Commentaire publié dans la revue Lexbase Public du 1er février 2023

TA Nantes, 3 janvier 2023, Association de protection de la plage de Boisvinet et son environnement, req. n° 1808058

 

Par un jugement du 3 janvier 2023, le Tribunal administratif de Nantes retient une lecture discutable des dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques imposant de recourir à une procédure de sélection et/ou une publicité suffisante préalablement à la délivrance d’une autorisation d’occupation du domaine public et considère que la méconnaissance de ces obligations, s’agissant d’une autorisation unilatérale, constituent un vice de procédure danthonysable.

A l’heure où les regards des juristes intéressés par la domanialité publique sont braqués sur les décisions Paris Tennis[1] et Commune de Biarritz[2] récemment rendues par le Conseil d’Etat au sujet de conventions d’occupation domaniale, un jugement du 3 janvier 2023 rendu par le Tribunal administratif de Nantes vient nous rappeler que l’exigence de recourir à une mesure de publicité et/ou une procédure de sélection préalables concerne également des autorisations d’occupation unilatérales, lesquelles relèvent d’un régime contentieux différent de leurs homologues contractuelles.

En l’espèce, une association locale a saisi le Tribunal administratif de Nantes d’un recours en excès de pouvoir à l’encontre de deux arrêtés du préfet de la Vendée autorisant l’occupation de dépendances du domaine public maritime situées sur la plage de Boisvinet (85), pour y exercer une activité de bar-restauration.

Outre l’annulation des titres d’occupation, l’association requérante demandait également qu’il soit enjoint au préfet de rembourser les redevances d’occupation versées par les occupants, de leur réclamer le remboursement des bénéfices générés par l’occupation sans titre du domaine public et de dresser à leur encontre une contravention de grande voirie.

Le principal moyen invoqué par la requérante tenait à la méconnaissance des articles L. 2122-1-1 et L. 2122-1-4 du Code général de la propriété des personnes publiques (ci-après le « CG3P »), créés par l’Ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques.

Par le jugement commenté, le Tribunal administratif de Nantes annule les deux arrêtés portant autorisation d’occupation du domaine public en raison de la méconnaissance, pour l’un, des dispositions de l’article L. 2122-1-4 du CG3P et, pour l’autre, de celles de l’article L. 2122-1-1 du même code ; mais il rejette, en revanche, les demandes d’injonction.

Cette décision retient notre attention car le Tribunal administratif de Nantes y fait application d’une lecture de l’article L. 2122-1-4 du CG3P inédite, à notre connaissance, et dont les conséquences sont considérables (1.), avant de considérer que la méconnaissance de l’obligation de recourir à une publicité suffisante et une procédure de sélection préalablement à la délivrance du titre constituent des vices de procédure devant être appréciés à l’aune de la grille de lecture définie par la jurisprudence Danthony[3] (2.).

 

1. L’article L. 2122-1-4 du CG3P devrait être lu de façon autonome par rapports aux articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1-3 du même code

1.1. Par le jugement commenté, le Tribunal administratif de Nantes annule le premier des deux arrêtés portant autorisation d’occupation du domaine public en raison de la méconnaissance des exigences de l’article L. 2122-1-4 du CG3P qui, pour rappel, impose au gestionnaire du domaine public recevant une « manifestation d'intérêt spontanée » en vue d’occuper une dépendance domaniale de procéder à une mesure de « publicité suffisante » afin de s’assurer « de l'absence de toute autre manifestation d'intérêt concurrente ».

Ce n’est, en principe, qu’en l’absence de toute autre intérêt concurrent, constatée au terme de la mesure de publicité, que le titre portant autorisation d’occuper le domaine public peut ensuite être délivré au pétitionnaire spontané de gré à gré, conformément au 3° de l’article L. 2122-1-3 du CG3P.

En défense, le préfet de la Vendée invoquait l’absence de toute irrégularité, quand bien même il n’aurait pas procédé à une telle mesure de publicité, puisqu’en tout état de cause il pouvait déroger à l’obligation de recourir à une procédure de sélection préalable en application des articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1-3 du CG3P.

