Par un arrêt du 8 novembre 2019[1], le Conseil d’Etat juge que la responsabilité de l’Etat ne peut être recherchée à raison des décisions d’orientation prises par la CDAPH et que la juridiction judiciaire est seule compétente pour connaître de toute contestation relative aux décisions de la CDAPH, y compris les demandes indemnitaires fondées sur l’illégalité des décisions.

Les faits

En l’espèce, un enfant en situation de handicap a été scolarisé de 2005 à 2010 à l’Institut Régional de jeunes sourds de Poitiers.

Par une décision du 12 juillet 2010, la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH) de la Vienne décide de l’orientation de l’enfant, alors âgé de 12 ans, en établissement d’éducation sensorielle pour déficients auditifs pour une durée de deux ans. Cependant, la CDAPH ne désigne aucun établissement d’accueil.

Par une décision du 8 juillet 2011, la CDAPH maintient cette décision.

Le 13 octobre 2011, elle refuse la demande des parents d’orienter l’enfant en unité localisée d’inclusion scolaire.

Les parents vont saisir le Tribunal administratif de Poitiers d’une demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à les indemniser des préjudices subis liés au défaut de scolarisation de celle-ci pendant deux ans (de 2010 jusqu’à la rentrée 2012).

Leur demande est rejetée en première instance.

En appel, la Cour administrative de Bordeaux annule le jugement en tant qu’il se prononce sur la responsabilité de l’Etat du fait des décisions de la CDAPH, déclare le tribunal administratif incompétent pour statuer sur la demande indemnitaire des époux et rejette le surplus des demandes.

Les juges du fond ont estimé qu’aucune carence ne pouvait, en l'espèce, être reprochée aux services de l'Etat, lesquels n’avaient pas compétence pour prendre une décision d'orientation vers un établissement ou service donné à la place de la commission ou remettre en cause l'orientation décidée par la CDAPH, ni pour imposer l’accueil de l’enfant après l'échec de la médiation entre les parents et la direction de l'établissement.

Les époux forment un pourvoi.

La solution

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle le droit de chaque enfant à l’éducation, quelles que soit les différences de situation.

Selon la Haute juridiction, « les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet de les priver du droit à l’éducation ni de faire obstacle au respect de l’obligation scolaire ».

Ainsi, « il incombe à l’Etat, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour garantir l’effectivité de ce droit et cette obligation pour les enfants handicapés ».

Le Conseil d’Etat en conclut que la carence de l’Etat dans l’accomplissement de cette mission est constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité.

Il précise, en outre, que « l’administration ne peut utilement se prévaloir de l’insuffisance des structures d’accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires sont allouées aux parents d’enfants handicapés, celles-ci n’ayant pas un tel objet ».

Dans un second temps, il rappelle la compétence exclusive du juge judiciaire pour connaître des litiges relatifs aux décisions prises par la CDAPH.
Au visa de l’article L.241-9 du code de l’action sociale et des familles[2], le Conseil d’Etat relève que les décisions prises par la CDAPH sont susceptibles de recours devant la juridiction du contentieux technique de la sécurité sociale (désormais, pôle social du Tribunal judiciaire).

Il en conclut que la responsabilité de l’Etat ne peut être recherchée à raison des décisions d’orientation prises par la CDAPH, dès lors qu’elles sont prises au nom de la MDPH et que la juridiction judiciaire est seule compétente pour connaître de toute contestation relative aux décisions de la CDAPH, y compris les demandes indemnitaires fondées sur l’illégalité des décisions.

En dernier lieu, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la Cour d’appel en ce qu’il écarte tout lien entre le défaut de scolarisation de l’enfant et une carence des service de l’Etat.

Il relève que « la CDAPH de la Vienne s'est abstenue de désigner nominativement au moins un établissement adapté aux besoins de Camille A..., compte tenu de l'orientation qu'elle avait décidée - sans que cette abstention soit imputable à une insuffisance de places dans les structures d'accueil existantes-, d'autre part que, si les parents souhaitaient que leur enfant soit accueillie à l'Institut régional de jeunes sourds de Poitiers, aucun protocole d'accueil n'a pu être signé.
Portée de l’arrêt

L’arrêt du Conseil d’Etat, publié au recueil Lebon, a donc le mérite de clarifier le périmètre de la responsabilité de l’Etat ainsi que la répartition du contentieux entre les deux ordres de juridiction.

La responsabilité de l’Etat ne peut être engagée à raison des décisions prises par la CDAPH ni des erreurs éventuellement commises par la CDAPH.

Il ajoute que le juge judiciaire est également compétent pour connaître des actions en responsabilité engagées à l’encontre de la maison départementale des personnes handicapées.

La solution n’est pas nouvelle. Le Tribunal des conflits avait déjà rendu un avis en ce sens[3].

Ainsi, dès lors que le préjudice allégué est imputable à une faute qu’aurait commise la MDPH, l’action en responsabilité engagée contre la MDPH relève nécessairement du juge judiciaire.

En revanche, l’Etat est susceptible d’engager sa responsabilité en cas de carence constatée dans l’organisation de sa mission de service public de l’éducation et dès lors qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour garantir l’effectivité du droit à l’éducation des personnes en situation de handicap.
Cette solution n’est pas nouvelle puisque le Conseil d’Etat avait déjà statué en ce sens[4]. Cette action relève de la compétence du juge administratif.

En dehors de cette dernière hypothèse, il convient de relever que les contestations des décisions relatives à l’orientation professionnelle ou à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) relèvent également de la compétence du tribunal administratif.


Références :


[1] Conseil d’Etat, 8 novembre 2019, n°412440

[2] L’article L.241-9 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction en vigueur,  disposent que les décisions prises par la CDAPH sont susceptible de recours devant l’autorité judiciaire.
 

[3] TC 11 décembre 2017, n°4105, Lebon.
« Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 143-1, L. 541-1, L. 541-2 et R. 541-3 du code de la sécurité sociale, L. 146-3, L. 146-4, L. 146-9, L. 241-6, L. 241-9 et R. 241-31 du code de l'action sociale et des familles, qu'un complément à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé peut être attribué par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, à charge d'un recours devant la juridiction du contentieux technique de la sécurité sociale, et que la demande doit en être faite à la maison départementale des personnes handicapées, groupement d'intérêt public au nom duquel sont prises les décisions de la commission ;

Considérant que le préjudice dont M. B...réclame réparation est imputable à une faute qu'aurait commise la maison départementale des personnes handicapées dans l'instruction et la transmission d'une demande de prestations dont il aurait été privé et dont le contentieux relève du juge judiciaire ;

Considérant par suite que le litige relève de la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire ; »

 

[4] En ce sens, Conseil d’Etat, 8 avril 2009 n°311434, Mme Laruelle, publié au recueil Lebon