L'urgence en matière de référé-suspension contre un permis de construire : une présomption fixée par la loi, mais qui n'est pas irréfragable selon le Conseil d'Etat

Dans un arrêt rendu le 6 octobre 2021 (n°445.733, mentionné aux tables du Lebon), le Conseil d'Etat vient fixer la portée de l'article L.600-3 du code de l'urbanisme.

Pour rappel, cet article prévoit qu'un référé suspension ne peut être introduit contre un permis de construire que jusqu'à l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort (Article L600-3 - Code de l'urbanisme - Légifrance (legifrance.gouv.fr).

Cette cristallisation intervient passé un délai de deux mois suivant la communication du premier mémoire en défense de l'un quelconque des défendeurs (Article R600-5 - Code de l'urbanisme - Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Tant que la cristallisation n'est pas intervenue, le référé suspension peut être introduit et, nous précise l'article L 600-3 du code de l'urbanisme, la condition d'urgence est présumée remplie.

L'article L. 600-3 du code de l'urbanisme a été introduit par la loi ELAN du 23 novembre 2018 (LOI n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique - Dossiers législatifs - Légifrance (legifrance.gouv.fr) et constitue une petite révolution dans le contentieux de l'urbanisme puisqu'il réduit drastiquement les possibilités d'introduction d'un référé suspension en cantonnant cette voie de recours dans le temps avec comme butoir la cristallisation des moyens.

Cette cristallisation peut intervenir très rapidement après l'introduction du recours au fond contre le permis, puisque les défendeurs ont tendance à déposer de plus en plus rapidement leurs mémoires en défense pour faire courir le délai de cristallisation.

Dans son arrêt du 6 octobre 2021, le Conseil d'Etat vient préciser que la présomption d'urgence (qui vaut tant que la cristallisation n'est pas intervenue) n'est pas une présomption irréfragable.

Autrement dit, cette présomption peut être renversée si le bénéficiaire du permis de construire ou l'autorité ayant délivré le permis font état de circonstances particulières.

Dans ce cas, il appartient au juge des référés, "pour apprécier si la condition d'urgence est remplie, de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise".

Cette jurisprudence fait écho à celle rendue avant l'introduction de l'article L.600-3 du code de l'urbanisme, jurisprudence selon laquelle la condition d'urgence (qui était présumée remplie à l'époque dans le cas où le démarrage des travaux était imminent) n'est pas remplie, malgré le caractère difficilement réversible d'une construction, eu égard à l'intérêt qui s'attachait à l'exécution du permis à l'époque, qui portait sur la réalisation d'une passerelle destinée à permettre le passage des personnes à mobilité réduite (Conseil d'État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 22/03/2010, 324763 - Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Le Conseil d'Etat précise en revanche, dans son arrêt du 6 octobre 2021, que la circonstance que plusieurs mois se seraient écoulés entre le dépôt du recours au fond et le dépôt du référé suspension n'est pas de nature à renverser la présomption d'urgence instaurée par l'article L.600-3 du code de l'urbanisme.      

    

Lien vers l'arrêt : Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 06/10/2021, 445733 - Légifrance (legifrance.gouv.fr)