Par un arrêt du 13 novembre 2019, le Conseil d’Etat considère qu'un centre hospitalier engage sa responsabilité à défaut d’information d’une femme enceinte, au cours d’une consultation publique et à un stade avancé de sa grossesse, sur les risques de malformations du fœtus et des examens permettant d’évaluer ces risques[1].

La circonstance que la patiente ait fait l’objet d’un suivi en début de grossesse dans le secteur privé de même que l’intervention de plusieurs praticiens dans son suivi ne sont pas de nature à exonérer le praticien.
 

Les faits 

Dans le cadre du suivi de sa grossesse, une patiente âgée de 40 ans a bénéficié de trois échographies :

  • La première réalisée le 24 avril 2008 à 16 semaines et demie d’aménorrhée dans le cadre d’une consultation libérale au centre hospitalier ;
  • La seconde réalisée le 4 juin 2008, dans un cabinet de radiologie privé ;
  • La troisième réalisée le 21 août 2008, à 34 semaines d'aménorrhée, dans le cadre d’une consultation publique à l’hôpital, suite à une consultation du 8 juillet 2008.

Les échographies réalisées n’ont révélé aucune anomalie de la morphologie fœtale. 

Le 1er octobre 2008, la patiente donne naissance à un enfant atteint de trisomie 21 et souffrant d'une malformation cardiaque.

Les époux ont demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier à leur verser la somme globale de 550 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du suivi de la grossesse de la patiente et de la naissance de l’enfant handicapé.
Successivement, le tribunal administratif de Pau, ainsi que la cour administrative d’appel de Bordeaux rejettent la demande indemnitaire.

Le problème

Le praticien a-t-il commis une faute dans le cadre du suivi de la grossesse de la patiente, susceptible d’engager la responsabilité du centre hospitalier ?


Solution 

Dans le cadre du pourvoi, le Conseil d’Etat apprécie la responsabilité du centre hospitalier en deux temps, dans la mesure où le début de grossesse a été suivi dans le cadre de consultations libérales.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat écarte la responsabilité du centre hospitalier au titre de la première consultation.

Pour se faire, la Haute juridiction relève que la consultation n’a pas été exécutée dans le cadre du service public hospitalier mais revêtait un caractère libéral.

Il relève en outre que la cour pouvait se fonder sur l'attestation de paiement éditée qui mentionne le "détail du paiement libéral" de la consultation.

Enfin, il relève que l'absence d'information ou de consentement de la patiente quant au caractère libéral de la consultation était sans incidence sur ce caractère libéral.

Il en conclut que la Cour n’a commis aucune erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

En revanche, le Conseil d’Etat considère que la Cour a commis une erreur de droit en estimant que le centre hospitalier n’avais pas commis de faute au titre de la troisième consultation.

Cette condamnation intervient au visa des articles L.2131-1 et R.2131-2 du code de la santé publique qui consacrent une obligation d’information spécifique délivrée à la femme enceinte.

Aux termes de l'article L. 2213-1 du code de la santé publique : " L'interruption volontaire d'une grossesse peut, à toute époque, être pratiquée si deux médecins membres d'une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ".

Par ailleurs, aux termes du II de l'article L. 2131-1 du code de la santé publique : " Toute femme enceinte reçoit, lors d'une consultation médicale, une information loyale, claire et adaptée à sa situation sur la possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d'imagerie permettant d'évaluer le risque que l'embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse ".
Aux termes du I de l'article R. 2131-2 du même code : " Lors du premier examen médical mentionné au second alinéa de l'article R. 2122-1 ou, à défaut, au cours d'une autre consultation médicale, toute femme enceinte est informée par le médecin ou la sage-femme de la possibilité d'effectuer, à sa demande, un ou plusieurs des examens mentionnés au I de l'article R. 2131-1. / Sauf opposition de la femme enceinte, celle-ci reçoit une information claire, adaptée à sa situation personnelle, qui porte sur les objectifs des examens, les résultats susceptibles d'être obtenus, leurs modalités, leurs éventuelles contraintes, risques, limites et leur caractère non obligatoire ".

Le Conseil d’Etat déduit de ces dispositions que « lorsqu'un praticien d'un centre hospitalier reçoit en consultation une femme enceinte ayant auparavant été suivie dans un autre cadre, il lui appartient de vérifier que l'intéressée a, antérieurement, effectivement reçu l'information prévue à l'article L. 2131-1 du code de la santé publique et, à défaut, de lui donner cette information, y compris jusqu'aux derniers moments de la grossesse ».

Par conséquent, le Conseil d’Etat estime que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en estimant que le centre hospitalier n’avait commis aucune faute :
« Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter toute responsabilité du centre hospitalier de Bigorre au titre du suivi de la grossesse de Mme D..., la cour administrative d'appel a retenu, par adoption des motifs du jugement du tribunal administratif, que le centre hospitalier de Bigorre n'avait pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité en n'informant pas l'intéressée du risque que son enfant soit atteint de trisomie 21 ou de l'intérêt de pratiquer des examens afin de détecter d'éventuelles affections du foetus, notamment une amniocentèse qu'il est possible de réaliser à tout moment de la grossesse même si elle est habituellement programmée entre 15 et 17 semaines d'aménorrhée.

7. En statuant ainsi, alors qu'il appartenait au centre hospitalier de Bigorre, ainsi qu'il a été dit au point 5, de donner à Mme D..., même à un stade avancé de sa grossesse où il est d'ailleurs encore possible de pratiquer une amniocentèse et, le cas échéant, une interruption médicale de grossesse, l'information prévue aux articles L. 2131-1 et R. 3121-2 du code de la santé publique qu'elle n'avait pas reçue auparavant, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ».

Portée de l'arrêt 

Cet arrêt rappelle que l’information du patient prévue à l’article L.2131-1 du CSP, tout comme l'information générale du patient, incombe à chaque professionnel de santé, y compris dans le cas d’une prise en charge par plusieurs praticiens et est due à tous les stades de la prise en charge [2].

Dans le cadre d’une consultation de suivi  d'une grossesse, le praticien doit :

  • S’assurer que la patiente a été effectivement informée du risque de malformation ou de l'intérêt de pratiquer des examens afin de détecter d'éventuelles anomalies,
  • Et à défaut, de lui délivrer l’information, en début de grossesse et à tous les stades du suivi, y compris à un stade avancé.

Bien que les recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé mettent l’accent sur la nécessité d’une information orale et adaptée du patient, au cours d’un entretien individuel, les praticiens ont tout intérêt à compléter cette information orale par des écrits spécifiques (à l’instar des remises effectuées en cas d’admission d’un patient ou pour la réalisation de certains actes spécifiques comme en matière d’Assistance Médicale à la Procréation) et à tracer l’exécution de cette obligation dans le dossier médical de la patiente. 

 


NOTES 


[1] Conseil d’Etat, 13 novembre 2019, n°420299

[2] En ce sens, l’article L.111-2 du code de la santé publique qui précise que « l’information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables ».
L’article 4127-64 du code de la santé publique rappelle ainsi que « chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l'information du malade ».