Commentaire pour la revue Lexbase Hebdo édition publique n°683 du 27 octobre 2022, en pièce jointe.

CE, 10 octobre 2022, Communauté d’agglomération du grand Angoulême, req. n° 455188, mentionné aux tables du recueil Lebon

 

Par un arrêt du 10 octobre 2022, mentionné aux Tables, le Conseil d’Etat fait application à l’égard du mandataire solidaire d’un groupement momentané d’entreprises de la règle suivant laquelle la réception des travaux, si elle met fin aux rapports contractuels s’agissant de la réalisation de l’ouvrage, n’a pas d’influence sur les obligations financières des parties. 

En l’espèce, le mandataire solidaire d’un groupement d’entreprises titulaire d’un marché de maîtrise d’œuvre a formé un recours contre un titre exécutoire que lui a adressé le maître d’ouvrage en sa qualité de mandataire solidaire, postérieurement à la réception de l’ouvrage.

Si le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête, la Cour administrative d’appel de Bordeaux[1] a retenu une lecture différente, en annulant le titre litigieux au motif qu’en raison de la réception de l’ouvrage la mission du mandataire solidaire était terminée, de sorte que sa responsabilité ne pouvait plus être recherchée à ce titre.

Saisi d’un pourvoi formé par le maître d’ouvrage, le Conseil d’Etat, après avoir rappelé la règle de principe s’agissant des effets de la réception de l’ouvrage sur les droits et obligation d’un constructeur (I.), confirme son application au mandataire solidaire d’un groupement d’entreprises (II.), ce qui le conduit, au cas d’espèce, à annuler l’arrêt et à renvoyer l’affaire devant la juridiction d’appel.

 

1. Les effets de la réception de l’ouvrage sur les droits et obligations des constructeurs

Dans la décision commentée, la Haute juridiction administrative fait application du considérant de principe issu de la décision Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer[2] -à laquelle la décision telle que publiée sur Légifrance renvoi d’ailleurs expressément-, suivant lequel « la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Ainsi, la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l'établissement du solde du décompte définitif. Seule l'intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d'interdire au maître de l'ouvrage toute réclamation à cet égard. »

En effet, rappelons qu’il est constant que la réception d’un ouvrage met fin aux obligations des constructeurs en ce qui concerne les obligations relatives à sa réalisation, de sorte que leur responsabilité contractuelle de droit commun ne peut plus, en principe, être recherchée par le maître d’ouvrage à ce titre.

Subsistent bien évidemment des exceptions, à commencer par les réserves qui ont pu être formulées lors de la réception, pour lesquelles la responsabilité contractuelle des constructeurs persiste tant qu’elles n’ont pas été levées, ainsi que pour tout désordre qui serait signalé dans le délai de garantie de parfait achèvement[3]. De même, la responsabilité contractuelle peut toujours être invoquée en raison de circonstances particulières, par exemple lorsqu’est invoqué un manquement du constructeur à son devoir de conseil[4] ou lorsque la réception a été obtenue de manière frauduleuse[5][6].

Par ailleurs, même si la réception des ouvrages fait obstacle à l’engagement de la responsabilité contractuelle des constructeurs, ces derniers restent tenus par la garantie de bon fonctionnement et la garantie décennale.

Si la réception de l’ouvrage met donc fin aux obligations contractuelles des constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage, elle reste toutefois sans effet sur les obligations financières des parties au titre du marché.

Sur ce point, le considérant vise, à titre d’exemples non exhaustifs, les retards, qui pourraient justifier l’application de pénalités à l’encontre du constructeur, ainsi que les travaux supplémentaires que ce dernier a réalisés et au titre desquels il pourrait solliciter une rémunération complémentaire.

Ainsi, pour ce qui concerne les obligations financières, seul le « décompte définitif » a pour effet de cristalliser les droits et obligations respectifs de chaque partie et le « décompte général et définitif » fait obstacle à toute réclamation du maître d’ouvrage à ce titre, solution qui paraît conforme aux principes d’unicité et d’intangibilité du décompte général et définitif.

Cependant, on notera que l’utilisation dans le considérant de principe, de la notion de « décompte définitif », et plus encore de « décompte général et définitif », peut être susciter des interrogations lorsqu’est en cause, comme dans la décision commentée, un marché qui n’est pas soumis au CCAG-travaux, mais au CCAG-PI.

