Cour d’appel de Paris, 13 juin 2018, n°17/13979

Assigner une personne devant une juridiction incompétente est la crainte première de nombre d’avocats. La répartition des compétences entre les ordres n’est pas toujours évidente. L’activité soutenue du Tribunal des conflits en constitue la preuve.

La question est particulièrement complexe lorsque ce débat porte sur la responsabilité d’un organisme certificateur constitué sous la forme d’une société commerciale, suite à une décision de retrait d’une certification.

Par un arrêt en date du 13 juin 2018 la Cour d’appel de Paris a considéré, à bon droit, qu’elle était incompétente pour connaitre du litige en cause et qu’il appartenait à la juridiction administrative de se prononcer.

  1. Faits

Les faits sont relativement simples, une entreprise de BTP avait pris contact avec cet organisme certificateur afin d’obtenir une certification lui permettant de pouvoir procéder à des travaux de désamiantage. Après un audit préalable complet, l’organisme avait accordé cette certification à l’entreprise.

Comme dans le cadre de toute procédure de certification, cette dernière était accompagnée d’un certain nombre de contraintes techniques que l’entreprise devait respecter dans le cadre de son activité.

Pour s’assurer du respect de cette réglementation l’organisme certificateur organisait à intervalle régulier des contrôles sur les chantiers de la société certifiée.

C’est dans ces conditions, que l’organisme certificateur a constaté sur plusieurs chantiers différents des non-respects à la réglementation du travail dans des environnements exposant les employés à l’amiante.

Dans un premier temps, l’organisme a émis des avertissements puis, observant que le comportement de l’entreprise n’avait pas été modifié par ces sanctions, cette dernière a été convoquée à une audience préalable au retrait de sa certification.

Lors de cette audience, l’entreprise a tenté de présenter un plan de correction des infractions constatées sur les chantiers. Néanmoins, compte tenu du comportement de l’entreprise et de l’impact de ces manquements sur la santé des travailleurs, les membres du comité certificateur ont décidé à l’unanimité de retirer cette certification. De fait, l’entreprise se retrouvait dans l’impossibilité de continuer son activité.

C’est dans ces circonstances que la société a assigné l’organisme certificateur, en référé d’heure à heure, devant la juridiction commerciale afin d’obtenir l’annulation de cette décision de retrait de la certification amiante.

Par un jugement en date du 29 juin 2017, rendu sur le siège, le juge des référés du tribunal de commerce de Bobigny a fait droit à la demande de l’entreprise et a « suspendu » la décision de retrait.

L’organisme certificateur a immédiatement fait appel de cette décision.

  1. Question de droit

L’intérêt de cette affaire réside bien entendu dans la question relative à la compétence de la juridiction commerciale pour connaitre de ce litige.

L’entreprise avait assigné l’organisme sans trop s’interroger sur la nature de la décision de retrait prise par l’organisme. Elle s’était fiée aux apparences, trompeuses, en considérant que l’organisme ayant une forme commerciale, cette juridiction était nécessairement compétente.

L’organisme certificateur soutenait que, d’une part la décision constituait un acte administratif unilatéral et que d’autre part cette décision avait été prise en qualité de personne privée chargée d’une mission de service public.

La jurisprudence étant vierge sur ce type de contentieux, il convenait de faire admettre à une juridiction civile qu’elle était incompétente en l’espèce.

La démonstration s’est déroulée en deux temps.

Dans un premier temps, il convenait de souligner que l’organisme certificateur faisait lui-même l’objet d’un agrément de la part du COFRAC, constituée sous forme d’association par des personnes publiques, et qu’il exerçait une mission de service public (le pouvoir de certifier des entreprise) et détenait de ce fait des prérogatives de puissance publique.

Dans un second temps, il fallait faire reconnaitre que cette décision était un acte administratif et non une décision de nature contractuelle. En l’occurrence, les apparences étaient trompeuses puisque que pour obtenir une certification l’entreprise contracte avec une société constituée sous forme commerciale, puis lui verse une prime d’adhésion. En outre, les documents émanant de l’organisme comportaient tous la formulation « société commerciale ». De fait, une interrogation légitime pouvait subsister sur la nature de la décision.

En l’occurrence, la Cour a fait droit au raisonnement consistant à démontrer que certes l’organisme était une société commerciale mais que les décisions étaient prises en son nom par un comité certificateur regroupant un certain nombre de professionnels évoluant dans le secteur de l’amiante.

De fait, l’organisme certificateur, qui ne disposait pas de personnel dans ces comités de certification, n’était en fait là que pour organiser les réunions de certification, attester de la régularité de la décision et la faire appliquer par l’entreprise concerné.

L’organisme certificateur n’avait donc pas agi dans un cadre contractuel mais en tant qu’entité attestant de la régularité des décisions prises dans ces comités. En l’occurrence, l’organisme était en situation de compétence liée et ne pouvait que prendre acte de la décision prise par les membres du comité.

Face à ce raisonnement implacable, la Cour d’appel a fait droit à la demande de l’organisme tendant à ce que soit annuler le jugement du tribunal de commerce, à ce que l’affaire soit renvoyée devant la juridiction administrative et qu’enfin l’entreprise soit condamnée aux entiers dépens ainsi qu’à 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC.