Une fois n’est pas coutume, la Cour de cassation entend conforter les actions de l’assurance maladie en matière de lutte contre la «fraude sociale » en la dispensant du respect de certaines exigences. L’arrêt rendu le 16 mars 2023[1] en fournit une nouvelle illustration.

Rappel des faits et de la procédure

En l’espèce, la CPAM des Bouches-du-Rhône a notifié un indu et une pénalité financière à une infirmière libérale à la suite d’un contrôle de ses facturations du 1er mars 2023 au 1er avril 2015. Dans le cadre de sa contestation, l’infirmière invoque l’annulation de la procédure de recouvrement d’indu au motif notamment de l’absence de preuve de l’agrément et de l’assermentation de l’agent de contrôle ayant procédé aux auditions de patients. ​​​​​​​ En appel, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence rejette les demandes de remboursement de l’indu et en paiement de la pénalité financière. Pour annuler les actes d’enquête ainsi que l’indu notifié, les juges du fond retiennent que la caisse n’a pas communiqué les décisions d’agrément de ses agents et qu’elle ne justifie pas la publication au Bulletin officiel des décisions d’agrément. Ils en déduisent que les actes d’enquête consistant en des procès-verbaux d’audition des patients ont été pratiqués par des agents dont la décision d’agrément est inopposable aux tiers, de sorte que l’infirmier peut se prévaloir de leur absence d’habilitation. Sans surprise, la CPAM forme un pourvoi en cassation.

Statuant au visa des articles L.114-10 alinéa 1er et de l’arrêté du 5 mai 2014fixant les conditions d’agrément des agents chargés du contrôle, dans leur rédaction applicable à la présente espèce, la Haute Juridiction censure cet arrêt pour violation de ces dispositions. "4. Selon le premier de ces textes, les directeurs des organismes de sécurité sociale confient à des agents chargés du contrôle, assermentés et agréés dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, le soin de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l’attribution des prestations et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ces agents ont qualité pour dresser des procès-verbaux faisant foi jusqu’à preuve du contraire. 5. L’obligation d’agrément et d’assermentation prescrite par ce texte ne s’applique aux agents qui procèdent, sur le fondement de l’article L. 133-4 du code de la sécurité sociale, au contrôle de l’application des règles de tarification ou de facturation par un professionnel de santé que lorsqu’ils mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique. Tel est le cas notamment lorsqu’ils procèdent à une audition. 6. En outre, l’absence de publication de l’agrément n’affectant pas son existence, elle est sans incidence sur la régularité des vérifications et enquêtes administratives auxquelles procède l’agent d’un organisme de sécurité sociale agréé et assermenté. 7. Enfin, la preuve de l’agrément peut être rapportée par tous moyens."  

Rappel des règles d'habilitation des agents en charge des contrôles de facturation

L’article L.114-10 du code de la sécurité sociale dispose « Les directeurs des organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale ou du service des allocations et prestations mentionnées au présent code confient à des agents chargés du contrôle, assermentés et agréés dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale ou par arrêté du ministre chargé de l'agriculture, le soin de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations, le contrôle du respect des conditions de résidence et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles. Des praticiens-conseils et auditeurs comptables peuvent, à ce titre, être assermentés et agréés dans des conditions définies par le même arrêté. Ces agents ont qualité pour dresser des procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve du contraire. Lorsque cela est nécessaire à l'accomplissement de sa mission, un agent chargé du contrôle peut être habilité par le directeur de son organisme à effectuer, dans des conditions précisées par décret, des enquêtes administratives et des vérifications complémentaires dans le ressort d'un autre organisme. Les constatations établies à cette occasion font également foi à l'égard de ce dernier organisme dont le directeur tire, le cas échéant, les conséquences concernant l'attribution des prestations et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles ». Il résulte de ces dispositions que, dans le cadre d’un contrôle administratif, les agents administratifs n’ont qualité pour recueillir les déclarations de patients ou de tiers, et dresser des procès-verbaux que s’ils ont été assermentés et agréés. L’agrément est délivré dans les conditions définies par un arrêté fixant les conditions d'agrément des agents et des praticiens-conseils chargés du contrôle de l’application de la législation en matière de sécurité sociale. Il constitue une autorisation d’exercer ses fonctions. Il est la preuve que l’agent était effectivement chargé d’une telle mission par le Directeur de la caisse mais aussi que l’agent en charge des auditions était bien affecté à un emploi comportant une mission de contrôle, dont il a été chargé par le directeur de la caisse. Selon l’arrêté, « Les décisions d'autorisations provisoires et d'agréments définitifs sont publiées au Bulletin officiel du ministère chargé de la sécurité sociale ». Par ailleurs, l’agent en charge du contrôle doit être assermenté dans les conditions fixées à l’article L. 243-9 du Code de la sécurité sociale. Il s’agit d’une prestation de serment devant le tribunal judiciaire attesté par procès-verbal.

