Sous les voûtes austères du Palais-Royal, où le droit murmure les aspirations d’une société en quête de justice, le Conseil d’État, réuni en ses 6e et 5e chambres, a gravé le 25 avril 2025 une nouvelle page dans l’épopée judiciaire pour la qualité de l’air. Portant le numéro 428409, cet arrêt, rendu à la demande de l’association Les Amis de la Terre France et d’une cohorte d’acteurs environnementaux, clôt une étape cruciale d’un contentieux entamé il y a près d’une décennie. Loin d’inaugurer une révolution, il scelle un moment de vérité : celui où l’État, sous la menace de l’astreinte, démontre des progrès suffisants pour suspendre – sans l’éteindre – le glaive judiciaire. Destiné aux avocats, magistrats, et plaideurs engagés dans la cause climatique, ce commentaire, ciselé dans un style littéraire mais ancré dans la rigueur académique, décrypte cette décision comme un jalon dans la longue marche vers un ciel plus clair.
I - Une fresque contentieuse : le fil d’Ariane du litige
L’histoire s’ouvre en 2017, lorsque le Conseil d’État, par son arrêt n° 394254 du 12 juillet, pose les fondations d’une bataille juridique d’ampleur. Face aux silences coupables du Président de la République, du Premier ministre, et des ministres de l’environnement et de la santé, le juge annule ces refus implicites de se plier à l’article 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008. Ce texte européen, tel un commandement gravé dans le marbre, ordonne aux États d’élaborer des plans pour ramener les concentrations de dioxyde d’azote (NO₂) et de particules fines PM10 en deçà des seuils fixés par l’annexe XI et l’article R. 221-1 du code de l’environnement. L’injonction est sans appel : des plans doivent être conçus pour des zones critiques – Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, et d’autres – et transmis à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.
Mais l’État, semblable à un Sisyphe récalcitrant, peine à gravir la pente de l’exécution. En 2020, le Conseil d’État, par sa décision n° 428409 du 10 juillet, brandit l’arme de l’astreinte : 10 millions d’euros par semestre de retard, à moins que l’État ne prouve avoir agi dans les zones à risque, telles les agglomérations de Paris, Lyon, ou Marseille-Aix, ou encore Fort-de-France pour les PM10. Ce mécanisme coercitif porte ses fruits, mais au prix de liquidations successives : 10 millions d’euros en 2021, 20 millions en 2022, et 10 millions en 2023, redistribués à des gardiens de l’environnement comme l’ADEME, le CEREMA, ou Airparif. En 2024, les requérants, portés par une détermination intacte, reviennent devant le juge. Ils exigent une nouvelle liquidation de 20 millions pour la période juillet 2023-juillet 2024, une majoration de l’astreinte à 20 millions par semestre, et une répartition des fonds selon leurs vœux. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt du 25 avril 2025, non comme un coup de théâtre, mais comme l’évaluation d’une étape dans un contentieux au long cours.
II - Le verdict : une pause dans la mise en oeuvre des sanctions
Le Conseil d’État, tel un arbitre scrutant la partition d’une œuvre inachevée, entreprend d’évaluer si l’État a enfin répondu à l’appel de 2017. Le constat initial est limpide : seules les zones d’agglomération (ZAG) de Paris et Lyon demeurent en litige pour les dépassements de NO₂, les autres zones, ainsi que l’ensemble du territoire pour les PM10, ayant rejoint le rivage de la conformité.
À Lyon, une station rebelle affichait encore 44 µg/m³ de NO₂ en 2023, défiant la limite de 40 µg/m³. Mais les augures d’Atmo Auvergne Rhône-Alpes, dans le cadre du troisième plan de protection de l’atmosphère (PPA3, 2022-2027), annoncent un retour à la norme en 2024, à 40 µg/m³, une prédiction étayée par des modélisations rigoureuses. À Paris, le tableau est plus nuancé mais prometteur : de 73 µg/m³ en 2019, la concentration s’effondre à 46 µg/m³ en 2023, avec trois stations encore en dépassement (41-44 µg/m³) en 2024. Les oracles d’Airparif, plus optimistes qu’auparavant, prophétisent une conformité totale en 2026, bien avant l’horizon initial de 2030.
