La servitude naturelle d’écoulement des eaux, régie par les articles 640 et 641 du Code civil, organise les obligations réciproques des propriétaires de fonds contigus. Elle impose aux fonds inférieurs de recevoir les eaux s’écoulant naturellement du fonds supérieur, tout en interdisant aux propriétaires du fonds dominant de modifier cet écoulement au détriment du fonds servant.

Toute modification artificielle du régime des eaux peut être qualifiée d’aggravation de la servitude et donner lieu à des obligations de remise en état ou de compensation. En revanche, le propriétaire du fonds inférieur ne peut être contraint de supporter des travaux correctifs sur son propre terrain.

Nous étudierons tout d’abord le régime de la servitude naturelle d’écoulement des eaux et les critères permettant d’en identifier l’aggravation (I), avant d’examiner les obligations qui en découlent pour les propriétaires concernés (II).


I. Le régime juridique de la servitude naturelle d’écoulement des eaux et l’identification de son aggravation

La servitude naturelle d’écoulement des eaux repose sur un équilibre entre les droits du propriétaire du fonds supérieur et ceux du fonds inférieur. Dès lors qu’une intervention humaine modifie cet équilibre, une aggravation peut être caractérisée.

A. L’obligation d’écoulement naturel et son encadrement juridique

L’article 640 du Code civil prévoit que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué ». Ainsi, le propriétaire du fonds inférieur ne peut pas entraver cet écoulement en érigeant des obstacles ou en modifiant la topographie de son terrain.

La jurisprudence a rappelé cette interdiction en condamnant un propriétaire qui avait édifié un mur ayant provoqué une inondation, jugeant qu’il devait être démoli et que des dommages et intérêts devaient être versés au propriétaire du fonds supérieur (Colmar, 2 nov. 1982, Rev. Alsace-Lorraine 1983. 66). De même, une commune ne peut, par exhaussement successif d’un chemin grevé d’une servitude d’écoulement, créer une digue s’opposant à l’écoulement des eaux pluviales (Besançon, 6 mars 1883, D. 1883. 2. 130). En conséquence, toute obstruction volontaire à l’écoulement naturel des eaux peut donner lieu à une remise en état aux frais du contrevenant (Civ. 3e, 18 juill. 1995, n° 93-19.149 ; Civ. 3e, 18 mai 2005, n° 04-12.846).

Toutefois, la jurisprudence distingue cette interdiction de l’aménagement des cours d’eau : le propriétaire du fonds servant peut élever des digues contre le débordement des rivières sans que cela soit contraire à l’article 640 du Code civil (Civ. 3e, 18 mars 1987, Bull. civ. III, n° 56).

B. Les critères de qualification de l’aggravation de la servitude

Une intervention humaine peut être constitutive d’une aggravation de la servitude d’écoulement des eaux lorsqu’elle modifie leur volume ou leur direction.

La jurisprudence a ainsi jugé que :

  • Le comblement d’un chemin permettant l’écoulement naturel des eaux constitue une aggravation, nécessitant une remise en état (Caen, 30 juin 2005, Juris-Data n° 2005-28-3955).
  • L’élévation d’un terrain par des remblais entraîne une instabilité du sol et peut aggraver l’écoulement des eaux (Montpellier, 19 janv. 1993, Juris-Data n° 1993-03-4690).
  • Le remplacement d’une vigne par une culture de maïs, impliquant un compactage du sol favorisant le ruissellement, constitue une aggravation (Grenoble, 13 janv. 2004, Juris-Data n° 2004-25-3658).

De manière générale, toute modification du régime des eaux qui entraîne une charge supplémentaire pour le fonds inférieur peut être qualifiée d’aggravation et donner lieu à des obligations de réparation.


II. Les obligations et sanctions en cas d’aggravation de la servitude

Lorsqu’une aggravation est établie, la jurisprudence impose des obligations au propriétaire du fonds supérieur, sans que le fonds inférieur ne soit contraint d’en supporter les conséquences.

