Antérieurement au 1er janvier 2019, l’organisation du contentieux de la sécurité sociale distinguait le contentieux général du contentieux technique, reposant sur des juridictions spécialisées et l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire pour certains litiges.

La loi de modernisation de la justice du XXIème siècle a amorcé une réforme structurelle de l’organisation du contentieux de la sécurité sociale. Ainsi, depuis le 1er janvier 2019, le Tribunal de Grande Instance était seul compétent pour connaître, en première instance, des contestations relatives :

  • au contentieux général de la sécurité sociale, relevant de la compétence des TASS, excepté en matière de tarification des accidents du travail.
  • au contentieux de l’incapacité, relevant de la compétence des TCI (décisions relatives à l’état d’incapacité et la fixation du taux d’IPP, à l’état d’invalidité ou décisions prises par les MDPH).
  • au contentieux de l’aide sociale, confié actuellement aux Commissions Départementales d’Aide Sociale (CDAS) (litiges relatifs aux décisions du Président du conseil départemental et du représentant de l’Etat dans le département en matière de prestations d’aides sociales).

Les TCI et les TASS ont donc été supprimés.  

Dans un précédent article, j’évoquais les grands axes de la réforme du contentieux de la sécurité sociale ainsi que ses impacts procéduraux :  https://www.huet-avocat.fr/publications/reforme-du-contentieux-de-la-securite-sociale-ce-qui-change-au-1er-janvier-2019

https://www.huet-avocat.fr/publications/reforme-du-contentieux-de-la-securite-sociale-et-de-laide-sociale-quels-impacts-proceduraux  

Moins d’un an après cette modification, la loi de programmation et de réforme de la justice poursuit la réforme structurelle des juridictions du contentieux de la sécurité sociale[1]. Elle prévoit comme mesure phare la fusion du tribunal d’instance (TI) et du tribunal de grande instance (TGI) en tribunal judiciaire (TJ).

Plusieurs décrets sont venus préciser les conséquences relatives à cette fusion et la création du Tribunal judiciaire[2].

Tout récemment, et furtivement, le décret du 30 décembre 2019, modifie certaines règles de procédure applicables aux recours administratifs préalables obligatoires et à l’organisation du contentieux de la sécurité sociale[3].

Dans le prolongement des précédents articles, je m’attache à vous livrer ici les principales modifications dont certaines sont entrées en vigueur au 1er janvier 2020.  

I- Dispositions en vigueur au 1er janvier 2020

1. Transfert de compétence du contentieux de la sécurité sociale au pôle social du Tribunal Judiciaire (TJ)

La loi de programmation prévoit la fusion des TI et TGI pour créer le Tribunal Judiciaire (TJ). Le tribunal judiciaire devient, en conséquence, la juridiction de droit commun en première instance. Un premier décret du 30 août 2019 (n°2019-912) organise le transfert des instances en cours au tribunal judiciaire désormais compétent.  

Deux décrets du 30 août 2019 (n°2019-913 et 914) définissent la nouvelle carte judiciaire. Ils mentionnent en annexe le siège et le ressort des tribunaux judiciaires spécialement désignés.

2. Suppression de la distinction du contentieux technique et général

Le décret poursuit la suppression amorcée par le décret du 29 octobre 2018 de la distinction du contentieux technique et général au profit de la distinction contentieux médical et non médical. Il procède donc à un toilettage des dispositions du code de la sécurité sociale.

3. Modification de la procédure de contestation auprès de la CMRA

Le décret du 30 décembre 2019 élargit la compétence de la Commission Médicale de Recours Amiable (CMRA) et modifie la procédure de contestation. Ces dispositions s'appliquent aux recours préalables introduits à compter du 1er janvier 2020.  

