Face à la propagation du Coronavirus, le Gouvernement a été conduit à prendre une série de mesures visant à limiter les déplacement des personnes hors de leur domicile.

Depuis le 17 mars, un dispositif de confinement a été mis en place sur l’ensemble du territoire national, pour une durée de quinze jours minimum.

Selon ce dispositif, les déplacements sont interdits sauf dans cinq cas, limitativement énumérés, et uniquement à condition d'être muni d'une attestation (attestation de l’employeur pour les déplacements à titre professionnel permanent et attestation individuelle).

S’il est trop tôt pour mesurer l’impact du confinement sur l’évolution de la propagation, les professionnels de santé de terrain s’accordent sur la nécessité d’adopter des mesures plus restrictives.

Dans la nuit du jeudi 19 au vendredi 20 mars,  les sénateurs ont adopté le projet de loi (par 252 voix pour et 2 contre) et le projet de loi organique (par 238 voix pour et 2 voix contre) d'urgence pour faire face à l’épidémie du Coronavirus (Covid-19).

Selon l’exposé des motifs, « la crise sanitaire fait apparaître la nécessité de développer les moyens à la disposition des autorités exécutives pour faire face à l'urgence, dans un cadre juridique lui-même renforcé et plus facilement adaptable aux circonstances, notamment locales ».

Les députés ont adopté en première lecture le projet de loi ordinaire sur les mesures d’urgence liées à la crise du COVID-19. Après examen en commission mixte paritaire ce dimanche 22 mars, les députés ont adopté définitivement la loi d’urgence par 506 voix et 38 contre.

Ils ont adopté définitivement le projet de loi organique (qui prévoit de suspendre jusqu’au 30 juin 2020 le délai de trois mois de transmission des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ainsi que le délai de trois mois dans le lequel le Conseil constitutionnel statue sur une QPC).

La loi d’urgence, qui se décline en trois titres vise à :

  • organiser le report du second tour des élections municipales (titre I).
  • instaurer un dispositif d'état d'urgence sanitaire (titre II 5 à 6).
  • prendre des mesures d'urgence économique et d'adaptation à la lutte contre l'épidémie (titre III, article 7 à 11)[1].

Le titre II renforce le dispositif actuel de gestion de menaces sanitaires, régi par les articles L.3131-1 et suivants du code de la santé publique et conférant un pouvoir de police administrative au ministre chargé de la santé et au Préfet en cas de menace sanitaire grave telle qu’une épidémie.

Le Conseil d’Etat, saisi pour avis sur le projet de loi d’urgence, s’accorde sur la nécessité de mettre en place un cadre juridique spécifique  aux mesures de police nécessaires pour lutter contre une épidémie[2].

Ce nouveau dispositif est codifié dans un nouveau chapitre du titre III du code de la santé publique.

Qu’est-ce l’état d’urgence sanitaire ? Quelle est sa durée ? Que prévoit le dispositif ? Les mesures prises font-elles l’objet d’un contrôle ?

Cet article a pour objet de vous éclairer sur l’instauration de l’état d’urgence sanitaire et en quoi consiste ce dispositif, les garde-fous instaurés pour contrôler les mesures prises par le Gouvernement mais aussi de vous alerter sur le renforcement des sanctions  en cas de non-respect des interdictions édictées.  

Qu’est-ce que l’état d’urgence sanitaire ?

L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des collectivités d’Outre-Mer et en Nouvelle-Calédonie, en cas de « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature ou sa gravité, la santé de la population ».

L’état d’urgence sanitaire n’est pas caractérisé par une simple « menace » mais par une catastrophe sanitaire avérée.

Il est déclaré par décret motivé en conseil des ministres,  pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret définit la ou les circonscription territoriales  à l’intérieure desquelles il sera en application. L’instauration de l’état d’urgence sanitaire permet au Premier ministre et au ministre chargé de la santé de prendre différentes mesures réglementaires dans leur champ de compétence respectif, dans les circonscriptions où l’état d’urgence sanitaire est déclaré.

Le Premier ministre peut par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, et aux seuls fins de garantir la santé publique, des mesures réglementaires portant atteinte à la liberté d’aller et venir, à liberté d’entreprendre et à la liberté de réunion :

1° restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures  fixés par décret ;

2° interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements justifiés pour des besoins familiaux, professionnels ou de santé impérieux ;

3° ordonner des mesures visant la mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées ;

4° ordonner des mesures de placement ou de maintien à l’isolement à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté des personnes affectées ;

5° ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services essentiels aux besoins de la population ;

6° limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;

7° ordonner la réquisition de tous  biens et services nécessaires à la lutte contre l’épidémie ainsi que toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens ;

8° prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires

9° prendre toute mesure permettant la mise à disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de l’épidémie

10° En tant que de besoin, prendre toute mesure générale nécessaire limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion, dans la seule finalité de mettre fin à la fin à la catastrophe sanitaire mentionné à l’article L.3131-20 du code de la santé publique (amendement au projet de loi adopté en première lecture par l’Assemblée nationale).

