Jusqu’où va l’obligation, pour un epci compétent au titre de la gemapi, d’adapter ses ouvrages lorsque l’aléa évolue du fait de l’imperméabilisation des sols et de la transformation des usages ? le jugement du tribunal administratif de lille du 15 octobre 2025 (6e chambre, n° 2303956-2303957-2303958) apporte une réponse nette : la connaissance objectivée d’un sous-dimensionnement appelle des mesures correctrices, à défaut de quoi la faute est caractérisée.


Les faits utiles et la solution retenue

Une communauté d’agglomération, compétente en gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (gemapi), disposait de bassins de rétention destinés à atténuer les crues d’un ruisseau. une étude réalisée par un EPTB avait mis en évidence l’insuffisante capacité de ces ouvrages au regard de l’évolution du bassin versant. malgré cette alerte, aucune action d’adaptation n’a été conduite. des inondations ont touché une exploitation maraîchère.

Le tribunal administratif de lille juge que la communauté d’agglomération a commis une faute d’inaction, tenant à l’absence de mesures prises postérieurement à l’étude révélant le sous-dimensionnement. la responsabilité de l’epci est donc engagée pour les dommages subis par l’exploitant agricole.

Portée nuancée : le tribunal souligne que le réseau était initialement correctement dimensionné, mais que ses capacités ont été dépassées à partir de 2014 avec l’augmentation des sols imperméabilisés et la transformation des pâtures. en revanche, la commune n’est pas tenue pour responsable de sa politique d’urbanisme, faute pour le requérant de démontrer un lien de causalité entre l’urbanisation/industrialisation et les inondations en cause. l’EPCI n’a donc pas pu se garantir auprès de la commune.


I) Qualification juridique : une faute d’inaction au cœur de la GEMAPI

la gemapi confère aux EPCI-FP une responsabilité opérationnelle sur la gestion du risque inondation : aménagement de bassin ou fraction de bassin, défense contre les inondations, gestion des ouvrages hydrauliques, etc. (v. c. env., art. l. 211-7, i, 1°, 5°, 8°). pour les communautés d’agglomération, la compétence figure parmi les attributions du cgct (v. CGCT, art. l. 5216-5), par référence au périmètre défini par le code de l’environnement.

De cette compétence spéciale découle :

  • une obligation d’entretien et d’exploitation des ouvrages existants ;

  • une obligation d’adaptation raisonnable lorsque l’aléa et/ou les pressions anthropiques évoluent, à tout le moins lorsque l’insuffisance est objectivement constatée par une expertise externe (ici, l’étude de l’eptb).

Le jugement illustre une faute d’inaction : non pas un défaut initial de conception, mais un défaut de réaction à une connaissance précise du risque résiduel. en d’autres termes, la faute naît dans le temps de la gestion, et non dans le temps de la création de l’ouvrage. cette approche est cohérente avec la finalité même de la GEMAPI, qui ne se réduit pas à la maîtrise d’ouvrage d’installations, mais implique une gouvernance active et évolutive du risque.


II) l’articulation délicate entre urbanisme communal et GEMAPI intercommunale

Point saillant du jugement : la dissociation des responsabilités. d’un côté, l’epci répond pour ne pas avoir adapté ses bassins ; de l’autre, la commune n’est pas condamnée faute de causalité prouvée entre ses actes d’urbanisme et le dommage. d’où l’impossibilité pour l’EPCI d’exercer un appel en garantie contre la commune.

Ce faisant, le tribunal met en lumière une ligne de partage :

  • urbanisme : pouvoir de planification et de délivrance des autorisations (commune) ;

  • GEMAPI : gestion du risque hydrologique et des ouvrages (EPCI).

Sur le plan probatoire, l’exploitant n’a pu établir le lien entre autorisations d’urbanisme, imperméabilisation et sinistre précis. l’EPCI se trouve donc en première ligne, même si l’augmentation des surfaces imperméabilisées a contribué à rendre les ouvrages insuffisants.

Cette dissociation révèle les limites d’une gouvernance segmentée : les plans locaux d’urbanisme, la délivrance des autorisations, les politiques de ruissellement (zonages pluviaux, coefficients d’imperméabilisation, bassins de compensation) et la gemapi ne convergent pas toujours. or, la cohérence amont/aval est la condition d’une prévention efficace.


III) Une responsabilité « adaptative » face à l’évolution de l’aléa

Le tribunal rappelle que des ouvrages « correctement dimensionnés » à l’époque peuvent devenir insuffisants du fait :

  • de l’imperméabilisation croissante des sols (urbanisation, zones d’activités, voiries) ;

  • de la mutation des usages (disparition des pâtures, remblais, recalibrages locaux) ;

  • et, en toile de fond, de l’intensification des épisodes pluvieux.

