Réf : TA Paris ord., 25 octobre 2024, Société Pulita Vendôme, req. n° 2426918
Le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a rappelé, à l’occasion d’une ordonnance du 25 octobre 2024, que le délai de validité des offres ne peut être prolongé qu’à condition d’obtenir l’accord de l’intégralité des soumissionnaires.
Au cas d’espèce, le Théâtre de l’Odéon, établissement public à caractère industriel et commercial, et donc pouvoir adjudicateur, avait lancé en mars 2024 une procédure de publicité et de mise en concurrence pour l’attribution d’un marché public de prestations de nettoyage de ses locaux.
Le délai de validité des offres prévu par le règlement de consultation arrivant à expiration, le Théâtre de l’Odéon a demandé aux sept soumissionnaires en lice d’accepter une prolongation du délai de validité des offres.
La société Pulita Vendôme, titulaire sortante, ayant refusé cette demande, l’acheteur lui a indiqué que la procédure se poursuivrait alors sans elle.
Saisi d’un référé précontractuel de la part de cet entreprise, le Tribunal administratif de Paris annule la décision du Théâtre de l’Odéon de poursuivre la procédure de mise en concurrence, car le refus de la société Pulita Vendôme de prolonger le délai de validité des offres y faisait nécessairement obstacle (I.).
Cette décision, conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat, conduit à s’interroger sur les mesures envisageables par les pouvoir adjudicateurs afin de prévenir de telles situations, où un seul soumissionnaire est en mesure de faire obstacle à la poursuite d’une procédure de mise en concurrence (II.).
I. Le délai de validité des offres ne peut être prolongé qu’avec l’accord de tous les soumissionnaires
L’ordonnance commentée est l’occasion pour le Tribunal administratif de Paris de rappeler la règle de principe applicable en matière de prolongation du délai de validité des offres, posée de longue date (CE, 13 décembre 1996, Syndicat intercommunal pour la revalorisation des déchets du secteur de Cannes-Grasse, req. n° 169706), et récemment formulée comme suit par le Conseil d’Etat dans une décision du 10 avril 2015 (Société Héliocéan, req. n° 386912) :
« Si la personne publique doit, sous peine d'irrégularité de la procédure de passation, choisir l'attributaire d'un marché dans le délai de validité des offres, elle peut toujours solliciter de l'ensemble des candidats une prorogation ou un renouvellement de ce délai. Toutefois, dans le cas où le règlement de la consultation fixe une date limite de validité des offres, celle-ci ne peut être prorogée qu'avec l'accord de l'ensemble des candidats admis à présenter une offre. »
L’obligation d’obtenir l’accord de chaque soumissionnaire pour prolonger le délai de validité des offres présente un double enjeu : il s’agit non seulement d’obtenir son accord pour prolonger la validité de sa propre offre, mais également qu’il consente à ce que la validité des offres des autres soumissionnaires soit prolongée.
En effet, l’accord du soumissionnaire porte sur la prolongation du délai de validité de toutes les offres, et non uniquement de son offre.
Ceci s’explique, à notre sens, par le fait qu’il s’agit autant de demander au soumissionnaire de réitérer les engagements formulés dans son offre que, surtout, de consentir à une modification d’une des règles de mise en concurrence initiales, à savoir le délai de validité des offres qui est mentionné dans le règlement de consultation.
L’obtention de l’accord unanime des soumissionnaires est donc dictée par le nécessaire respect des principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
Au cas d’espèce, on comprend que le Théâtre de l’Odéon a considéré que le refus de la société Pulita Vendôme affectait uniquement la validité de sa propre offre, raison pour laquelle l’acheteur en a déduit qu’il pouvait poursuivre la procédure avec les autres soumissionnaires.
Le refus de la société requérante impactait toutefois également la validité des autres offres, ce qui ne laissait pas d’autre choix à l’acheteur que de déclarer sans suite la procédure, faute d’offre valable encore en lice :
« Il résulte du principe énoncé au point 4 que dans le cas où le règlement de la consultation fixe une date limite de validité des offres, celle-ci ne peut être prorogée qu'avec l'accord de l'ensemble des candidats admis à présenter une offre. Il suit de là que dès lors que la société Pulita Vendôme a refusé la prolongation du délai de validité de son offre par son courrier électronique du 30 septembre 2024, le Théâtre national de l'Odéon ne pouvait décider de poursuivre la procédure de consultation en l'excluant de cette procédure, malgré la règle en ce sens énoncée à l'article 7.1 du règlement de la consultation qui apparaît contraire au principe de publicité et de mise en concurrence. »
On relèvera que les motifs justifiant le retard de l’acheteur dans le choix de l’attributaire est indifférent pour l’application de la règle, quand bien même ce motif parait légitime, en ce qu’il n’est pas imputable au pouvoir adjudicateur (au cas d’espèce, les nominations au sein conseil d’administration du Théâtre de l’Odéon, organe décisionnaire pour l’attribution du marché, ont été retardées par les péripéties politiques des derniers mois).
De même, un acheteur ne peut pas valablement prévoir, dans le règlement de consultation, qu’un soumissionnaire ne pourra pas s’opposer à la poursuite de la procédure sans lui, dans l’hypothèse où il refuse de donner son accord pour la prolongation du délai de validité des offres.