Le ministre chargé de la santé peut prendre toute mesure réglementaire relative à l’organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, ainsi que les mesures individuelles nécessaires à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre.

L’un comme l’autre peut habiliter le représentant de l’Etat dans le Département (Le Préfet) à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application des mesures décidées au niveau national. Ces mesures feront l’objet d’une information sans délai du Procureur de la République territorialement compétent.

Lorsque les mesures  doivent s’appliquent dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département, le Préfet peut être habilité à prendre de telles mesures lui-même. Ces mesures doivent faire l’objet d’une information sans délai du Procureur de la République.

Durée

  • de l’état d’urgence sanitaire

L’article 5 du projet de loi prévoit que l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi.

La prorogation de l’état d’urgence au-delà de la durée prévue à cet article ne peut être autorisée que par la loi.

Par dérogation à cette disposition, la prorogation de l’état d’urgence au-delà d’une durée d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité scientifique.

La loi autorisant cette prolongation au-delà d’un mois fixe sa durée.

Il peut être mis fin à l’état d’urgence sanitaire par décret en conseil des ministres avant l’expiration du délai fixé.

  • des mesures d’urgence prises au titre de l’état d’urgence sanitaire

Par principe, les mesures d’urgence doivent prendre fin en même temps que la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Toutefois, l’article L.3131-1 du code de la santé publique, modifié par le projet de loi d’urgence, dispose que « Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l’état d’urgence sanitaire […] afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire ».

Si cette mesure semble s’imposer pour prévenir une « seconde vague d’épidémie », en l’état, le projet de loi est assez flou sur le contrôle des mesures d’urgences après la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Ce maintien est-il soumis à l’avis du Comité scientifique, lequel a vocation à être dissout lorsque prend fin l’état d’urgence sanitaire ? Quid du contrôle de l’Assemblée nationale et Sénat ?

Le Conseil d’Etat n’a cependant pas critiqué le manque de clarté de ces dispositions.

Modalités d’instauration et contrôle des mesures prises par le Gouvernement  

La loi d’urgence encadre la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et prévoit un contrôle des mesures prises par le Gouvernement.

Ce contrôle sa manifeste à plusieurs stades :

  • au stade de la déclaration de l’état sanitaire d’urgence : l’état d’urgence sanitaire est déclaré en considération des données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire et ayant motivé la décision. Ces données doivent être rendues publiques.

  • en cas de prolongation de la durée de l’état sanitaire d’urgence : cette prolongation ne peut intervenir qu’après avis du comité scientifique.

  • dans le cadre de l’exécution des mesures : un comité scientifique, composé de personnes qualifiées, a pour mission de rendre périodiquement des avis sur l’état de la crise sanitaire, les connaissances scientifiques ainsi que les mesures propres à y mettre un terme ainsi que la durée d’application. Ces avis doivent être rendus publics sans délai.

En outre, la loi prévoit l’information sans délai de l’Assemblée nationale et du Sénat des mesures prises par le Gouvernement au titre de l’état sanitaire d’urgence. L’Assemblée nationale et le Sénat pourront solliciter toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.  

Toutes les mesures d’urgence, en ce qu’elles constituent une restriction aux libertés individuelles et collectives, doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il doit y être mis fin dès lors qu’elles ne s’avèrent plus nécessaires.  

Durcissement des sanctions en cas de non-respect des mesures édictées

La loi d’urgence rappelle que la violation des interdictions et obligations édictées au titre de l’état d’urgence sanitaire est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Il prévoit ensuite un système de sanction gradué.

  • Si une nouvelle violation est constatée dans un délai de quinze jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de cinquième classe.

  • Si les violations sont constatées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits peuvent être punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750€ d’amende ainsi que de peines complémentaires dans les conditions prévues par le code pénal (travaux d’intérêt général, suspension du permis de conduire).

  • Suspension du permis de conduire concernant le véhicule utilisé pour commettre l’infraction.

EN CONCLUSION,

La loi instaure un dispositif visant à donner un cadre juridique spécifique et adapté à  la lutte contre la propagation du Coronavirus.

Ce dispositif s’inscrit dans la continuité du dispositif de gestion des menaces sanitaires édicté à l’article L.3131-1 et suivant du code de la santé publique, en renforçant les pouvoirs de police et les mesures d’urgence pouvant être décidées au titre de l’état sanitaire d’urgence, tout en assurant une cohérence entre les deux dispositifs.

C’est avant tout la gravité de l’événement qui permet de distinguer les deux dispositifs. L’état d’urgence sanitaire ne peut être déclaré en raison d’une « menace sanitaire ». C’est l’existence d’une catastrophe sanitaire avérée qui rend utile le régime particulier de l’état d’urgence sanitaire.

