Un peu plus de trois semaines, et cinq séances de négociation, dont une ajoutée in extremis le 26 novembre 2020, auront permis aux organisations patronales et syndicales de se mettre d’accord sur un projet d’ANI « pour une mise en œuvre réussie du télétravail ». Le texte constitue une sorte de « mode d’emploi du télétravail » pour les employeurs et les salariés. Outre le Medef, la CPME et l’U2P, les instances de trois organisations syndicales ont déjà décidé de signer l’accord, à savoir celles de la CFDT, de la CFTC et de FO. Il est ouvert à la signature jusqu’au 23 décembre.

Le préambule du texte rappelle le contexte dans lequel s’inscrit cette négociation et livre une définition du télétravail. Il indique que « dans la pratique, [le télétravail] peut s’exercer au lieu d’habitation du salarié ou dans un tiers lieu, comme un espace de coworking, différent des locaux de l’entreprise, de façon régulière, occasionnelle, ou en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure ». Le texte ne fixe pas de nouvelles contraintes pour les employeurs. Il rappelle le cadre juridique de mise en œuvre du télétravail : « l’ANI de 2005 relatif au télétravail et les articles L. 1222-9 et suivants du code du travail, modifiés par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, dont la portée a pu être précisée par la jurisprudence ». Par ailleurs, il est bien précisé que « c’est au niveau de l’entreprise que les modalités précises de mise en œuvre du télétravail sont définies, dans le cadre fixé par le code du travail, les dispositions de l’ANI de 2005 et du présent accord, et par les dispositions éventuelles négociées au niveau de la branche ».

  • Le télétravail dans l’entreprise

Le texte souligne que la faisabilité de la mise en place du télétravail s’appréhende, le cas échéant, en fonction de la taille de l’entreprise et de ses activités. Dès lors, afin de préserver l’efficacité du travail et les fonctionnements collectifs, les entreprises sont invitées à réfléchir à l’articulation entre le travail en présentiel et en distanciel, notamment dans le cadre « du dialogue social et professionnel ». Elles sont appelées à tirer les enseignements des mesures prises pour la continuité d’activité pendant la crise sanitaire. La gestion des parcs de matériels informatiques et l’utilisation globale des outils numériques sont des points de vigilance à intégrer dans la réflexion des entreprises sur le développement du télétravail. Une vigilance particulière doit également être portée à la préservation de la cohésion sociale interne.

  • La mise en place du télétravail

Eligibilité des postes : Après avoir rappelé les règles de mise en place du télétravail, y compris en cas de circonstances exceptionnelles, le texte insiste sur l’importance d’identifier les activités éligibles au télétravail. Cette identification préalable relève de la responsabilité de l’employeur et de son pouvoir de direction. « La définition des critères d’éligibilité peut [néanmoins] utilement alimenter le dialogue social », souligne le texte tout en rappelant que le CSE « doit être consulté sur les décisions de l’employeur relatives à l’organisation du travail ayant un impact sur la marche générale de l’entreprise, dont les conditions de mise en œuvre et le périmètre du télétravail ».

Un thème de dialogue social : Le texte fait du dialogue social un « gage de réussite » de la mise en place d’un télétravail adapté à l’entreprise. Des négociations périodiques, comme celles sur la qualité de vie au travail ou le droit à la déconnexion, peuvent ainsi permettre de lancer une négociation sur le télétravail. Quant aux entreprises dépourvues de délégués syndicaux ou de CSE, elles sont encouragées à « se concerter avec les salariés, au regard d’un accord de branche conclu sur ce thème, s’il existe ».

Double volontariat, forme de l’accord et refus de télétravail : Le texte redéfinit les conditions d’accès au télétravail en remplaçant les articles 2 et 3 de l’ANI de 2005. À ce titre, il réaffirme la règle du double volontariat (salarié et employeur), sauf en cas de circonstances exceptionnelles ou force majeure. L’employeur et le salarié peuvent, en l’absence de dispositions prévues par accord ou charte, formaliser leur accord par tout moyen. Toutefois, précise le texte, il est utile de « recourir à un écrit, quel qu’il soit, afin, notamment, d’établir la preuve de l’accord ». Des précisions sont apportées sur les informations devant être fournies par écrit aux salariés accédant au télétravail, en particulier sur « les modalités d’articulation entre télétravail et présentiel » et « les règles de prise en charge des frais professionnels, telles que définies dans l’entreprise ». Enfin, l’employeur doit motiver son refus d’accéder à une demande de télétravail s’il existe un accord de télétravail ou une charte et si le salarié occupe un poste télétravaillable. « Dans les autres cas, l’employeur est invité à préciser les raisons de son refus d’accéder à la demande de télétravail émanant d’un salarié », ajoute le texte.