Au cas d’espèce, l’article 7.1. du règlement de consultation est considéré par le juge des référés comme « contraire au principe de publicité et de mise en concurrence », raison pour laquelle son application est écartée.
Si ce cadre juridique place donc l’acheteur en position de dépendance vis-à-vis des soumissionnaires lorsque le délai de validité des offres vient à expiration, des aménagements sont toutefois envisageables.
II. Les dérogations et aménagements à la règle de principe
A. Le délai de validité des offres vient à expiration en raison d’un recours en référé précontractuel
Premièrement, dans la décision précitée du 10 avril 2015 (Société Héliocéan, req. n° 386912), le Conseil d’Etat a autorisé un acheteur à poursuivre la procédure de mise en concurrence avec les seuls soumissionnaires qui l’acceptent, lorsqu’un référé précontractuel est à l’origine de l’expiration du délai de validité des offres :
« que lorsque ce délai est arrivé ou arrive à expiration avant l’examen des offres en raison, comme c’est le cas en l’espèce, d’une procédure devant le juge du référé précontractuel, la personne publique peut poursuivre la procédure de passation du marché avec les candidats qui acceptent la prorogation ou le renouvellement du délai de validité de leur offre »
A lire les conclusions du rapporteur public, Bertrand Dacosta, cette solution se justifie par la nécessité de faire obstacle à des manœuvres dilatoires de la part d’un candidat requérant qui par l’intermédiaire du référé précontractuel a contribué à l’expiration du délai de validité des offres et, en cas de rejet de son recours, pourrait faire obstacle à la poursuite de la procédure en refusant de donner son accord pour la prolongation du délai de validité des offres.
A notre sens, la solution retenue par le Conseil d’Etat tend aussi à confirmer la dualité que revêt l’accord donné par le soumissionnaire lorsque le délai de validité des offres arrive à expiration :
- d’une part, le soumissionnaire doit accepter que le délai de validité des offres des autres soumissionnaires soit prolongé. Lorsque l’expiration du délai résulte d’un référé précontractuel, cet aspect est donc neutralisé : la procédure peut se poursuivre sans l’accord des autres soumissionnaires.
- d’autre part, chaque soumissionnaire doit consentir à prolonger la validité de son offre, confirmant ainsi les engagements formulés dans celle-ci. Même en présence d’un référé précontractuel, l’accord des soumissionnaires sur ce point est toujours exigé. C’est ce qui explique qu’en cas de refus du soumissionnaire, l’acheteur ne peut pas le contraindre à poursuivre la procédure de mise en concurrence.
On notera que le juge judiciaire s’est, depuis, approprié la solution de principe énoncée par le Conseil d’Etat (Tribunal Judiciaire de Paris, 10 mai 2021, n° 21/52867).
B. Prévoir, ab initio, l’accord des candidats pour prolonger la validité des offres des autres soumissionnaires
Indépendamment de la dérogation identifiée par le Conseil d’Etat, les acheteurs pourraient eux-mêmes prévoir dans les documents de la consultation, un dispositif leur permettant de s’assurer que le refus d’un soumissionnaire ne fera pas obstacle à la poursuite de la procédure.
Car, il faut bien admettre que si la règle de principe peut s’appuyer sur des motifs juridiques entendables, elle n’est toutefois pas de nature à préserver l’efficacité de la commande publique et le bon usage des deniers publics, puisque le bon vouloir d’un seul opérateur peut annihiler la procédure et obliger l’acheteur à la reprendre intégralement.
Ceci sans compter qu’un soumissionnaire qui s’oppose à la prolongation du délai de validité des offres peut être motivé par un intérêt particulier et immédiat (l’ordonnance commentée souligne que la requérante est titulaire sortante et qu’elle a conclu plusieurs avenants de prolongation de son marché en raison du retard dans l’attribution du nouveau marché. La reprise la procédure dans son intégralité devrait donc permettre à la requérante d’obtenir une nouvelle prolongation de son marché actuel).
Certes, une disposition telle que celle prévue, en l’espèce, au 7.1. du règlement de consultation ne paraît pas envisageable, car elle se heurte frontalement à la règle de principe, en privant chaque soumissionnaire de son droit à consentir à la prolongation du délai de validité de toutes les offres.
Cependant, nous avons pu rencontrer des règlements de consultation dans lesquels l’acheteur prévoit que chaque soumissionnaire consent par anticipation, dès l’instant où il remet son offre, à ce que le délai de validité des offres soit prolongé si l’acheteur en fait la demande.
Ceci permet donc à l’acheteur d’obtenir, par avance, l’accord de chaque soumissionnaire sur la prolongation du délai de validité des autres offres, tout en préservant la liberté de choix de chacun quant à la prolongation de sa propre offre : un soumissionnaire pourra refuser de prolonger son offre et, dans ce cas, la procédure se poursuivra donc sans lui.
Reste que la validité d’un accord donné par anticipation pourrait être débattue, dans la mesure où les soumissionnaires ignorent, au moment où ils consentent, les causes de l’expiration du délai des offres et, plus globalement, l’état de la procédure de mise en concurrence lorsque la question de la prolongation du délai se posera.
Pas de contribution, soyez le premier