Très attendue par les sapeurs-pompiers de France, la loi Matras, visant à consolider notre modèle de sécurité civile et à valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers[i] du 25 novembre 2021, opère une refonte de l’organisation de la chaîne des secours d’urgence et des soins d’urgence.

Parmi les principaux apports, cette loi tend à élargir le cadre d’intervention des sapeurs-pompiers mais aussi à compléter le cadre des carences ambulancières ainsi que leurs modalités de prise en charge , modifiant ainsi les articles L.1424-2 et L.1424-42 du code général des collectivités territoriales.

A l’heure où de nombreux contentieux opposent des Services d’Incendie et de Secours (SIS) à plusieurs établissements de santé publics gestionnaires de SAMU au sujet de la prise en charge des interventions réalisées à la demande du centre 15, il est légitime de s’interroger sur les répercussions contentieuses que les nouvelles dispositions sont susceptibles d’avoir.

Actuellement, la jurisprudence administrative se veut plutôt favorable aux établissements de santé publics.

Néanmoins, les modifications envisagées par la loi Matras seraient susceptibles d’augurer un changement de lignée jurisprudentielle.

Elles pourraient en outre influencer les négociations entre les parties que ce soit dans le cadre d’un processus de médiation ou dans le cadre de l’élaboration des conventions entre les SIS et les établissements de santé publics.

Quelles sont les modifications envisagées concernant les missions des sapeurs-pompiers et les modalités de prise en charge financières et en quoi sont-elles de nature à impacter les contentieux ?
 

  1. L’élargissement du cadre d’intervention des sapeurs-pompiers 

L’article L.1424- 2 du CGCT modifié dispose :
« Les services d'incendie et de secours sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies.
Ils concourent, avec les autres services et professionnels concernés, à la protection et à la lutte contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à l'évaluation et à la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi qu'aux secours et aux soins d'urgence.
Dans le cadre de leurs compétences, les services d'incendie et de secours exercent les missions suivantes :
1° La prévention et l'évaluation des risques de sécurité civile ;
2° La préparation des mesures de sauvegarde et l'organisation des moyens de secours ;
3° La protection des personnes, des animaux, des biens et de l'environnement ;
4° Les secours et les soins d'urgence aux personnes ainsi que leur évacuation, lorsqu'elles :
a) Sont victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ;
b) Présentent des signes de détresse vitale ;
c) Présentent des signes de détresse fonctionnelle justifiant l'urgence à agir.
Les actes de soins d'urgence qui peuvent être réalisés par les sapeurs-pompiers n'étant pas par ailleurs professionnels de santé ainsi que leurs modalités de mise en œuvre sont définis par décret en Conseil d'Etat.
Un arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité civile et de la santé fixe les compétences nécessaires à la réalisation de ces actes et leurs modalités d'évaluation.
Afin de réaliser leurs missions de secours et de soins d'urgence, les sapeurs-pompiers peuvent participer à la réalisation d'actes de télémédecine, dans le cadre de leurs compétences ».

Les SIS sont chargés traditionnellement des opérations de secours à personnes. L’article L.742-1 du code de la sécurité intérieure modifié les définit comme « un ensemble d’actions caractérisées par l’urgence qui vise à soustraire les personnes, les biens et l’environnement aux effets dommageables d’accidents, sinistres et catastrophes, de détresses ou de menaces ».

Il précise qu’elle recouvre « les opérations réalisées dans le cadre des missions définies à l’article L.1424-2 du code général des collectivités territoriales ».

La loi Matras vise à préciser les missions des services d’incendie et de secours définis à cet article, en ajoutant les soins d’urgence aux missions des SIS.

Cette modification est destinée à permettre de reconnaître la pratique d’actes de soins d’urgence par les sapeurs-pompiers.

Les nouvelles dispositions précisent que les services d’incendie et de secours exercent leurs missions de secours et soins d’urgence dans trois situations :

  • Pour les personnes victimes d’accidents, de sinistres et de catastrophes ;
  • Pour les personnes qui présentent des signes de détresse vitale ;
  • Pour les personnes qui présentent des signes de détresse fonctionnelle justifiant l’urgence à agir.