  • Champ de compétence de la CMRA

Elle est compétente pour les litiges relatifs :

-A l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole (d’ordre médical) ;

 

-A l'état ou au degré d'invalidité, en cas d'accident ou de maladie d’origine non professionnelle, et à l'état d'inaptitude au travail ;

 

-A l'état d'incapacité permanente de travail, notamment au taux de cette incapacité, en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;

 

-A l'état ou au degré d'invalidité, en cas d'accidents ou de maladies régies par les titres III, IV et VI du livre VII du code rural et de la pêche maritime,

 

-A l'état d'inaptitude au travail ainsi que, en cas d'accidents du travail ou de maladies professionnelles régies par les titres V et VI du même livre VII, à l'état d'incapacité permanente de travail, notamment au taux de cette incapacité.

 

  • Modification de la procédure pour les contestations d’ordre médical

Lorsque le recours préalable est exercé par l'assuré, la commission médicale de recours amiable peut décider, d'office ou à la demande de l'assuré, de procéder à son examen médical.  

Elle peut également décider de désigner un praticien spécialiste ou compétent pour l'affection considérée, en vue de réaliser l'examen médical ou une expertise sur pièces, en cas d'impossibilité de déplacement liée au particulier éloignement géographique de l'assuré ou s'il y a lieu de solliciter un avis médical complémentaire.  

Lorsqu'un examen clinique est demandé par la commission, le praticien désigné procède à l'examen de l'assuré dans les huit jours suivant la réception de la mission et du rapport du médecin conseil.

Il informe l'assuré au moins huit jours avant l'examen clinique des lieu, date et heure de ce dernier. L'assuré peut être accompagné du médecin de son choix.

Le praticien désigné communique son rapport, qui comporte des conclusions motivées, dans un délai de quinze jours à compter de l'examen clinique ou dans un délai de vingt jours à compter de la réception des éléments.

Le rapport du praticien désigné ne s'impose pas à la commission médicale de recours amiable. Il est joint au rapport établi par ladite commission.

La CMRA établit un rapport comportant :

  • Son analyse du dossier,
  • Ses constatations,
  • Ses conclusions motivées.

Elle rend un avis qui s’impose à l’organisme de prise en charge.

L’organisme de prise en charge notifie la décision à l’assuré. Mais en l’absence réponse dans un délai de quatre mois (délai en vigueur au 1er janvier 2019), la contestation est réputée rejetée.  

4. Dispositions particulières aux recours relevant à la fois de la compétence de la CRA et de la CMRA

La Commission de Recours Amiable (CRA) sursoit à statuer jusqu’à ce que la Commission Médicale de Recours Amiable (CMRA) ait statué sur la contestation d’ordre médical. L’avis de la CMRA sur la contestation d’ordre médical s’impose à la Commission de Recours Amiable.  

5. Dispositions spécifiques encadrant les recours relatifs au remboursement des transports à l’assuré et des frais de transport de l’accompagnant (R.142-18 du CSS).

Ces dispositions concernent les frais de transport suivants :

  • Transport par une ambulance ;
  • Transport assis professionnalisé, véhicule sanitaire léger et taxi ;
  • Frais de transport en commun exposés par une personne accompagnant un assuré ou un ayant droit, lorsque l'état de ce dernier nécessite l'assistance d'un tiers ou qu'il est âgé de moins de seize ans.

Le bénéfice de ce remboursement est soumis à l’avis conforme du médecin expert ou consultant qui examine la demande du requérant, sur la base des pièces jointes à la requête.

S’il n’en fait pas la demande dans sa requête, l’assuré peut bénéficier du remboursement des frais de transports selon les conditions prévues par le code de sécurité sociale et sous réserve de justifier d’une prescription médicale de transport.

6. Modification de la procédure d’expertise médicale technique amiable

L’article R.141-1 du code de la sécurité sociale, modifié, prévoit que les contestations médicales relatives à l’état de l’assuré ou du bénéficiaire, ou de la victime d’un ATMP  visées à l’article L.141-1 du CSP seront soumises à un médecin expert, dans un délai de quinze jours à compter de la date où est apparue une contestation d’ordre médical ou de la réception d’une demande d’expertise formulée par l’assuré.  

  • Modification des modalités de désignation

Le choix est laissé davantage à la discrétion du service du contrôle médical.