En effet, il convient de rappeler, à cet égard, que la notion de constructeur ne vise pas uniquement l’entrepreneur réalisant les travaux, mais également un maître d’œuvre ou encore un bureau d’étude, dès lors que ces derniers concluent avec le maître d’ouvrage un contrat de louage d’ouvrage[7], ce qui explique leur soumission au considérant de principe arrêté par la décision Centre hospitalier de général de Boulogne-sur-Mer.

Or, le CCAG-PI, généralement applicable aux marchés conclus par les maîtres d’œuvre et bureaux d’études, ignore les notions de « décompte définitif » et de « décompte général et définitif », qui restent propre aux marchés de travaux, mais connait uniquement celles de « décompte »[8],  établi d’office par l’acheteur lorsque le titulaire du marché ne lui a pas adressé sa « demande de paiement » du solde.

La rédaction retenue laisse donc en suspens le point de savoir ce qu’il convient d’entendre par « décompte définitif » ou « décompte général et définitif » dans le cadre d’un marché soumis au CCAG-PI.

 

2. La responsabilité du mandataire solidaire du groupement persiste, au titre des obligations financières, postérieurement à la réception

L’apport principal de la décision commentée réside dans l’application des règles susmentionnées au mandataire solidaire d’un groupement conjoint d’entreprises.

Le Conseil d’Etat avait déjà précisé, dans une décision du 26 janvier 2007, que la poursuite des relations contractuelles au titre des réserves non-levées par le constructeur implique que la responsabilité contractuelle du mandataire solidaire d’un groupement conjoint de constructeurs puisse être engagée, en cette qualité, jusqu’à la levée des réserves[9].

Par la décision commentée, la Haute juridiction confirme l’alignement du régime juridique applicable au mandataire sur le régime de droit commun, en indiquant que la Cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit « en jugeant qu'en application des stipulations précitées de l'article 3.1 du CCAG-PI, la responsabilité de la société FRA Architectes ne pouvait plus être recherchée en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d'œuvre à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d'œuvre s'était achevée alors que si cette dernière date marque la fin des relations contractuelles, elle demeure, ainsi qu'il a été dit au point précédent, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché, qui lient le mandataire au titre de l'engagement solidaire qu'il a contracté. »

L’article 3.1. du CCAG-PI, version de 1978, visé par le Conseil d’Etat, stipule notamment qu’en cas de groupement conjoint d’opérateurs économiques, « l'un d'entre eux, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l'égard de la personne responsable du marché, jusqu'à la date où ces obligations prennent fin ; cette date est soit l'expiration de la garantie technique prévue à l'article 34, soit, à défaut de garantie technique, la date de prise d'effet de la réception des prestations. Le mandataire représente, jusqu'à la date ci-dessus, l'ensemble des cotraitants conjoints vis-à-vis de la personne responsable du marché pour exécution de ce dernier ».

Le Conseil d’Etat, contredisant en cela la juridiction d’appel qui avait vraisemblablement retenu une application trop rigide du texte, a donc considéré que cette règle suivant laquelle la solidarité du mandataire prend fin à la « date de prise d’effet de la réception » ou « à l’expiration de la garantie technique » concerne uniquement les obligations contractuelles relatives à la réalisation de l’ouvrage, mais ne s’étend pas aux droits et obligations financières au titre du marché.

Enfin, la solution ainsi dégagée par la décision commentée semble pouvoir être également appliquée sous l’empire des CCAG publiés en 2021, puisque la rédaction de l’article 3.5.2. des nouveaux CCAG-PI et CCAG-travaux prévoient, en des termes similaires au CCAG-PI de 1978, qu’en cas de groupement conjoint avec mandataire solidaire, ce dernier est solidaire de chacun des membres du groupement au titre de leurs obligations contractuelles envers l’acheteur « jusqu’à la date à laquelle les obligations prennent fin. »

 


[1] CAA Bordeaux, 3 juin 2021, n° 19BX01806.

[2] CE, 6 avril 2007, Centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer, req. n° 264490.

[3] CE, 26 janvier 2007, Société Mas, req. n° 264306.

[4] CE, 11 février 2015, Commune de Sarrebourg, req. n° 372492.

[5] CE, 15 juillet 2004, Syndicat intercommunal d’alimentation en eau des communes de la Seine, req. n° 235053.

[6] Voir pour un panorama plus exhaustif, H. Hoepffner, Les garanties des constructeurs en droit public, p. 46, LGDJ, 2018.

[7] CE, 21 février 2011, Société Icade G3a, req. n° 330515.

[8] Article 11.7.2. du CCAG-PI issu de l’arrêté du 30 mars 2021.

[9] CE, 26 janvier 2007, Société Mas, req. n° 264306.