Ces avancées ne doivent rien au hasard. L’État, aiguillonné par l’astreinte, a déployé un répertoire de mesures. À Lyon, le PPA3 orchestre des initiatives ciblées : une voie réservée au covoiturage sur l’A7 depuis mars 2024, une réduction des vitesses autorisées, et une zone à faibles émissions (ZFE) interdisant les véhicules Crit’Air 4 depuis janvier 2024, puis Crit’Air 3 depuis janvier 2025, avec un périmètre élargi aux voies rapides. À Paris, le PPA4, adopté en janvier 2025, ambitionne de porter la part du vélo à 9 %, intègre 15 communes supplémentaires à la ZFE, et abaisse la vitesse sur le périphérique à 50 km/h depuis octobre 2024, réduisant la concentration de NO₂ de 5,9 µg/m³ dans une station clé. Le Fonds Vert, tel un mécène discret, finance des projets de covoiturage et de voies cyclables, tandis que des mesures nationales – aides aux véhicules propres, suppression des chauffages carbonés – renforcent cette dynamique.
Face à ces efforts, le Conseil d’État rend un verdict mesuré. Les mesures, qualifiées de « suffisamment précises et crédibles », laissent entrevoir un respect imminent des normes – 2024 pour Lyon, 2026 pour Paris. En conséquence, l’astreinte n’est ni liquidée pour la période 2023-2024, ni majorée. La décision de 2017 est déclarée pleinement exécutée, marquant la fin d’une phase de contrôle juridictionnel. Une somme symbolique de 3 000 euros est toutefois accordée aux requérants au titre des frais de justice (art. L. 761-1 CJA), comme un hommage à leur persévérance.
III - Une leçon pour le prétoire et au-delà
Pour les avocats et plaideurs climatiques, cet arrêt est une boussole dans le labyrinthe du contentieux environnemental. Il consacre l’astreinte (art. L. 911-7 CJA) comme un outil redoutable, capable de contraindre l’État à agir là où la rhétorique politique s’essouffle. Mais il impose aussi une exigence nouvelle : maîtriser les données scientifiques – modélisations d’Airparif, rapports d’Atmo – pour défier un État désormais armé de plans comme le PPA4. Les plaidoiries devront être affûtées, scrutant l’effectivité des mesures promises pour rouvrir, si nécessaire, le chapitre des sanctions.
Pour les magistrats, cette décision illustre la délicate mission du juge administratif, à la croisée de l’urgence climatique et du pragmatisme juridique. En suspendant l’astreinte, le Conseil d’État adopte une approche équilibrée, saluant les progrès sans relâcher la vigilance. L’interprétation de l’article L. 911-8 CJA, qui évite un enrichissement indu tout en orientant les fonds vers l’intérêt général, témoigne d’une jurisprudence en phase avec les impératifs écologiques. Mais le juge demeure en alerte, prêt à reprendre la plume si les projections de 2026 s’effritent.
Pour les acteurs du contentieux climatique, cet arrêt est une victoire en clair-obscur. Il valide la stratégie judiciaire comme moteur de changement, mais rappelle la fragilité des engagements étatiques. Les dépassements résiduels à Paris et l’incertitude autour de la consolidation des résultats à Lyon invitent à une mobilisation inlassable. Si les normes venaient à être compromises, une nouvelle saisine pourrait enrichir une jurisprudence déjà fertile, renforçant le rôle du droit dans la lutte contre la pollution.
Épilogue : une trêve, non une fin
Tel un poème suspendu entre espoir et vigilance, la décision du 25 avril 2025 marque non pas un tournant, mais une trêve dans le combat pour l’air pur. Elle clôt une étape où l’astreinte, brandie comme une épée de Damoclès, a poussé l’État à agir. Pourtant, l’horizon reste voilé : les promesses de 2026 devront se concrétiser pour que cette trêve devienne une victoire. Pour les juristes, cet arrêt est une invitation à manier le droit comme un outil de précision, mêlant rigueur scientifique et ferveur militante. À l’heure où la crise climatique défie les nations, le Palais-Royal, par cette décision, murmure un message clair : la justice climatique, patiemment, tisse son œuvre. Que les avocats affûtent leurs arguments, que les magistrats veillent, et que les citoyens respirent – le prochain chapitre s’écrira peut-être sous leurs plumes.
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