A. L’absence d’obligation pour le fonds inférieur d’accepter des travaux correctifs

Le propriétaire du fonds inférieur ne peut être contraint d’accepter des ouvrages sur son terrain pour remédier à une aggravation causée par le fonds supérieur. La Cour de cassation a rappelé ce principe en affirmant que le fonds servant n’a pas à supporter la pose d’une canalisation destinée à réduire le ruissellement (Civ. 3e, 14 déc. 1983, Bull. civ. III, n° 264).

La Cour de cassation protège strictement le droit de propriété du fonds servant :

  • Aucune expropriation indirecte ne peut être imposée au profit du fonds supérieur, sauf accord exprès du propriétaire du fonds inférieur (Cass. 3e civ., 29 sept. 2010).
  • Même si les travaux envisagés sont minimes ou peu intrusifs, ils ne peuvent être imposés sans le consentement du propriétaire (Cass. 3e civ., 14 déc. 1983, Bull. civ. III, n° 264).
  • Une solution alternative doit être recherchée sur le fonds dominant, même si elle est plus coûteuse (Cass. 3e civ., 29 sept. 2010, précité).

Ainsi, si une aggravation est constatée, c’est au propriétaire du fonds supérieur de prendre des mesures correctrices sur son propre terrain (Cass. 3e civ., 29 sept. 2010, n° 09-69.608).

B. Les mesures imposées au propriétaire du fonds supérieur

Le propriétaire du fonds supérieur peut être condamné à :

  • Construire un bassin de rétention pour contenir l’excès d’eau (Cass. 3e civ., 20 mai 2014, n° 12-26.587).
  • Obstruer un regard de collecte ou dévier les eaux vers un réseau communal (Cass. 3e civ., 17 juin 2014, n° 13-14.840).
  • Installer une gouttière sur un bâtiment pour éviter que l’eau ne ruisselle excessivement sur le fonds inférieur (Cass. 3e civ., 16 déc. 2014, n° 13-24.167).

Dans certains cas, l’aggravation peut être d’origine communale. Ainsi, une municipalité ayant laissé exécuter des travaux de remblaiement ayant menacé les fondations d’un immeuble a été condamnée à financer une étude géotechnique pour réparer les dommages (Cass. 3e civ., 17 févr. 2015, n° 13-26.797).

C. L’indemnisation en cas de modification illégale de l’écoulement

Lorsqu’une aggravation est constatée, le propriétaire du fonds inférieur peut obtenir réparation du préjudice subi.

  • Une cour d’appel a ainsi condamné un propriétaire ayant modifié la direction des eaux à indemniser le fonds servant (Cass. 3e civ., 15 févr. 2011, n° 10-10.924).
  • La mise en culture d’un terrain ayant entraîné l’érosion des sols et la pollution de bassins en contrebas a conduit à une condamnation sous astreinte à abandonner toute culture sur la parcelle en cause (Dijon, 13 sept. 2005, Juris-Data n° 2005-28-2095).

En revanche, tout changement du régime d’écoulement n’est pas systématiquement constitutif d’une aggravation. Une cour d’appel a jugé que la régularisation du débit par un drainage pouvait être avantageuse (Bourges, 4 juill. 1989, Juris-Data n° 1989-04-4203).


Conclusion

L’aggravation de la servitude d’écoulement des eaux est une source importante de contentieux. Si le propriétaire du fonds inférieur ne peut pas empêcher l’écoulement naturel des eaux, il ne peut pas non plus être contraint de supporter des travaux correctifs en cas d’aggravation. Toute modification de l’écoulement due à une intervention humaine engage la responsabilité du fonds supérieur, qui peut être contraint de prendre des mesures pour rétablir l’équilibre.

La jurisprudence, en développant un cadre strict, veille à maintenir un juste équilibre entre la préservation de la servitude et la protection des propriétés contre des modifications abusives du régime des eaux.