Dans un arrêt du 27 janvier 2021, la Cour de cassation apporte une clarification quant au degré de précision des éléments produits par le salarié devant le juge en matière de contentieux en paiement d’heures supplémentaires. Ainsi, un décompte des horaires de prise de poste et de fin de service est suffisant, même en l’absence d’indication d’éventuelles pauses méridiennes.
- Retour sur le régime probatoire propre aux heures supplémentaires
La preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties.
Selon l’article L. 3171-4 du Code du travail, « En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».
Dans un arrêt du 18 mars 2020, la Cour de cassation est venue préciser ce régime de preuve partagée entre l’employeur et le salarié (Cass. soc., 18 mars 2020, nº 18-10.919).
Il en ressort que : « Il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ».
Jusqu’alors, la Cour de cassation considérait qu’il appartenait au salarié « d’étayer la demande relative à la qualification du temps de travail par la production d’éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments ». À défaut, sa demande était rejetée.
Dans son arrêt du 18 mars 2020 précité, la Cour de cassation « abandonne la notion d’étaiement, pouvant être source de confusion avec celle de preuve, en y substituant l’expression de présentation par le salarié d’éléments à l’appui de sa demande ». La Haute juridiction semble donc vouloir clarifier le rôle du salarié en la matière : il n’a pas à apporter d’éléments de preuve mais seulement des éléments factuels, pouvant être établis unilatéralement par ses soins, mais revêtant un minimum de précision (Cour de cassation, note explicative à l’arrêt du 18 mars 2020). Elle réaffirme ainsi que la charge de la preuve ne peut reposer sur le seul salarié.
Mais quel contrôle exerce la Cour de cassation sur la notion « d’éléments suffisamment précis » que le salarié doit apporter dans le débat judiciaire ?
Dans son arrêt en date du 27 janvier dernier et la note explicative jointe, la Cour de cassation y apporte des éléments de réponse.
- Un décompte des heures ne mentionnant pas les pauses méridiennes est-il suffisant ?
Dans cette affaire, le salarié, technico-commercial, avait notamment saisi la juridiction prud’homale en vue d’obtenir un rappel d’heures supplémentaires.
À l’appui de cette demande, il avait présenté un décompte détaillé de ses heures de travail mentionnant, jour après jour, les heures de prise et de fin de service, ainsi que de ses rendez-vous professionnels avec la mention du magasin visité, le nombre d’heures quotidien et le total hebdomadaire.
La société avait, pour sa part, admis ignorer le nombre d’heures accomplies par le salarié et ne pas les contrôler, de sorte qu’elle n’avait fourni aucun élément en réponse à ceux produits par ce dernier.
La cour d’appel n’a pourtant pas donné gain de cause au salarié, estimant notamment que son décompte n’était pas suffisamment précis en ce qu’il ne mentionnait pas la prise éventuelle d’une pause méridienne.
À tort, selon la Cour de cassation …
- Focus sur le raisonnement opéré par la Cour de cassation
La Cour de cassation rappelle dans un premier temps que :
- L’employeur doit établir les documents nécessaires au décompte de la durée du travail de chaque salarié lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif (C. trav., art. L. 3171-2) ;
- Il doit tenir à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail, pendant un délai fixé par voie réglementaire, les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié (C. trav., art. L. 3171-3) ;
- En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles (C. trav., art. L. 3171-4).
Avant d’en déduire le régime probatoire applicable à l’action en paiement d’heures supplémentaires dans les mêmes termes que le 18 mars dernier : « Il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant ».
En outre, la Haute juridiction explicite, dans la note explicative accompagnant l’arrêt, les contours de l’obligation du salarié quant à la présentation d’éléments suffisamment précis : « Celle-ci découle de l’article 6 du Code de procédure civile, relatif à l’obligation d’alléguer les faits nécessaires au succès des prétentions (et non de l’article L. 3171-4 du Code du travail, relatif à la preuve des heures travaillées) ». De fait, la précision des éléments produits par le salarié doit être examinée au regard de « l’objectif d’organisation du débat judiciaire ». Elle n’est en aucun cas « de la même nature, ni de la même intensité que celle qui pèse par ailleurs sur l’employeur dans le cadre de son obligation de contrôle de la durée du travail ». Concrètement, elle « ne peut avoir pour effet de faire peser la charge de la preuve des heures accomplies sur le seul salarié, ni de contraindre ce dernier à indiquer les éventuelles pauses méridiennes qui auraient interrompu le temps de travail ». D’autant que « la charge de la preuve de la prise des temps de pause incombe à l’employeur (Cass. soc., 20 février 2013, n°11-21.848 et 11-21.599) ».
Il s’ensuit que, en l’espèce, malgré l’absence de mention des temps de pause, « le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre ».
Le régime de la preuve partagée devenait dès lors applicable.
Il appartenait donc à la cour d’appel d’examiner les pièces produites par l’une et l’autre des parties, étant précisé que l’employeur ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, et d’apprécier la portée des critiques formulées contre ces pièces, avant de décider, dans le cadre de son pouvoir souverain, si le salarié avait effectivement accompli des heures supplémentaires et, dans l’affirmative, de fixer la créance correspondante.
Pas de contribution, soyez le premier