Pour écarter cet argument le jugement retient que « Pour s’exonérer de cette obligation, le préfet ne peut utilement se prévaloir des dispositions des articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1-3, qui n’ont pour objet et pour portée que de déroger à l’article L. 2122-1- 1 mais non à l’article L. 2122-1-4 de ce même code, qui est spécifique au cas de la manifestation d’intérêt spontanée. »

 

1.2. Une telle lecture de de l’article L. 2122-1-4 du CG3P, et de son articulation avec les dispositions qui le précèdent, interpelle car elle laisserait donc entendre qu’il serait toujours nécessaire de recourir un appel à manifestation d’intérêt dès lors qu’un occupant a spontanément demandé la délivrance d’un titre d’occupation, même dans l’hypothèse où il serait évident que ledit titre pourra être délivré de gré à gré en application de l’un des cas dérogatoires prévus aux articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1- 3 du CG3P.

La doctrine avait pourtant interprété l’absence de précisions du CG3P sur ce point comme devant impliquer une application proportionnée et pragmatique de l’article L. 2122-1-4 du CG3P, impliquant que la publication d’un appel à manifestation d’intérêt en cas de demande spontanée ne se justifierait que dans l’hypothèse où il ne pourrait pas être dérogé a l’obligation de recourir à une procédure de sélection préalable en application de l’une des hypothèses prévues aux articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1- 3 du CG3P[4]. Une ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Versailles semblait également aller en ce sens, notamment lorsque l’urgence est invoquée pour justifier la délivrance du titre de gré à gré[5].

Or, l’interprétation retenue par le jugement commenté implique, au contraire, qu’il serait nécessaire de procéder à un appel à manifestation d’intérêt lorsque, par exemple, le gérant d’un restaurant ou d’un café sollicite l’autorisation d’installer une terrasse sur le trottoir situé devant son établissement, alors qu’il est pourtant évident que ce titre pourra lui être délivré de gré à gré en application du 4°de l’article L. 2122-1-3 du CG3P[6].

La solution retenue par le jugement commenté méritera donc d’être confirmée, déjà sur ce point.

 

2. Un vice de procédure « danthonysable »

2.1. Par ailleurs, si le jugement commenté annule les deux arrêtés attaqués en raison de la méconnaissance des dispositions, respectivement, des articles L. 2122-1-4 et L. 2122-1-1 du CG3P, c’est après avoir considéré qu’il s’agit de vices de procédure et en avoir analysé les conséquences à l’aune de la grille d’analyse définie par la jurisprudence Danthony[7].

Au cas d’espèce, le Tribunal administratif de Nantes, après avoir considéré que ces arrêtés avaient été édictés irrégulièrement, faute d’avoir été précédés d’une publicité suffisante préalable, pour l’un, et d’une procédure de sélection préalable, pour l’autre, précise qu’« Il résulte de l’instruction que cette illégalité, qui a privé les tiers susceptibles d’être intéressés d’une garantie et est de nature à avoir exercé une influence sur le sens de la décision, justifie l’annulation de cet arrêté. considère que l’absence d’appels à manifestation d’intérêt à priver les tiers susceptibles d’être un intéressé d’une garantie et qu’elle est de nature à avoir exercé une influence sur le sens de la décision ».

Il s’agit, à notre connaissance, de la première décision faisant application de cette grille d’analyse à une autorisation d’occupation du domaine public en raison de la méconnaissance des obligations de publicité et/ou de recourir à une procédure de sélection préalable prévues au CG3P.

On notera, au passage, s’agissant de la première condition posée pour l’application de la jurisprudence Danthony, que là où le considérant de principe vise le cas où le vice de procédure « a privé les intéressés d’une garantie », le Tribunal administratif de Nantes vise, lui, les tiers « susceptible d’être intéressés » par l’autorisation attaquée.

Ce faisant, l’appréciation de la privation d’une garantie ne s’effectue pas tant au niveau du bénéficiaire de l’autorisation que des occupants potentiels, tiers à l’autorisation, qui auraient eu vocation à devenir titulaire de celle-ci[8].

S’ajoute à cela une autre particularité d’espèce, tenant à ce que la requérante elle-même n’était pas un occupant potentiel du domaine, mais une association s’opposant à toute occupation de la plage. Ce ne sont donc pas la requérante ni le titulaire de l’autorisation qui auraient été privés de garantie, mais des tiers à l’instance.