Juridiquement, cela plaide pour une gestion dynamique des ouvrages : surveillance, modélisations hydrauliques périodiques, rehausse ou extension de capacités, solutions fondées sur la nature, prescriptions opposables en urbanisme (réserves foncières pour bassins, « noues » et trames vertes/bleues, gestion des eaux à la source). dès lors que l’epci dispose d’informations objectivées (études, rapports d’exploitation, incidents répétés), l’inaction devient la zone de risque contentieux.


IV) Portée et limites de la décision

il s’agit d’un jugement de première instance ; le délai d’appel court encore au 15 octobre 2025. sa portée doit donc être relativisée. en outre, l’affaire présente des spécificités factuelles (étude EPTB, chronologie post-2014, exploitation maraîchère sinistrée) qui expliquent l’issue contentieuse.

deux enseignements transposables ressortent néanmoins :

  1. chronologie probatoire : dès qu’un epci sait (ou ne peut ignorer) l’insuffisance d’un ouvrage, une fenêtre d’action raisonnable s’ouvre. différer indéfiniment expose à la faute.

  2. chaîne de responsabilité : faute de lien causal établi entre décisions d’urbanisme et dommage, la commune peut échapper à la condamnation, laissant l’EPCI isolé en responsabilité.


V) Recommandations opérationnelles pour les EPCI et les communes

Pour les EPCI (GEMAPI)

  • instaurer un dispositif de veille fondé sur des études récurrentes (hydrologie/hydraulique) et des indicateurs d’alerte (débordements, quasi-accidents, remontées d’exploitants).

  • formaliser une traçabilité des décisions : réceptions d’études, arbitrages, programmation pluriannuelle d’investissement (PPI), demandes de financements. la preuve de la diligence est décisive.

  • privilégier des solutions hiérarchisées : gestion à la source (désimperméabilisation, noues), accroissement des volumes de rétention,  restauration de zones d’expansion des crues.

Pour les communes (urbanisme)

  • intégrer, dans les plu(i), des prescriptions pluviales opposables : coefficients de ruissellement, volumes de rétention à la parcelle, trames d’infiltration et d’évapotranspiration, zones de surinondation contrôlée.

  • articuler eaux pluviales et gemapi dans les oap et servitudes, en prévoyant les emprises nécessaires à l’extension des bassins ou à la renaturation.

Pour les deux niveaux

  • adopter des conventions gemapi/urbanisme posant un protocole d’échanges de données, de co-instruction des projets structurants et de révision des documents d’urbanisme à la suite de toute mise à jour hydraulique substantielle.

  • prévoir un schéma directeur « ruissellement », adossé à une programmation financière et à un cadre de priorisation transparent.


VI) Risques contentieux et clauses de sécurité juridique

  • carence fautive : risque principal pour l’epci en cas de non-traitement des insuffisances connues.

  • rupture d’égalité : attention aux arbitrages reportant les adaptations sur certains secteurs ; motiver la priorisationau regard de l’exposition, des enjeux humains et économiques, et des coûts/efficacité.

  • garanties/assurances : vérifier la couverture des ouvrages et la conformité des plans d’entretien ; documenter les contraintes financières et la recherche de subventions (éléments utiles à la proportionnalité des délais d’adaptation).


VII) Ce que cette affaire change dans la pratique

  1. la preuve de la connaissance devient centrale : une étude externe (EPTB) vaut signal fort.

  2. l’échelle intercommunale assume le risque juridique principal, même lorsque la dynamique d’urbanisation est communale.

  3. la politique intégrée n’est pas un slogan : elle constitue la seule réponse défendable pour concilier développement local et sécurité hydrologique.


Conclusion

Ce jugement rappelle que la gemapi n’est pas une compétence « dormante ». dès que l’insuffisance d’un ouvrage est établie et portée à connaissance, l’epci doit arbitrer, programmer et agir. à défaut, la faute d’inaction est encourue. l’affaire de lille a le mérite d’exposer, sans détour, la conséquence d’une gouvernance fragmentée : l’EPCI paie seul le prix d’une incohérence systémique entre urbanisme et prévention. à l’heure où l’intensité des épisodes pluvieux et l’imperméabilisation convergent, la sécurité juridique commande d’ériger la gestion adaptative en standard et de renouer, concrètement, les fils du dialogue entre communes et intercommunalités.