En principe, seuls les pompiers professionnels de santé devraient être autorisés à effectuer des soins d’urgence.

Toutefois, dans l’esprit du législateur, il s’agirait également de reconnaitre que même les sapeurs-pompiers non professionnels de santé sont amenés à effectuer des soins d’urgence dans l’intérêt du patient, notamment lorsque le SMUR n’est pas présent sur le lieu d’intervention.

La reconnaissance des actes d’urgence pratiqués par les sapeurs-pompiers doit donc s’accompagner d’une formation, laquelle devrait être assurée par le service de santé et de secours médical (SSSM) qui assure traditionnellement une mission de formation.

Un décret en conseil d’Etat devra préciser la liste des soins d’urgence que les sapeurs-pompiers seront autorisés à pratiquer ainsi que dans quels cas les sapeurs-pompiers non professionnels de santé (n’appartenant pas au SSSM) seront habilités à effectuer certains actes et lesquels, leurs modalités de formation, ainsi que l’articulation de leurs missions avec l’aide médicale urgente.

Par ailleurs, la loi Matras fait des sapeurs-pompiers des « acteurs » des soins d’urgence en étendant leurs missions. Mais la consécration légale d’une pratique des actes de soins d’urgence n’est pas sans conséquence sur leur financement.

L’article L.742-11 du code de la sécurité intérieure dispose que « Les dépenses directement imputables aux opérations de secours au sens des dispositions de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales sont prises en charge par le service départemental ou territorial d'incendie et de secours, sauf dans les cas où la loi en dispose autrement ».

Oubli volontaire ou pas, l’absence de précision relatives aux soins d’urgence donnera certainement lieux à interprétation en ce qui concerne l’identité du financeur et la possibilité de refacturer les frais directement imputables aux soins d’urgence réalisés par les sapeurs-pompiers.

Il ne faut pas oublier que dans l’esprit du législateur, la finalité de cette réforme est de ne pas reporter sur le SIS des dépenses qui ne se rattachent pas à l’exercice de leurs missions et pesant sur le budget des collectivités territoriales qui sont les principaux financeurs.

Mais la consécration des soins d’urgence au titre des missions de service public du SIS définies à l’article L.1424-2 du CGCT devrait conduire à une prise en charge par le budget de la collectivité.

Par ailleurs, à la lecture des travaux parlementaires, la loi Matras semble introduire la notion de départs réflexe en s’abstenant de la nommer et de la définir.  Quid de la prise en charge financière de ces interventions ?

Cette imprécision est regrettable dès lors qu’elle ne permettra pas de lever toutes les incertitudes liées à la qualification de ces interventions de prompts secours et leurs modalités de prise en charge. Elle ne sera donc pas à mon sens de nature à tarir les contentieux actuels à ce sujet.

 

  1. Redéfinition du cadre des carences ambulancières et des modalités de prise en charge des interventions des SIS ne relevant pas de leurs missions de service public

La prise en charge financière des interventions des services d’incendie et de secours dépend de la nature des missions.

En effet, lorsque les interventions relèvent des missions de service public légalement dévolues aux SIS par l’article L.1424-2 du CGCT, les dépenses directement imputables aux missions de secours sont financées par le budget de la collectivité territoriale (article L.742-11 du code de sécurité intérieure).

Par ailleurs, l’article L.1424-42 du même code dispose que les SIS ne sont tenus qu’aux seules interventions qui se rattachent à leurs missions de service public définies à l’article L.1424-2 4° et que les interventions réalisées en dehors de leurs missions propres peuvent donner lieu à une participation, dont ils déterminent eux-mêmes les conditions.