 

2.2. S’il devait être confirmé que la méconnaissance de l’obligation de publicité prévue par l’article L. 2122-1-4 du CG3P doit effectivement être analysée à travers le prisme de la jurisprudence Danthony, il nous semble que les deux conditions permettant d’éviter l’annulation de l’autorisation attaquée seraient rarement remplies, sauf à pouvoir démontrer que la dépendance en cause ne pouvait être attribuée à aucun autre occupant que le titulaire de l’autorisation, de sorte qu’il n’existerait aucun tiers « susceptible d’être intéressé » qui aurait été privé d’une garantie et que le sens de la décision aurait été le même.

Une telle situation pourrait être caractérisée, selon nous, en cas de dérogation possible à la procédure de sélection préalable au titre des articles L. 2122-1-2 ou L. 2122-1-3 du CG3P, puisque dans cette hypothèse le titre aurait été délivré, en tout état de cause, au même titulaire, qu’il y ait eu une publicité, ou non, au titre de l’article L. 2122-1-4 du CG3P.

Pour cette raison, la solution retenue par le jugement attaqué ne nous parait pas optimale en ce qu’elle oblige les gestionnaires domaniaux à recourir à des mesures de publicité superflues et inutiles, car elle implique de devoir sonder l’intérêt d’autres occupants, même en sachant qu’in fine qu’il n’y aura pas de procédure de sélection puisque l’un des cas dérogatoires est caractérisé.

A titre d’exemple, et pour en revenir aux terrasses de café/restaurant, il serait peu cohérent et efficace de devoir susciter l’intérêt des concurrents lorsque le gérant d’un café/restaurant sollicite spontanément le droit d’occuper le trottoir situé devant son établissement, pour ensuite indiquer auxdits concurrents que le titre ne peut être délivré qu’au demandeur, de gré-à-gré, sur le fondement du 4° de l’article L. 2122-1-3 du CG3P[9].

En définitive, cette réflexion nous conforte dans l’idée que l’application de l’article L. 2122-1-4 du CG3P ne peut pas être totalement décorrélée de celle des articles L. 2122-1-2 et L. 2122-1-3 du même Code.

 


[1] CE, 2 décembre 2022, Société Paris Tennis, req. n° 455033.

[2] CE, 2 décembre 2022, M. D. c. Commune de Biarritz, req. n° 460100.

[3] CE, 23 décembre 2011, Danthony, req. n° 335033.

[4] J-Cl. Propriétés publiques, Fasc. 77-50 Modalités d’attribution des autorisations d’occupation et d’utilisation des biens publics, §.32, 18 mars 2018, LexisNexis.

[5] TA Versailles, 31 août 2018, Association de défense des cirques de famille, req. n° 1805933.

[6] G. Clamour, Contrats publics spéciaux in Le Moniteur, IV. 140.2.1., Octobre 2022 ; J-Cl. Propriétés publiques, Fasc. 77-50 Modalités d’attribution des autorisations d’occupation et d’utilisation des biens publics, §.25, 18 mars 2018, LexisNexis ; Code général de la propriété des personnes publiques 2021, commentaire sous l’article L. 2122-2, p 290, Dalloz ; N. Foulquier, Droit administratif des biens, p. 361, §. 936, 4ème édition, LexisNexis.

[7] Il nous semble que la mention de l’article L. 2122-1-4 du CG3P au considérant 10 du jugement résulte d’une erreur de plume, puisque le second arrêté est annulé au titre de l’article L. 2122-1-1 du CG3P.

[8] Une approche similaire à celle retenue par le jugement commenté a pu être identifiée dans un jugement, annulé en appel, rendu dans un tout autre domaine : TA Bastia, 22 avril 2014, Mme. D., req. n° 1200920.

[9] Sauf à considérer que même les terrasses implantées sur le trottoir devant un café/restaurant devraient faire l’objet d’une procédure de sélection si un concurrent si manifestait ; situation qui susciterait certainement l’ire des professionnels du secteur et n’a certainement pas été l’intention du législateur.