Le dispositif de lutte et les pouvoirs de police sont définis de façon  graduée en fonction de la  gravité de la crise sanitaire. L’état d’urgence sanitaire permet de prendre des mesures plus restrictives pour les libertés et de procéder à des réquisitions. Le pouvoir de police n’est plus réservé au seul ministre chargé de la santé. Outre la répartition des pouvoirs de police entre le Premier ministre et le ministre chargé de la santé, le Préfet peut être habilité à mettre en application les mesures d’urgence dans le département afin d’adapter la gestion de l’épidémie localement et en fonction de la situation locale.

Il est important de rappeler, tel que le précise le Conseil d'Etat, qu'il existait déjà des dispositions dans le code de santé publique et le code des collectivités territoriales sur le fondement desquelles ont été pris le décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre l'épidémie du Covid-19, les divers arrêtés du Ministre chargé de la santé ainsi que les mesures plus contraignantes décidées par certains Maires et Préfets.

La loi d'urgence, contrairement à ce que certains journalistes ont pu affirmé, ne crée par un "cadre légal".

Elle renforce le dispositif existant et crée un dispositif de lutte spécifique permettant l'instauration d'un état d'urgence sanitaire et de renforcer les mesures d'urgence prises à ce titre.  

En revanche, le Conseil d’Etat insiste sur la nécessité de veiller à une cohérence entre les deux dispositifs et de rendre applicable, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures connexes aux mesures de polices prévues en cas de menace sanitaire grave :

  • exonération de responsabilité des professionnels de santé en cas de dommages résultant des mesures administratives ;

  • prise en charge de l’indemnisation des préjudices par l’Office nationale d’indemnisation des accidents médicaux ;

  • application de plein droit des dispositions autorisant le recours à la réserve sanitaire et mesures de protection des réservistes ;

  • application des dispositions sur l’appel aux volontaires.

Le projet de loi d’urgence adopté en première lecture a intégré ces recommandations en rendant applicables l’ensemble de ces mesures en cas de déclaration de l’état sanitaire d’urgence.

Le Conseil d’Etat estime que les conditions de déclenchement et de déroulement de l’état sanitaire d’urgence sont adaptées aux situations envisagées, définies de manière suffisamment précises, et à la mise en œuvre de pouvoirs exceptionnels. Il considère en outre que les sanctions pénales encourues ne sont pas disproportionnées.  

En effet, il apparaît que la loi d’urgence instaure des garde-fous afin d’évaluer et de contrôler la durée de l’état d’urgence sanitaire ainsi que les restrictions et obligations édictées.

Enfin, les mesures prises au titre de l’état d’urgence sanitaire peuvent être soumise au contrôle du juge administratif, statuant en référé, conformément à l’article L.521-2 du code de justice administrative (CJA)[3].

La loi d’urgence (sur amendement du projet adopté en première lecture)  institue un droit au recours, édicté à l’article L.3131-25-1 du code de la santé publique : « Toutes les mesures individuelles prises en application du présent chapitre peuvent faire l’objet, devant le juge administratif, d’un recours présenté, instruit et jugé selon la procédure prévue à l’article L.521-2 du code de justice administratif. Le juge se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

Cette mesure devra bien évidemment être intégrée dans les plans de continuation des juridictions administratives afin de garantir l’effectivité d’un tel recours.

Le comité scientifique sera amené à se prononcer ce lundi 23 mars 2020 sur la durée et l’étendue du confinement et pour la mise en œuvre des dispositions issues de la loi d’urgence[4].

Toutefois, la perspective d’un confinement total, pourtant appelé des vœux pieux de la communauté médicale et soignante, n’apparaît pas si certaine.  

En effet, le Conseil d’Etat, saisi en urgence, s’est prononcée le 22 mars 2020 sur la demande de confinement total formulé par le syndicat des jeunes médecins (SJM), soutenu par l’Intersyndicale Nationale des Internes (ISNI) et le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM).

Le syndicat demandait notamment d’enjoindre au Premier ministre et au ministre chargé de la santé le confinement total.

Le Conseil d’Etat enjoint au Premier ministre et au ministre de la santé de prendre dans les quarante huit heures les mesures visant à préciser la portée de certaines dispositions édictées par le décret du 16 mars 2020. En revanche, il rejette la demande visant à enjoindre un confinement total[5].  

 

Notes 


[1] https://www.senat.fr/leg/pjl19-388.html

[2] Conseil d’Etat, commission permanente, séance du mercredi 18 mars 2020, avis sur le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, n°399873.

[3] Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.

[4] Ces avis sont rendus publics et consultable sur le site du ministère : https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/covid-19-_conseil-scientifique-covid-19

[5] https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/statuant-en-urgence-le-conseil-d-etat-rejette-la-demande-de-confinement-total-et-enjoint-au-gouvernement-de-preciser-la-portee-de-certaines-interd