Par un arrêt du 4 novembre 2020 destiné à la plus large diffusion (estampillé « PBRI »), la Cour de cassation admet, pour la première fois, que la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements économiques consécutifs à cette réorganisation. Elle reste toutefois vigilante à ce que les juges du fond n’excèdent pas leur pouvoir de contrôle, en signalant que l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas, à elle seule, une telle faute.

  • Retour sur les faits de l’espèce

Cette affaire concernait plusieurs salariés de la société Pages jaunes licenciés à la suite du refus de la modification de leur contrat de travail proposée dans le cadre d’une réorganisation. Ces derniers reprochaient à l’employeur d’avoir commis une faute à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise. Ils se prévalaient en effet de remontées de dividendes de la société Pages jaunes vers la holding, destinées à assurer le remboursement d’un emprunt du groupe résultant d’une opération d’achat avec effet levier. C’est ce remboursement, qui avait, selon eux, asséché la source de financement des investissements stratégiques de l’entreprise.

La cour d’appel a validé leur raisonnement et invalidé leur licenciement : « le péril encouru en 2014 par la compétitivité de l’entreprise au moment de la mise en œuvre de la procédure de licenciement n’est pas dissociable de la faute de la société Pages jaunes, caractérisée par des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires, ces décisions pouvant être qualifiées de préjudiciables comme prises dans le seul intérêt de l’actionnaire, et ne se confondant pas avec une simple erreur de gestion ».

La Cour de cassation en a toutefois décidé autrement.

  • Retour sur la motivation de la Haute Juridiction : la faute à l’origine de la menace sur la compétitivité peut certes être sanctionnée mais le juge ne doit pas s’immiscer dans les choix de gestion de l’employeur

Dans un attendu de principe, la chambre sociale admet pour la première fois que « la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation ». Elle transpose ainsi au motif de la sauvegarde de compétitivité la jurisprudence développée dans le cadre de licenciements consécutifs à des difficultés économiques ou à une cessation d’activité.

Après avoir admis la possibilité pour le juge de vérifier que la menace sur la compétitivité n’est pas due à une faute de l’employeur, la Cour de cassation précise ce qui peut, ou non, caractériser celle-ci. Conformément à sa jurisprudence existante, elle signale que « l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute ». Elle censure en conséquence la position de la cour d’appel, celle-ci ayant « seulement caractérisé la faute de l’employeur par “des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires” », ajoute la note explicative jointe à l’arrêt.

L’arrêt reste ainsi sur la ligne jurisprudentielle qui interdit aux juges du fond, quel que soit le motif économique, de porter une appréciation sur les choix de gestion opérés par l’employeur.

A cet égard, la chambre sociale insiste dans cette note sur le fait que, « quel que soit le motif économique du licenciement et, a fortiori, lorsqu’il réside dans une réorganisation de l’entreprise rendue nécessaire par la sauvegarde de la compétitivité », elle restera « vigilante à ce que, sous couvert d’un contrôle de la faute, les juges du fond n’exercent pas un contrôle sur les choix de gestion de l’employeur ». 

Cass. soc., 4 novembre 2020, n°18-23.029 FS-PBRI

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