Sur le fondement de ces dispositions (dans leur rédaction antérieure à la loi Matras), la Haute juridiction, relayée par plusieurs tribunaux administratifs[ii], a pu considérer :

  • Que les services d’incendie et de secours ne peuvent demander, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article L. 1424-42 du même code, une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération de leur seul conseil d’administration, aux établissements de santé, sièges des services d’aide médicale d’urgence ;
  • Que le centre hospitalier ne peut être considéré comme un bénéficiaire au sens de l'article L.1424-42 du CGCT ;
  • Que le SIS n’est pas fondé à se prévaloir d’un enrichissement sans cause lorsque les interventions relèvent de leurs missions propres de service public ;
  • Que les transports réalisés par le SIS à la suite d’un départ réflexe relèvent de leurs missions propres.

La loi Matras opère à une réécriture globale de l’article L.1424-42 du CGCT lequel dispose désormais :
« I. Les services d'incendie et de secours ne sont tenus de procéder qu'aux seules opérations de secours qui se rattachent directement à leurs missions de service public définies à l'article L. 1424-2.

S'ils ont été sollicités pour des interventions ne se rattachant pas directement à l'exercice de leurs missions, ils peuvent différer ou refuser leur engagement afin de préserver une disponibilité opérationnelle pour les missions relevant du même article L. 1424-2.

S'ils ont procédé à des interventions ne se rattachant pas directement à l'exercice de leurs missions, ils peuvent demander aux personnes physiques ou morales bénéficiaires ou demandeuses une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d'administration.

II. Les interventions effectuées par les services d'incendie et de secours sur la prescription du service d'aide médicale urgente, lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés pour une mission visant à la prise en charge et au transport de malades, de blessés ou de parturientes, pour des raisons de soins ou de diagnostic, et qui ne relèvent pas de l'article L. 1424-2 sont des carences ambulancières.


A la demande du service d'incendie et de secours, les carences peuvent être constatées par le service d'aide médicale urgente, après la réalisation de l'intervention, selon les critères de définition des carences mentionnés au premier alinéa du présent II.

En cas de désaccord sur les modalités d'application des critères, une commission de conciliation paritaire se réunit sous l'égide du comité départemental de l'aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires.


Les conditions de recours amiable sont définies selon des modalités fixées par décret.

Les carences ambulancières font l'objet d'une prise en charge financière par l'établissement de santé où se situe le siège du service d'aide médicale urgente.


Les conditions de cette prise en charge sont fixées par une convention entre le service d'incendie et de secours et l'établissement de santé où se situe le siège du service d'aide médicale urgente, selon des modalités fixées par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité civile et de la sécurité sociale.

III. L’engagement de moyens par les services d'incendie et de secours sur le réseau routier et autoroutier concédé, y compris sur les parties annexes et les installations annexes, fait l'objet d'une prise en charge par les sociétés concessionnaires d'ouvrages routiers ou autoroutiers.

Les conditions de cette prise en charge sont déterminées par une convention entre les services d'incendie et de secours et les sociétés concessionnaires d'ouvrages routiers et autoroutiers, selon des modalités fixées par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité civile et des finances.

Cette convention prévoit également les conditions d'accès et d'usage aux infrastructures routières ou autoroutières, à titre gratuit, des véhicules des services d'incendie et de secours en opération, en application de l'article L. 122-4-3 du code de la voirie routière.


IV. Les moyens mis à la disposition des établissements de santé par les services d'incendie et de secours, au bénéfice des structures mobiles d'urgence et de réanimation, font l'objet d'une prise en charge par les établissements de santé.

Les conditions de cette prise en charge sont déterminées par une convention entre le service d'incendie et de secours et l'établissement de santé siège de la structure mobile d'urgence et de réanimation. ».

A la lecture de ces nouvelles dispositions, on peut esquisser 4 autres modifications qui appellent pour la plupart quelques réserves en considération des contentieux actuels.

  • La possibilité de différer ou refuser leur intervention afin de préserver une disponibilité opérationnelle pour leurs interventions relevant de leurs missions propres.

 

  • Le maintien et l’extension de la possibilité pour les SIS de facturer les frais liés aux interventions qui ne relèvent pas de leurs missions propres.

Les SIS peuvent désormais facturer cette participation aux personnes physiques ou morales bénéficiaires ou demandeuses une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d'administration.

