercommunalité pour l’attribution d’une concession, méthode fondée sur la moyenne pondérée des rangs de classement des offres au regard de chacun des critères d'attribution. 

Au cas d’espèce, la Communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale avait engagé une procédure de mise en concurrence pour la passation d’une concession de services de mobilité.

La méthode de notation des offres, peu usuelle (nous y reviendrons), avait été portée à la connaissance des candidats, dans le règlement de consultation.

Au terme de la procédure, deux candidats évincés ont saisi le tribunal administratif de Rennes d’une requête en référé précontractuel, en visant spécifiquement l’irrégularité de la méthode de notation.

Le juge des référés ayant fait droit au recours et annulé la procédure de passation en raison de l’irrégularité de la méthode de notation, l’acheteur et l’attributaire du contrat de concession ont saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi.

La haute juridiction administrative commence par annuler l’ordonnance du tribunal administratif de Rennes pour erreur de droit s’agissant de l’appréciation du caractère opérant du moyen, avant de confirmer l’irrégularité de la méthode de notation, le caractère opérant du moyen et l’annulation de la procédure de passation dans son intégralité.

 

1. L’irrégularité de la méthode de notation

Par la décision commentée, le Conseil d’Etat sanctionne une méthode de notation pour le moins originale, dont l’irrégularité conduit à s’interroger sur l’opportunité pour les acheteurs de chercher à innover en la matière.

La méthode de notation mise en œuvre par l’autorité concédante a été très clairement exposée par le rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions sous cet arrêt :

  • « il est prévu dix critères d’appréciation, regroupés en trois catégories en fonction de leur importance : les critères de 1 niveau – les plus importants – donnent lieu à l’attribution d’un coefficient multiplicateur de 3 ; ceux de 2 niveau sont affectés d’un coefficient 2 ; et ceux de 3 niveau d’un coefficient 1 ; 
  • chaque offre se voit attribuer, pour chaque critère, une note correspondant à son classement sur ce critère, la note 1 étant la meilleure. Cette note se voit ensuite appliquer le coefficient multiplicateur correspondant au critère. En cas d’égalité entre plusieurs offres sur un même critère, ces offres obtiennent la même note et l’offre suivante dans le classement se voit attribuer une note tenant compte du nombre d’offres ex aequo (par exemple, si deux offres sont 2 ex aequo, l’offre suivante est classée 4 ) ; 
  • enfin, l’offre retenue est celle dont la note globale, obtenue en additionnant la note attribuée sur chaque critère pondérée par le coefficient du critère, est la plus basse. »

Ceci étant précisé qu’au cas d’espèce cette méthode de notation était expliquée dans le règlement de consultation et qu’elle avait donc été portée à la connaissance des candidats dès le lancement de la procédure de mise en concurrence.

En d’autres termes, l’autorité concédante était particulièrement zélée puisque :

  • tout d’abord, elle a défini une méthode de notation chiffrée, alors que les dispositions relatives aux concessions s’avèrent plus souples que celles relatives aux marchés publics ;
  • ensuite, elle a volontairement choisi une méthode de notation impliquant une pondération des critères, alors que l’article R. 3124-5 du Code de la commande publique impose uniquement une hiérarchisation des critères ;
  • enfin, elle a décidé de communiquer la méthode de notation des offres aux candidats dès le début de la procédure de mise en concurrence, en la faisant figurer dans le règlement de consultation.

Or, il est constant, pour rappel, que l’acheteur n’est jamais tenu d’informer les candidats de la méthode de notation[1].

La démarche n’a malheureusement pas été payante et s’est retournée contre l’autorité concédante.

En effet, si l’acheteur est libre de définir la méthode de notation, cette liberté connait deux limites. La méthode de notation est irrégulière lorsque :

  • d’une part, les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d'attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ;
  • d’autre part, les modalités d'évaluation des critères d'attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.

Cette règle de principe s’applique autant en matière de concession[2], que de marchés publics[3], puisqu’elle tant à garantir le respect du principe d’égalité de traitement des candidats.

