La décision n° 24VE00661 rendue par la Cour administrative d’appel de Versailles constitue une étape majeure dans la clarification des règles relatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones habitablées. Elle s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes entre les objectifs de protection de la santé publique et de l’environnement, et les intérêts des agriculteurs. Cet article analyse les motifs de la procédure, les moyens d’annulation retenus par le tribunal administratif d’Orléans et confirmés en appel, ainsi que les conséquences de cette décision pour les différents acteurs concernés.

Les motifs de la procédure

L’arrêté préfectoral du 26 juillet 2022 approuvant la charte départementale d’engagements des utilisateurs agricoles de produits phytopharmaceutiques a été contesté par l’association Générations Futures, l’Union fédérale des consommateurs du Cher (UFC Que Choisir) et l’Union syndicale solidaires. Les requérants invoquaient une méconnaissance des dispositions du code rural et de la pêche maritime, notamment des articles L. 253-8 et D. 253-46-1-2. Ces dispositions imposent que les chartes prévoient des mesures de protection des zones attenantes aux bâtiments habités, ainsi que des modalités d’information précises des résidents.

L’association requérante soutenait que la charte était entachée de plusieurs irrégularités :

  1. L’ajout d’une condition d’occupation irrégulière ou discontinue des bâtiments pour réduire les distances de sécurité.

  2. L’insuffisance des modalités d’information préalable des résidents et personnes présentes.

Les moyens d’annulation retenus

Le tribunal administratif d’Orléans a annulé l’arrêté préfectoral au motif de deux irrégularités majeures, une décision confirmée par la Cour administrative d’appel de Versailles :

  1. Erreur de droit concernant les distances de sécurité : La charte prévoyait que les traitements pouvaient être effectués en limite de propriété en cas d’occupation irrégulière des bâtiments habités. La cour a estimé que cette disposition ajoutait une condition nouvelle, non prévue par les textes législatifs et réglementaires, et qu’elle introduisait une subjectivité rendant la règle difficile à contrôler.

  2. Insuffisance des modalités d’information préalable : La charte se contentait de mesures imprécises, comme l’utilisation d’un gyrophare ou la mise en ligne facultative de bulletins, sans garantir une information effective et anticipée des résidents et des personnes présentes.

Les conséquences pour les acteurs concernés

Pour les associations environnementales et de protection des consommateurs

Cette décision constitue une victoire importante, renforçant l’exigence de précision et de rigueur dans l’élaboration des chartes d’engagements. Elle confirme que les chartes doivent respecter strictement le cadre législatif et réglementaire, sans introduire de dispositions susceptibles de diminuer les garanties de protection des populations riveraines.

Pour les agriculteurs et chambres d’agriculture

Les agriculteurs et leurs représentants apparaissent comme les principaux perdants de cette décision. L’annulation de la charte crée une insécurité juridique et pourrait entraîner une augmentation des contraintes pesant sur les exploitations agricoles. En outre, l’absence de précision sur les modalités d’information préalable pourrait engendrer des difficultés pratiques dans la mise en œuvre des traitements phytopharmaceutiques.

Pour l’administration

L’annulation de l’arrêté préfectoral souligne l’importance d’une concertation et d’un contrôle renforcé lors de l’approbation des chartes. L’administration devra veiller à ce que les prochaines chartes respectent strictement les dispositions des articles L. 253-8 et D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime.

La décision améliore-t-elle la protection de l’environnement ?

La décision contribue à une meilleure protection des populations riveraines en imposant des garanties supplémentaires concernant les distances de sécurité et l’information préalable. Cependant, son impact direct sur l’environnement reste limité, étant donné que les mesures contestées ne portaient pas sur les techniques de réduction de la dérive ou sur la limitation des produits phytopharmaceutiques eux-mêmes. Elle pourrait toutefois encourager les préfets à adopter des chartes plus ambitieuses en matière de protection environnementale.

Conclusion

La décision de la Cour administrative d’appel de Versailles constitue un rappel de l’exigence de conformité des chartes d’engagements aux normes législatives et réglementaires. Si elle renforce les droits des populations riveraines et la sécurité juridique, elle crée également des tensions avec le monde agricole, en éclairant les failles des systèmes actuels. Cette jurisprudence pourrait servir de base à une évolution des pratiques et des règlementations, dans un équilibre à trouver entre protection de l’environnement et soutien à l’agriculture.