La précision n’est pas anodine puisque traditionnellement la notion de bénéficiaire était définie comme la personne qui tirait directement profit de l’intervention du SIS soit le patient lui-même. La jurisprudence avait admis qu’une participation puisse être réclamée à des tiers, généralement des sociétés chargées de la maintenance ou des syndics de copropriété chargé d l’entretien des ascenseurs.
L’on pourrait penser que cette modification ne fait qu’entériner les solutions dégagées par la jurisprudence. Mais de fait, elle pourrait fonder la facturation aux établissements gestionnaires de SMUR d’une participation aux frais des SIS, sous réserve bien évidemment que les interventions refacturées ne relèvent pas de leurs missions propres.
 

  • La possibilité de requalifier a posteriori une intervention en carence ambulancière

La prise en charge financière des carences ambulancières par l’établissement siège du SAMU est subordonnée au constat d’une carence ambulancière, cette celle-ci devant être constatée lors de l’appel.
Toutefois, la loi Matras introduit la possibilité de requalifier a posteriori une intervention en carence, après sa réalisation, à la demande du SIS.

Cette requalification a posteriori risque d’être sujette à interprétation en dépit de la redéfinition de la notion de carence ambulancière.

La question que l’on peut légitimement se poser est de savoir si les interventions relevant de départs réflexes, répondant à la définition des carences ambulancières, seront susceptibles avec la loi Matras de donner lieu à une refacturation aux établissements de santé.

Le rapport de la commission des lois sur la proposition de loi prenait le soin de préciser que les départs réflexes étaient exclus du champ des carences ambulancières et avait exclu la possibilité de requalifier a posteriori une intervention en carence.

Ici encore, des précisions auraient été souhaitables afin de prévenir des divergences d’interprétation et les tentatives de requalification a posteriori.
 

  • La consécration légale des conventions d’appui logistique lors que le SIS met à disposition son véhicule et son équipage.

La loi Matras consacre légalement les conventions d’appui logistique et le principe d’une prise en charge financière de ces mises à disposition des moyens des SIS au bénéfice des SMUR directement par l’établissement de santé.

Sur ce point, les modifications introduites s’inscrivent dans la continuité des solutions jurisprudentielles.
Néanmoins, elle créé de fait un risque financier non négligeable pour les centres hospitaliers face au positionnement actuel des SIS et faute de délimitation claire et précise entre les missions du SIS et l’aide médicale urgente.

Dans le cadre des contentieux en cours gérés par le cabinet, les SIS ont tenté de requalifier de façon systématique les interventions réalisées à la demande du centre 15 en appui logistique dès lors que l’intervention est effectuée à la demande du centre 15, peu importe que le transport soit médicalisé où non et indépendamment de l’engagement préalable ou non d’un VASV à celui du SMUR. Ils visent donc des situations où se situent sur un même lieu d’intervention un VASV, auto-déclenché ou pas, et un véhicule SMUR, de même qu’il vise les transports réalisés à la suite de départs réflexes.

En conclusion, en l’état, cette loi ne devrait pas impacter directement les contentieux actuels, faute d’être rétroactive, sauf à influencer peut-être la teneur des négociations dans le cadre des médiations administratives impulsées par les tribunaux ou la négociation des conventions.

Mais elle ne sera pas à mon sens de nature à purger tous les contentieux relatifs au financement dès lors qu’elle ne permettra pas de dissiper les difficultés à caractériser la nature de certaines interventions.


[1] Loi n°2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et à valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers

[2] CE 1-4 chambres réunies, 18 mars 2020, n° 425990, publié aux tables du recueil Lebon ; Tribunal administratif d’Amiens, 12 mai 2021, centre hospitalier intercommunal de MONTDIDIER-ROYE C SDIS DE L’OISE, N°1801201 ; centre hospitalier de GISORS C/ SDIS DE L’OISE 1801202 ; centre hospitalier d’ABBEVILLE n°1801458.

CE, 1ère et 4ème chambres réunies, 30/10/2021 n°443335.