Période d’adaptation et réversibilité : Une période d’adaptation est toujours prévue pendant laquelle chacune des parties peut mettre un terme au télétravail en respectant un délai de prévenance préalablement défini. Elle permet au salarié de retrouver son poste au sein de l’entreprise. De la même façon, « si le télétravail ne fait pas partie des conditions d’embauche, l’employeur et le salarié peuvent, à l’initiative de l’un ou de l’autre, convenir par accord d’y mettre fin et d’organiser le retour du salarié dans les locaux de l’entreprise, dans l’emploi tel qu’il résulte de son contrat de travail ». En revanche, si le télétravail est prévu lors de son recrutement, le salarié continuera à bénéficier d’une simple priorité d’accès à « tout emploi vacant, s’exerçant dans les locaux de l’entreprise et correspondant à sa qualification ». A cela s’ajoute la possibilité pour l’employeur « d’organiser les conditions du retour ponctuel du salarié en télétravail dans les locaux de l’entreprise en cas de besoin particulier, de sa propre initiative ou à la demande du salarié ».

  • L’organisation du télétravail

Le texte revient sur ce point sur le lien de subordination entre employeur et salarié, sur la durée du travail et le temps de repos ou encore, sur le contrôle du temps de travail, le respect du droit à la déconnexion et de la vie privée des télétravailleurs au même titre que les salariés en présentiel.

Equipements et usage des outils numériques : Il y est souligné l’intérêt des bonnes pratiques suivantes, s’agissant de l’usage des outils numériques et de la protection des données : - possibilité d’établir un socle de consignes minimales à respecter en télétravail, et communiquer ce document à l’ensemble des salariés ; - mise à disposition éventuelle des salariés d’une liste d’outils de communication et de travail collaboratif appropriés au travail à distance, qui garantissent la confidentialité des échanges et des données partagées ; - possibilité de mise en place de protocoles garantissant la confidentialité et l’authentification du serveur destinataire.

Prise en charge des frais professionnels : Le texte rappelle le principe selon lequel les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur s’applique à l’ensemble des situations de travail. A ce titre, il appartient ainsi à l’entreprise, selon le texte, de prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation de l’employeur. Le choix des modalités de prise en charge éventuelle des frais professionnels peut être, le cas échéant, un sujet de dialogue social au sein de l’entreprise. L’allocation forfaitaire versée, le cas échéant, par l’employeur pour rembourser ce dernier est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite des seuils prévus par la loi, souligne le texte.

Santé et sécurité en cas de télétravail : Les télétravailleurs bénéficient des mêmes protections en matière de santé et de sécurité au travail que les autres salariés. Cependant, le texte précise qu’« il doit être tenu compte du fait que l’employeur ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée». Comme auparavant, la présomption d’imputabilité en matière d’accidents de travail s’applique dans le cadre du télétravail, et ce, ajoute désormais le texte, « malgré les difficultés de mise en œuvre pratique » qu’elle occasionne. En outre, le texte souligne l’importance de la prise en compte du télétravail dans la démarche d’analyse de risque qui doit être transcrite dans le document unique d’évaluation des risques (DUER). Enfin, l’employeur doit, insiste le texte, informer le salarié en télétravail de la politique de l’entreprise en matière de santé et sécurité, en particulier, sur l’utilisation des écrans et en matière d’ergonomie. Quant au salarié, il est « est tenu de respecter et d’appliquer correctement ces règles de prévention et de sécurité ».

  • L’accompagnement des collaborateurs et des managers

Dans le cadre du télétravail, les pratiques managériales « sont réinterrogées et adaptées. […] La mise en œuvre réussie du télétravail se traduit par des règles d’organisation claires afin d’assurer le bon fonctionnement de la communauté de travail et de fixer un cadre au sein duquel les collaborateurs peuvent évoluer de la manière la plus autonome possible », prévoit le texte. Pour cela, « au-delà d’une relation de confiance entre le manager et les salariés nécessaire à la mise en place du télétravail, la définition d’objectifs clairs peut faciliter le management à distance ». Par ailleurs, le manager « est également un des garants du maintien du lien social entre le salarié en télétravail et l’entreprise ». C’est pourquoi il est nécessaire de former les managers et les collaborateurs. Le texte liste une série de thématiques sur lesquelles des formations peuvent être organisées, comme l’adaptation des modalités de réalisation de l’activité ou l’autonomie du salarié en télétravail… En outre, le texte invite à se pencher sur la prise en compte des situations particulières : nouveaux salariés, alternants, salariés en situation de handicap et ceux présentant des problèmes de santé ou atteints d’une maladie chronique évolutive ou invalidante, aidants familiaux, salariés en situation de fragilité. La politique de GRH en matière d’égalité femmes-hommes ou de GPEC doit être préservée.

