L’abus de majorité est constitué lorsque plusieurs associés majoritaires adoptent une décision :

  • Contraire à l’intérêt social ;
  • Dans le but de favoriser les associés majoritaires au détriment d’un associé minoritaire.

Une affaire récente est venue illustrer cet abus.

Rappel des faits

Quatre associés d’une société civile professionnelle (SCP) de chirurgiens-dentistes détiennent chacun un quart du capital. Le bénéfice est partagé par parts égales entre les praticiens en application de l’article 34 des statuts de la société.

Cependant par une délibération du 7 décembre 2009, adoptée à la majorité des trois quarts, formée par trois des associés, l’assemblée générale extraordinaire a modifié cet article et fixé la clé de répartition des résultats en fonction de la part de bénéfice net réalisé par chaque praticien.

Se prévalant d’un abus de majorité, ayant entraîné une diminution importante de sa rémunération, le quatrième associé, les a assignés ainsi que la SCP en annulation de cette délibération et en restitution de sa part de bénéfice au titre des exercices 2010 à 2016.

La cour d’appel accueille ses demandes et condamne in solidum les trois associés à lui restituer une certaine somme.

Une nouvelle répartition des bénéfices…

Or d’après ces derniers, une délibération ne saurait être annulée pour abus de majorité que s’il est établi qu’elle a été prise contrairement à l’intérêt général de la société et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité des associés au détriment des membres de la minorité.

Ainsi, selon les trois associés, la modification des statuts n’avait pas eu pour but ni effet de les favoriser au détriment du quatrième associé.

La nouvelle clef de répartition des bénéfices étant basé sur le travail fourni par chacun des praticiens puisqu’elle était fonction de leur part dans le bénéfice net de sorte qu’elle ne privilégiait pas l’un ou l’autre des associés, chacun des associés ayant au demeurant subi des variations de rémunérations.

Cependant la Cour de cassation reprend les éléments de la cour d’appel qui avait relevé que la répartition des bénéfices à parts égales avait été un élément déterminant du contrat de société, liant les associés depuis 2004, et tendait à favoriser non pas le chiffre d’affaires généré par chacun, mais leur investissement en temps, considéré comme égal, et la complémentarité de leurs spécialités dentaires, peu important leur caractère plus ou moins lucratif.

…au détriment de l’associé minoritaire

Les juges avaient également relevé en se référant à une décision de la chambre régionale de discipline de l’Ordre des chirurgiens-dentistes que la modification de la clé de répartition des bénéfices avait été concomitante à la marginalisation croissante du dernier associé et à des mesures humiliantes, injurieuses et vexatoires prises à son encontre par les trois associés, circonstances qui avaient eu pour conséquence une dégradation progressive de son état de santé.

En conséquence, la modification de l’article 34 des statuts avait bien eu pour finalité, même si les nouvelles règles paraissaient équitables, d’entraîner une baisse très importante de la rémunération du demandeur au titre des années 2010 à 2016, en vue de favoriser l’intérêt financier des associés majoritaires à son détriment, alors qu’il continuait à participer aux charges communes de la société, à égalité avec eux et que ceux-ci, déterminés à l’évincer par tout moyen, avaient eu pour unique dessein de bénéficier d’un avantage dont il était privé, en diminuant la part des bénéfices lui revenant et en augmentant la leur.

L’abus de majorité était donc bien caractérisé.

Cass. civ. I, 19 mai 2021, 18-18.896