Com., 7 septembre 2022, F-B, n° F 20-21.222

Par un arrêt du 7 septembre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de Cassation a précisé les conditions de recevabilité d’un référé contractuel introduit contre un marché de droit privé, consécutivement à un référé précontractuel jugé irrecevable en raison de la signature dudit marché. 

En l’espèce, une société évincée d’une procédure d’appel d’offres lancée par une SA HLM pour la passation d’un marché de nettoyage a saisi le Tribunal judiciaire de Nanterre d’un référé précontractuel le 15 mai 2020, ainsi que d’un recours contractuel, vraisemblablement présenté en cours d’instance dès lors que la requérante a été informée du fait que le marché avait été signé le 13 mai 2020.

Le Tribunal judiciaire, après avoir constaté l’irrecevabilité du référé précontractuel en raison de la signature du marché, a considéré que le référé contractuel était également irrecevable au motif que le pouvoir adjudicateur a signé le marché avant l’introduction du référé précontractuel et n’a donc pas méconnu l’obligation de suspendre la signature du marché, prévue par l’article 12 de l’ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009.

Par l’arrêt commenté, la chambre commerciale de la Cour de Cassation, saisie sur pourvoi de la société évincée, confirme l’irrecevabilité du référé précontractuel (I.), mais casse et annule le jugement en ce qu’il a rejeté le référé contractuel en opérant, à cette occasion, une distinction entre, d’une part, l’intention de conclure le marché et, d’autre part, sa signature effective, distinction qui emporte des conséquences non-négligeables sur la recevabilité du référé contractuel (II.).

 

  1. La signature du marché entraine inévitablement l’irrecevabilité du référé précontractuel

La concision de la motivation de l’arrêt pour écarter comme inopérants les moyens invoqués par la requérante afin de contester le jugement en ce qu’il a retenu l’irrecevabilité du référé précontractuel témoigne du caractère implacable de la règle qui veut que la signature du marché rende ce recours irrecevable.

Les circonstances de l’espèce présentaient pourtant une particularité notable, puisque le courrier de rejet avait été adressé à la société évincée le 9 mars 2020 et cette dernière avait fait délivrer l’assignation en référé précontractuel à l’acheteur le 16 mars 2020, soit la veille du premier confinement lié à l’épidémie de Covid-19.

Pour justifier du placement tardif de l’assignation auprès du greffe de la juridiction, intervenu le 15 mai 2020, et tenter de contourner les effets de la signature du marché, intervenue deux jours plus tôt, la société évincée s’est prévalue de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prolongation des délais échus durant la période d’urgence sanitaire, notamment son article 2 en ce qu’il prévoit que tout recours qui aurait dû être formé durant la période du 12 mars au 11 juin 2020 inclus, est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

Le juge de premier ressort, conforté en cela par la Cour de Cassation, considère toutefois que l’irrecevabilité du référé précontractuel lié à la signature du marché se trouve hors du champ d’application de ce texte puisqu’il ne s’agit pas d’une caducité mais d’une « cause objective d'impossibilité d'introduire un recours précontractuel. »

Si la solution s’entend sur le plan juridique, cette affaire met néanmoins en lumière une réelle difficulté pratique qu’ont pu rencontrer des requérants au moment du premier confinement, lequel a été marqué par une mise à l’arrêt, ou a minima un intense flottement, tant au sein des entreprises que des juridictions, les auxiliaires de justice n’échappant pas au constat.

Les requérants devant délivrer ou placer une assignation en référé précontractuel ont ainsi pu se retrouver face à une impossibilité matérielle d’y procéder, en raison de l’indisponibilité d’un huissier ou du greffe d’une juridiction. Certes, cet obstacle est difficilement justifiable jusqu’au 15 mai 2020 car des adaptations ont rapidement été mises en œuvre, mais la difficulté paraît manifeste s’agissant d’un courrier de rejet et d’une signature de marché qui seraient intervenus en mars ou même début avril 2020.

Par ailleurs, les praticiens auront noté que cet arrêt confirme que la saisine du juge judiciaire du référé précontractuel intervient par le placement de l’assignation (le 15 mai 2020 en l’espèce), et non la signification de celle-ci par voie d’huissier (le 16 mars 2020), ce qui est conforme à la lettre du 2° de l’article 481-1 du code de procédure civile, mais présente un impact considérable lorsque le délai de standstill est de onze jours.

En effet, rappelons que l’obtention d’une date d’audience auprès du juge de la procédure accélérée au fond impliquera de se présenter devant lui avec un projet d’assignation déjà rédigé, que la communication de la date d’audience ne sera pas toujours immédiate mais pourra prendre plusieurs heures, voire jours, que la signification par voie d’huissier prendra ensuite a minima une demi-journée, et qu’il conviendra encore que ce dernier communique le second original avant de pouvoir, in fine, saisir le juge des référés en procédant au placement de l’assignation via RPVA.