Sous l’empire des anciennes dispositions, le médecin expert était désigné, d'un commun accord, par le médecin traitant et le médecin conseil ou, à défaut d'accord dans le délai d'un mois à compter de la contestation, par le directeur général de l'agence régionale de santé (à charge pour l'ARS d'aviser la caisse de la désignation de l'expert).

Désormais, le service du contrôle médical désigne un médecin expert parmi les médecins spécialistes ou compétents pour la contestation d’ordre médical concernée et inscrit sur la liste des experts judiciaires spécialisés en matière de sécurité sociale.

A défaut de médecins experts disponibles, le service de contrôle médical informe le médecin traitant de l’assuré de l’identité du médecin expert qu’il entend désigner.

A défaut d’opposition dans un délai de 8 jours suivant la notification de cette proposition, le service médical procède à la désignation dans un délai de 20 jours à compter de la date où est apparue une contestation d’ordre médical ou de la réception de la demande.

En cas d’opposition du médecin traitant, le médecin expert est désigné par l’ARS. Le service médical n’est donc plus tenu de se mettre en rapport avec le médecin traitant (dans un délai de trois jours) pour procéder à la désignation de l’expert tel que cela était prévu par l’ancien article R.141-2 du CSS.  

  • Modification du contenu et des modalités de transmission du protocole d’expertise

Le décret maintient l’obligation de rédiger un protocole d’expertise.

Ce protocole doit être communiqué, accompagné du rapport du médecin conseil, par le service du contrôle médical au médecin expert désigné dans un délai de 5 jours suivant la désignation de l’expert.

Il est communiqué par tout moyen conférant date certaine (et non plus par pli recommandé).

Outre les avis respectifs du médecin traitant et du médecin conseil, les motifs de la demande lorsqu’elle est demandée par la victime, la mission confiée à l’expert et les questions posées, le protocole doit préciser en outre les pièces communiquées par l’assuré à l’appui de sa contestation.  

  • L’examen clinique de l’assuré n’est pas de droit

L’expert peut décider, compte-tenu de la nature du litige, du rapport du médecin conseil et des pièces communiquées par l’assuré de décider qu’il n’y a pas lieu de procéder à  son examen clinique. Il peut donc statuer sur pièces.  

  • Modification des délais encadrant le déroulement de la procédure d’expertise

Le cas échéant, lorsqu’il décide de procéder à l’examen clinique, il doit être réalisé dans un délai de 8 jours suivant la réception du protocole (contre 5 jours antérieurement).

Les délais de communication du rapport sont également modifiés.

  • Le rapport est communiqué à la caisse avant l’expiration d’un délai de 15 jours à compter de l’examen clinique ou en l’absence d’examen, dans un délai de 20 jours à compter de la réception du protocole.
  • Le rapport est communiqué par le service de contrôle médical à l’assuré.

A réception de l’avis du médecin expert, la caisse prend une nouvelle décision et la notifie dans un délai de quinze jours maximum suivant la réception de cet avis.

Le Décret ajoute des dispositions visant à encadrer la transmission de données médicales à caractère personnel ou la transmission d’informations ou de données à caractère secret.

La transmission s’effectue par voie postale sous pli confidentiel, portant la mention secret médical.

La transmission de données médicales aux juridictions peut s’effectuer par voie électronique avec chiffrement des données.

Enfin, la procédure d’expertise médicale est exclue pour certaines contestations et en particulier pour les contestations d’ordre médical soumises à la CMRA  (Nouvel article R.142-7 du CSS).

7. Modification de la procédure d’expertise médicale dans les litiges faisant apparaître une difficulté d’ordre médical relative à l’état de l’assuré ou du bénéficiaire, ou de la victime d’un ATMP.

Il est rappelé que la juridiction ne peut statuer qu’après mise en œuvre de l’expertise médicale prévue à l’article L.141-1 du code de la sécurité sociale.

Le tribunal doit définir la mission confiée et les questions posées à l’expert.

Le médecin expert remet son rapport au greffe dans un délai d’un mois à compter de la date de la réception de la demande d’expertise adressée par la caisse.

Le Greffe transmet dans les 48H suivant sa réception, copie du rapport au service du contrôle médical de la caisse dont la décision est contestée par l’assuré.

