Le droit des successions est souvent perçu comme une matière austère, réservée aux praticiens et aux notaires. Pourtant, il se révèle parfois au grand jour, lorsqu’une figure publique voit son héritage devenir l’objet d’une querelle judiciaire. L’actualité en offre une illustration saisissante : Alain-Fabien Delon a assigné ses frère et sœur afin d’obtenir l’annulation du testament établi par leur père en 2022. Il soutient que l’icône du cinéma, affaiblie par un accident vasculaire cérébral survenu en 2019, n’aurait plus disposé de la lucidité nécessaire pour exprimer valablement ses dernières volontés. L’audience, rapportée par la presse, se tiendra devant le tribunal judiciaire de Paris le 9 mars 2026.

Au-delà de l’émotion médiatique, cette affaire met en lumière les règles précises qui encadrent la validité et la contestation des testaments en droit français.


I. les fondements juridiques de l’annulation d’un testament

Un testament, loin d’être intangible, peut être remis en cause après le décès de son auteur. Les causes de nullité ou de réduction sont strictement encadrées par le Code civil :

  • les vices de forme : ainsi, le testament olographe doit être écrit en entier, daté et signé de la main du testateur (art. 970 C. civ.) ; le testament authentique requiert la présence de deux notaires ou d’un notaire et deux témoins (art. 971 et s.). Le moindre manquement expose l’acte à la nullité.

  • les atteintes aux règles de fond : la réserve héréditaire (art. 912 et s.) limite la liberté de disposer. De même, certains bénéficiaires sont exclus (art. 909 C. civ., interdisant notamment les libéralités consenties aux soignants pendant la dernière maladie).

  • les vices du consentement et l’insanité d’esprit : le testateur doit être sain d’esprit (art. 901 C. civ.). C’est ici que se concentre le débat dans l’affaire Delon : la capacité mentale du testateur au moment de la rédaction de l’acte. La preuve, lourde, repose sur des certificats médicaux, expertises rétrospectives et témoignages.

Il existe également des mécanismes spécifiques de révocation après décès (ingratitude du légataire : art. 1046 C. civ., ou inexécution des charges). Mais la nullité la plus redoutée reste celle qui frappe le consentement lui-même.


II. les acteurs et la procédure de contestation

Seules les personnes ayant un intérêt à agir peuvent demander l’annulation : en premier lieu les héritiers réservataires (les enfants), mais aussi tout héritier universel ou à titre universel lésé par le testament. L’action est portée devant le tribunal judiciaire du dernier domicile du défunt (art. 45 CPC), avec représentation obligatoire par avocat.

La prescription de droit commun (cinq ans) s’applique en matière de nullité pour insanité d’esprit (art. 2224 C. civ.), à compter du décès. La procédure peut s’avérer longue et technique : des expertises médicales sont souvent ordonnées pour éclairer les juges sur l’état cognitif du défunt au moment de la rédaction.

Si le testament est annulé, il est réputé n’avoir jamais existé : la succession revient au droit commun, c’est-à-dire à la dévolution légale (art. 730 et s. C. civ.). Dans le cas présent, cela conduirait à un partage égal entre les trois enfants d’Alain Delon, sauf dispositions antérieures demeurées valides.


III. portée pratique et enseignements de l’affaire

L’affaire Delon illustre une vérité que tout praticien du droit connaît : la liberté testamentaire existe, mais elle est fragile. Elle se heurte à la réserve héréditaire, aux conditions de forme, et surtout à l’exigence fondamentale de lucidité.

Pour le citoyen ordinaire comme pour la célébrité, les leçons sont identiques :

  • veiller à établir son testament dans des conditions incontestables, de préférence devant notaire ;

  • conserver des éléments de preuve attestant de sa capacité au moment de la rédaction ;

  • et, pour les héritiers, ne pas ignorer les délais et la technicité de la contestation.


conclusion : la fragilité de la dernière volonté

L’annulation d’un testament n’est jamais anodine : elle vient bouleverser l’équilibre voulu par le défunt, au profit des héritiers réservataires protégés par la loi. L’affaire Delon, emblématique par son retentissement médiatique, n’est en réalité qu’un exemple de ces querelles successorales qui traversent toutes les familles, célèbres ou non. Elle rappelle que le droit des successions oscille sans cesse entre deux impératifs : le respect de la volonté individuelle et la protection de la famille.