C’est sur ce fondement que le Conseil d’Etat constate la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence au cas d’espèce, puisqu’il considère que « en faisant ainsi le choix, alors même qu'elle n'était en rien tenue de traduire en notes chiffrées l'appréciation qu'elle portait sur la valeur respective des offres, d'un mode d'attribution de la concession litigieuse fondé sur la moyenne pondérée des rangs de classement des offres au regard de chacun des critères d'attribution, alors que le classement ne reflète que très imparfaitement les écarts de valeur entre les offres, l'autorité concédante a retenu une méthode d'évaluation susceptible de conduire à ce que, au regard de l'ensemble des critères, l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. »

Concrètement, la méthode de notation mise en œuvre ne permettait donc pas de refléter les écarts de valeur réels entre les offres.

Ce faisant, le Conseil d’Etat vient opportunément rappeler que s’il a pu valider des méthodes de notation originales en matière de concession, notamment sous forme de flèches de couleur[4], toutes les fantaisies ne sauraient être admises, et qu’il est certainement préférable de s’en tenir aux méthodes de notation usuelles, dont l’efficacité et la régularité sont éprouvées.

 

2. Le caractère opérant du moyen

Le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du Tribunal administratif de Rennes, non pas en raison d’une mauvaise application de la règle de droit exposée au I. ci-dessus, mais au motif que le juge des référés avait mal apprécié le caractère opérant du moyen.

Pour mémoire, il résulte de la décision SMIRGEOMES que le « juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. »[5]

Le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes avait considéré que l’irrégularité de la méthode de notation « paraît ainsi de nature à porter atteinte au principe d’égalité entre les candidats, lesquels ont nécessairement été lésés par sa mise en œuvre »[6]. Ce faisant, le juge des référés avait procédé selon une présomption de lésion, sans s’attacher à en vérifier la réalité.

Le Conseil d’Etat annule ce raisonnement pour erreur de droit au motif qu’en procédant de la sorte, le juge des référés n’a pas recherché « si, eu égard aux appréciations portées par cette autorité sur leurs offres, ces sociétés n'étaient pas, en toute hypothèse, insusceptibles de se voir attribuer le contrat litigieux. »

Puis, réglant l’affaire en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, il énonce que « dès lors que les offres de ces deux sociétés étaient mieux classées, sur l'un au moins des critères d'appréciation, que celle de la société RATP Développement retenue par l'autorité concédante, l'utilisation de cette méthode d'évaluation est susceptible de les avoir lésées. »

Les conclusions du rapporteur public apportent d’utiles précisions sur ce point, puisqu’il y indique notamment que  le classement moyen de l’attributaire est « effectivement  meilleur que celui de l’offre arrivée deuxième, mais on ne peut exclure que la valeur  intrinsèque de cette dernière, sur le critère de premier niveau où elle est classée première, était  en réalité très largement supérieure aux autres, y compris à l’offre de la RATP, de sorte  qu’elle aurait pu compenser son retard sur les autres critères et l’emporter au total. »

Dès lors, le moyen est opérant et le Conseil d’Etat annule la procédure dans son intégralité.

Sur ce dernier point, l’excès de zèle de l’autorité concédante joue, une fois de plus, en sa défaveur.

En effet, l’irrégularité d’une méthode de notation qui n’aurait pas été portée à la connaissance des candidats aurait pu justifier une annulation partielle de la procédure et qu’il soit enjoint à l’acheteur de procéder à une nouvelle évaluation des offres, à l’aune d’une méthode de notation régulière.

Or, dès l’instant où la méthode de notation a été inscrite, pour ne pas dire figée, dans le règlement de consultation, l’acheteur est tenu de la respecter, puisque le règlement de consultation est obligatoire en tous ses points[7].

Partant, seule l’engagement d’une nouvelle procédure de mise en concurrence, sur la base d’un règlement de consultation ne faisant pas mention de la méthode de notation irrégulière est de nature à garantir le respect des règles de publicité et de mise en concurrence.


[1] CE, 31 mars 2020, Collectivité territoriale de Corse, req. n° 334279 ; CE, 2 août 2011, Syndicat mixte de la vallée de l’Orge Aval, req. n° 348711).

[2] CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362.

[3] CE, 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, req. n° 459678.

[4] CE, 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 459678.

[5] CE, 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, req. n° 305420.

[6] TA Rennes, 31 oct. 2023, req. n° 2305258.

[7] CE, 23 novembre 2005, Société Axiologic, req. n° 267494.