Dans ces conditions, lorsque la compétence appartient au juge judiciaire, les candidats évincés disposent en réalité d’un délai bien inférieur à 11 jours afin de juger de l’opportunité d’un référé précontractuel et rédiger celui-ci.

 

     2. La distinction entre l’intention de conclure le marché et sa signature effective, et ses conséquences sur la recevabilité d’un référé contractuel

Selon l’article 12 de l’ordonnance du 7 mai 2009, le référé contractuel n’est pas ouvert au demandeur ayant introduit un référé précontractuel dès lors que l’acheteur a respecté l’effet suspensif qu’implique l’introduction de ce recours sur la signature du marché et qu’il s’est conformé à la décision rendue par la juridiction.

A priori, en l’espèce, la SA HLM n’avait pas méconnu cette règle puisqu’elle avait signé le marché le 13 mai 2020, soit avant l’introduction du référé précontractuel.

Toutefois, la Cour de Cassation précise que cette règle n’a « pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un candidat évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel tandis qu'il était, au moment de sa saisine, dans l'ignorance de l'effectivité de la conclusion du marché par la société adjudicatrice, et ce, quand bien même aurait-il été informé du projet de celle-ci de procéder à cette conclusion, le tribunal a violé les textes susvisés. » 

La Haute juridiction judiciaire impose donc à l’acheteur, pour valablement fermer la voie du référé contractuel, d’informer le candidat évincé, non seulement de son intention de conclure le marché, mais également du fait que ce marché a effectivement été signé.

Le Conseil d’Etat avait déjà pu prendre une position similaire, en considérant que l’absence d’indication, dans le courrier de rejet, du délai de suspension que s’impose l’acheteur laisse le candidat évincé dans l’ignorance de la signature du marché au moment où il présente un référé précontractuel, ce qui lui préserve la possibilité de former un référé contractuel[1].

Cependant, si le Conseil d’Etat considère que la mention du délai de standstill dans le courrier de rejet est suffisante pour fermer la voie du référé contractuel, la rédaction retenue par la Cour de Cassation et la distinction qu’elle opère impliquent, nous semble-t-il, de devoir aller plus loin puisque l’indication du délai de standstill témoigne avant tout de l’intention de l’acheteur de conclure le marché, mais pas nécessairement de sa signature effective qui, pour diverses raisons, peut intervenir dans un délai plus éloigné, ou même ne pas intervenir.

Or, la Cour de Cassation exige bien que l’acheteur soit informé de « l’effectivité de la conclusion du marché (...) quand bien même aurait-il été informé du projet de celle-ci [la société adjudicatrice] de procéder à cette conclusion. »

Cette distinction conduit d’ailleurs la Cour de Cassation à écarter l’application de l’article 13 de l’ordonnance du 7 mai 2009 à la procédure suivie en l’espèce, qui était un appel d’offres, puisque ce texte ferme la voie du référé contractuel lorsque l’acheteur a fait part de son « intention de conclure le marché » uniquement lorsqu’il s’agit d’une procédure sans obligation de publicité préalable ou, en cas de procédure soumise à une telle obligation, lorsque l’acheteur n’est pas tenu de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus.

L’arrêt commenté relève pourtant que la SA HLM a, en l’espèce, notifié au candidat évincé son « intention de conclure » le marché par un courrier du 27 mars 2020, soit plus de onze jours avant sa signature effective, le 13 mai 2020 ; ce qui ne s’avérait toutefois pas suffisant dans le cadre d’une procédure formalisée.

En définitive, cette décision de la Cour de Cassation paraît reposer sur une double distinction :

  • d’une part, il convient de distinguer la simple « intention [de l’acheteur] de conclure » le marché et « l’effectivité de la conclusion » de celui-ci ;
  • d’autre part, les conséquences de cette première distinction différent en fonction de la procédure de mise en concurrence suivie par l’acheteur puisque s’il s’agit d’un des cas visés à l’article 13 de l’ordonnance du 7 mai 2009, la seule « intention de conclure » suffit à fermer la voie du référé contractuel, tandis que dans tous les autres cas, et en particulier en cas de procédure formalisée, cette information s’avérera insuffisante puisque seule la connaissance de « l’effectivité de la conclusion du marché » au moment de l’introduction d’un référé précontractuel pourra être opposée au requérant pour rendre son référé contractuel irrecevable.

Il conviendra de suivre avec attention le jugement qui devrait être rendu, sur renvoi, par le Tribunal judiciaire de Versailles dans cette affaire, et notamment s’il vient préciser dans quelles conditions un candidat évincé peut avoir une connaissance effective de la signature du marché.

 


[1] CE, 24 juin 2011, OPH Interdépartemental de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines, req. n° 346665 ; CE, 29 juin 2012, Société Signature, req. n° 357617 ; CE,30 novembre 2011, DPM Protection, req. n° 350788.