Il s’agit d’une garantie substantielle permettant au professionnel de santé contrôlé de vérifier l’habilitation régulière de l’agent administratif de la caisse pour mener des investigations complémentaires, recueillir les déclarations et dresser des procès-verbaux dans le cadre du contrôle administratif, ce d'autant que ces actes constituent le support des indus notifiés.

L’on pourrait aisément penser que le défaut d’habilitation de l’agent soit de nature à entacher la régularité des PV d’audition de patients, et en conséquence, de tous les actes subséquents. Il n’en rien.

Portée de l'arrêt

La Cour de cassation rappelle dans un premier temps que les agents de contrôle doivent être agréés et assermentés seulement s’ils dont usage de leurs prérogatives de puissance publique et notamment lorsqu’ils procèdent à des auditions. Cette solution n’est pas nouvelle et s’inscrit dans la lignée de sa jurisprudence antérieure[2].

Toutefois, elle juge que la CPAM n’a pas à transmettre la décision d’agrément ni à justifier sa publication au Bulletin officiel pour s’assurer de l’opposabilité aux tiers de l’habilitation de ses agents de contrôle et de la régularité des auditions menées dans le cadre des contrôles administratifs.  

Concrètement, la carte d’identité professionnelle de l’agent de contrôle ou la simple mention de l’agrément dans les PV d’auditions suffisent à apporter la preuve de l’agrément délivré. En outre l’absence de publication de l’agrément est sans incidence sur sa validité et la régularité des vérifications effectuées par les agents de contrôle. La Cour de cassation vient marquer un peu plus sa volonté d’admettre de façon très restrictive les exceptions de nullités tirées d’irrégularités de procédure.

Du reste, elle témoigne d’une application à géométrie variable de la liberté de la preuve en matière de sécurité sociale, les exigences de justification pesant sur la caisse se trouvant sans cesse allégées sous couvert de la lutte contre la fraude sociale.

Quoi qu’il en soit, je n’ai de cesse de répéter à mes clients, professionnels et établissements de santé, qu’ils ne peuvent faire l’économie d’une défense au fond! L’étude de la jurisprudence permet de constater que la Haute Juridiction est très protectrice des intérêts de la sécurité sociale. Les chances de succès de leurs prétentions sont avant tout conditionnées par les justifications qu’ils seront en mesure de produire pour justifier du bienfondé de leurs facturations. Il serait souhaitable de sensibiliser davantage les professionnels de santé sur ce point ainsi que les règles de facturation.

Le cabinet exerce une activité de conseil et de défense auprès des établissements de santé et professionnels libéraux dans le cadre de tous les litiges survenant dans les suites d'un contrôle de facturation.

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[1] Cass. 2e civ., 16 mars 2023, n° 21-14.971, Publié au bulletin.

 

[2] Civ. 1er décembre 2022 n°20-22.759 B