La nouvelle procédure d’expertise médicale peut être ordonnée par le tribunal au vu rapport du médecin expert ou des observations des parties.

Dans ce cas, il désigne le nouvel expert.

L’expert procède à l’examen clinique de l’assuré dans les 8 jours suivant la notification de sa désignation.

L’expert peut cependant statuer sur pièces lorsque l’examen de l’assuré ne lui semble pas nécessaire.

L’expert doit adresser son rapport dans un délai d’un mois à compter de la notification de sa désignation.

Il est transmis par le greffe dans les 48H de sa réception au plus tard au service du contrôle médical de la caisse dont la décision est contestée ainsi qu’à l’assuré.

8. Modification du traitement contentieux

  • Modification des règles de comparution : une oralité à géométrie variable

Depuis le 1er janvier 2019, les parties peuvent être dispensées de se présenter à l’audience.

Le décret, tout en rappelant le caractère oral de la procédure, maintient cette faculté. Il modifie l’article R. 142-10 du code de la sécurité sociale précisant que toute partie peut, en cours d’instance, exposer ses moyens par lettre adressée au juge, à condition de justifier que la partie adverse en a eu connaissance avant l’audience par LRAR.

La partie qui use de cette faculté peut ne pas se présenter à l’audience. Dans cette hypothèse, le jugement rendu est contradictoire.

Le juge a néanmoins la faculté d’ordonner que les parties se présentent devant lui.

Par ailleurs, en fonction des circonstances, le tribunal (et la Cour d’appel) peut décider d’office ou à la demande d’une partie ou des médecins présents que les débats aient lieu en chambre du conseil lorsque la publicité des débats est susceptible de porter une atteinte à l’intimité de la vie privée.  

  • Sanction du défaut de diligences des parties

Enfin, le décret prévoit la possibilité pour le Président de constater d’office ou à la demande des parties la péremption de l’instance lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir les diligences mises à leur charge par la juridiction pendant le délai de deux ans. 

Le décret précise que ces dispositions, prévues à l’article R.142-10 du code de la sécurité sociale, s’appliquent à compter du 1er janvier 2020 y compris aux péremptions non constatées  à cette date.

Lorsque le juge envisage de la constater d’office, il doit inviter les parties à présenter leurs observations.  

II- Dispositions dont l’entrée en vigueur est différée

1. La simplification de la compétence territoriale du pôle social

Dans le prolongement de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, le décret affiche l’objectif de simplifier le traitement des contentieux dévolus aux tribunaux judiciaires et cours d’appel spécialement désignées en application des articles L.211-16, L.311-15 et L.311-16 du code de l’organisation judiciaire.

Sauf s’il en est disposé autrement, le tribunal judiciaire compétent est celui dans le ressort duquel demeure le demandeur ou se situe le siège de l’organisme (si le demandeur demeure à l’étranger).

Ces dispositions seront en vigueur à compter du 1er septembre 2020.  

2. La suppression de l’expertise médicale technique prévue à l’article L.141-1 du code de la sécurité sociale  et la généralisation progressive de la compétence de la CMRA

L’article 9, relatif aux dispositions transitoires, poursuit la suppression progressive de l’expertise médicale technique, mentionnée à l’article R.141-1 en étendant dans le même temps la compétence de la CMRA, de manière à unifier les procédures de contestations des décisions de nature médicale.

Ainsi, les dispositions relatives à l’expertise médicale technique seront abrogées à compter du 1er janvier 2022.  

 


[1] Loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.

[2] Décret n°2019-912 du 30 août 2019 relatif à la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance en tribunaux judiciaires ; décret n°2019-913 relatif aux conséquences dans les textes et code en vigueur de la substitution du tribunal judiciaire au tribunal de grande instance et au tribunal d’instance ; Décret n°2019-914 relatif aux dispositions qui relèvent du décret simple du code de l’organisation judiciaire pour tirer les conséquences de la création du tribunal judiciaire.

[3] Décret n°2019-1506 du 30 décembre 2019 relatif à la simplification du contentieux de la sécurité sociale publié au JORF du 31 décembre 2019 texte n°6