  • La préservation de la relation de travail avec le salarié

Deux axes sont détaillés sur ce point, issus notamment des travaux du diagnostic paritaire du 22 septembre 2020. Il s’agit tout d’abord du maintien du lien social, le texte soulignant que « des dispositifs ad hoc mobilisant tous les acteurs de l’entreprise peuvent être élaborés et mis en œuvre dans l’entreprise pour garantir le maintien du lien social. Cela participe de la responsabilité sociétale de l’entreprise ». Par ailleurs, le texte vise à prévenir l’isolement : « Le salarié en télétravail doit pouvoir alerter son manager de son éventuel sentiment d’isolement, afin que ce dernier puisse proposer des solutions pour y remédier. À cet égard, il peut notamment être utile de mettre à disposition des salariés en télétravail les coordonnées des services en charge des ressources humaines dans l’entreprise, des services de santé au travail, etc. ».

  • La continuité du dialogue social de proximité en situation de télétravail

Le texte rappelle que les salariés en télétravail ont les mêmes droits collectifs que les salariés en présentiel « s’agissant de leurs relations avec les représentants du personnel, s’ils existent, et l’accès aux informations syndicales ». Sans en imposer la pratique, le texte retient à titre d’exemple que « des entreprises ont mis en place un “local syndical numérique”, des panneaux d’affichage en ligne, etc. ». De plus, afin que les représentants élus du personnel et les mandataires syndicaux puissent maintenir le lien avec les salariés en télétravail, le texte préconise de définir des « modalités adaptées d’utilisation des outils numériques » dans les accords ou les chartes organisant le télétravail. Le texte rappelle aussi que « les règles collectives de travail légales et conventionnelles s’appliquent pleinement en cas de recours au télétravail », en particulier celles relatives aux négociations périodiques obligatoires. Le développement du télétravail nécessite d’adapter l’organisation du dialogue social d’entreprise ou de branche, afin qu’il puisse « s’exercer dans des conditions efficaces et satisfaisantes pour tous ». Les signataires estiment que « l’organisation des réunions sur site est préférable », tout en rappelant que la réglementation autorise la tenue de réunion de négociation ou du CSE à distance en l’absence d’accord spécifique, afin, notamment, de répondre à des situations particulières.

  • La mise en œuvre du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure

Le texte considère qu’il est utile, afin de garantir la continuité de l’activité de l’entreprise, d’anticiper l’organisation du recours au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou les cas de force majeure. A cet égard, le texte souligne l’importance de prévoir dans l’accord ou, à défaut, la charte relatifs au télétravail, lorsqu’ils existent, les conditions et modalités de mobilisation du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure. 

En l’absence d’accord collectif, il est rappelé que le CSE, s’il existe, doit être consulté sur les mesures d’organisation relatives à la continuité d’activité, conformément aux dispositions du code du travail relatives à la représentation du personnel. Dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux et de CSE, les signataires encouragent les employeurs à organiser des concertations avec les salariés avant de mettre en place le plan de continuité par décision unilatérale.

Dans de telles circonstances exceptionnelles ou cas de force majeure, le recours au télétravail peut concerner des salariés qui ne connaissent pas ces modalités d’organisation de travail en période normale. Une vigilance particulière doit être apportée lorsque le télétravail est porté à 100% du temps de travail sur une très longue période. En conséquence, les modalités habituelles de consultation du CSE, lorsqu’il existe, sont adaptées aux circonstances exceptionnelles ou au cas de force majeure : le CSE est consulté dans les plus brefs délais sur cette décision.

Il est rappelé que, compte tenu des circonstances de sa mise place, le principe de double volontariat ne s’applique pas au recours au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles et de cas de force majeure.

Par conséquent, dans ce cas, l’employeur procède à une information des salariés par tout moyen, si possible par écrit, en respectant, autant que faire se peut, un délai de prévenance suffisant. Cette information peut par exemple comporter les éléments suivants : période prévue ou prévisible de télétravail, informations relatives à l’organisation des conditions de travail individuelles, informations relatives à l’organisation des relations collectives de travail, (les contacts utiles dans l’entreprise, l’organisation du temps de travail, l’organisation des échanges entre les salariés d’une part, et entre les salariés et leur représentants, s’ils existent, d’autre part, les modalités de prise en charge des frais professionnels en vigueur dans l’entreprise, les règles d’utilisation des outils numériques, etc).

Accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail