Derrière ce nom barbare se cache l’obligation, pour chaque fournisseur d’électricité, de disposer d’un montant de garanties de capacité permettant de couvrir la consommation électrique de ses clients pendant les périodes de forte consommation.

L’électricité ne pouvant se stocker, il est primordial de pouvoir garantir un équilibre entre la demande et les capacités de production durant les périodes de forte consommation et ce, afin d’éviter toute surcharge du réseau et finalement des coupures généralisées de courant.

Ces garanties de capacité sont acquises auprès des producteurs et des opérateurs d’effacement, qui auront auparavant pris soin de faire certifier lesdites capacités d’effacement par le gestionnaire de réseau, en l’occurrence RTE. En échange de cette certification, les opérateurs d’effacement pourront garantir la disponibilité de leurs capacités de production / d’effacement durant les périodes de forte consommation.

Les finalités de ce mécanisme sont d’inciter les consommateurs à modérer leur consommation et de favoriser l’investissement sur de nouveaux moyens de production.

Par cet avis, l’autorité de la concurrence se prononce sur la nature de deux engagements pris par la France auprès de la DGCOMP qui doivent faire l’objet d’un nouveau décret.

  1. Historique de la mesure

C’est l’article 6 de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant organisation du marché de l’électricité, dite loi NOME, qui a prévu la création de ce mécanisme dont l’objectif est «de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité ». Désormais visées aux articles L.335-2 et suivants et R.335-1 du code de l’énergie, l’article L.335-2 prévoit en particulier :

« Chaque fournisseur d’électricité doit disposer de garanties directes ou indirectes de capacités d’effacement de consommation et de production d’électricité pouvant être mises en œuvre pour satisfaire l’équilibre entre la production et la consommation sur le territoire métropolitain continental, notamment lors des périodes où la consommation de l’ensemble des consommateurs est la plus élevée.

Les obligations faites aux fournisseurs sont déterminées de manière à inciter au respect à moyen terme du niveau de sécurité d’approvisionnement en électricité retenu pour l’élaboration du bilan prévisionnel pluriannuel mentionné à l’article L. 141-1.

Le mécanisme d’obligation de capacité prend en compte l’interconnexion du marché français avec les autres marchés européens.

Les garanties de capacité sont requises avec une anticipation suffisante pour laisser aux investisseurs le temps de développer les capacités de production et d’effacement nécessaires pour résorber l’éventuel déséquilibre entre offre et demande prévisionnelles. »

Un certain nombre de décrets et d’avis rendus par la CRE sont intervenus depuis lors afin de préciser le cadre légal de ce mécanisme. En parallèle, le Direction Générale de la concurrence de la Commission européenne (DGCOMP) a lancé une enquête formelle sur ce mécanisme, suspectant l’existence d’une aide d’État. La DGCOMP soupçonnait que cette mesure soit de nature :

« Ces mécanismes devraient rémunérer les producteurs d’électricité et d’autres fournisseurs de capacité, tels que les opérateurs d’effacement, pour qu’ils soient disponibles en cas de besoin. Le soutien public apporté aux fournisseurs de capacité risque de créer des distorsions de concurrence sur le marché de l’électricité et il constitue, en principe, une aide d’État. »

Dans ce contexte, le 29 avril 2015, la Commission a donc lancé une enquête sectorielle dans le domaine des aides d’État afin de mieux cerner la nécessité, la forme et l’incidence sur le marché des mécanismes de capacité. Suite à l’ouverture de cette enquête formelle, la France s’est engagée auprès de la Commission à prendre trois mesures :

  • premièrement, à instaurer une série de mesures destinées à garantir l’exercice d’une concurrence effective sur le marché de capacité français, afin de prévenir toute manipulation de marché de la part de l’opérateur en position dominante ;
  • deuxièmement, à permettre la participation des capacités étrangères au mécanisme de capacité français à l’horizon 2019 ;
  • troisièmement, à créer un dispositif spécifique pour les nouvelles capacités leur permettant de bénéficier de revenus sur sept ans, augmentant ainsi la visibilité pour les nouveaux investissements et facilitant l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché à l’horizon 2019.

Suite à ces propositions, la Commission a considéré que sous réserve de leur réalisation ce mécanisme était bien compatible avec la réglementation européenne sur les aides d’État. C’est dans ces conditions que la première de ces mesures a été adoptée par le biais de l’arrêté du 29 novembre 2016 définissant les règles du mécanisme de capacité et pris en application de l’article R. 335-2 du code de l’énergie.

Ce sont donc sur les deux dernières mesures que l’autorité de la concurrence était amenée à se prononcer.

  1. Fonctionnement de la mesure

Avant d’analyser l’avis de la concurrence, il est essentiel de dresser un bref descriptif du mode de fonctionnement technique du mécanisme de capacité.

A) Les acteurs impliqués

Parmi les acteurs impliqués se trouvent nécessairement les fournisseurs d’électricité qui ont une obligation de capacité qui doit être proportionnelle à la consommation effective de leurs clients.

En tant que gestionnaire du réseau RTE joue un rôle de régulateur en calculant l’obligation de capacité de chaque fournisseur et en attribuant à chaque producteur et opérateur d’effacement des garanties de capacité. En outre RTE pilote le dispositif en indiquant aux intervenants les périodes de pointe, les horaires critiques de consommation. En d’autres termes, il procède à une analyse de risque de défaillance du réseau en période de forte consommation.

De leur côté les producteurs et les opérateurs d’effacement doivent faire certifier leur capacité par RTE qui émet alors des garanties de capacité à proportion de la contribution réelle de chacun lors des périodes de pointe.

Intervient aussi la CRE qui est chargée de veiller au bon fonctionnement du marché et qui doit s’assurer que les données du marché soient bien publiées et accessibles aux intervenants (prix de référence, informations relatives aux transactions…)

Enfin, EPEXSPOT intervient en tant que gestionnaire du marché d’échange des garanties de capacité. Il organise des sessions au cours desquelles les producteurs et opérateurs vont s’échanger des garanties de capacité soit par le biais d’enchères soit de gré-à-gré (dit « OTC »).

B) Principe de fonctionnement de la mesure

Sur la durée d’une année civile, le mécanisme de capacité se déroule en deux temps :

  • Dans un premier temps, les exploitants de capacité vont demander une certification à RTE sur la disponibilité de leurs moyens pendant les périodes de pointe, obtenant ainsi des garanties de capacité ;
  • Dans un second temps, les acteurs dits obligés (fournisseurs, gestionnaires de réseaux) ont pour obligation de détenir des garanties de capacité à hauteur de la consommation de leurs clients.

Lorsque l’année de livraison est écoulée, il est organisé un contrôle effectif de la composition des portefeuilles des acteurs dits obligés. En cas d’écart entre la disponibilité réelle et celle envisagée, des sanctions peuvent être prises à l’encontre des exploitants de capacité. Idem pour les acteurs obligés.

  • Avis de l’autorité de de la concurrence

L’autorité de la concurrence était donc amenée à se prononcer sur les dispositions contenues dans le projet de décret qui doit permettre à la France de respecter les engagements pris envers la Commission en 2016.

Deux mesures ont donc été examinées :

  1. La valorisation explicite de la contribution des capacités étrangères et des interconnexions à la sécurité d’approvisionnement
  2. Le dispositif de contractualisation pluriannuel pour les nouvelles capacités.

 

1. Sur la procédure approfondie de participation aux capacités transfrontalières

Il s’agit ni plus ni moins que de l’ouverture à la concurrence des autres États européennes de la possibilité de participer à la sécurisation de l’approvisionnement du marché français. Ainsi que l’explique l’autorité de la concurrence :

« les capacités étrangères (interconnexions et capacités de production ou d’effacement) désireuses de valoriser leur contribution à la sécurité d’approvisionnement française pourront le faire, après avoir préalablement fait certifier la disponibilité de ces capacités par les gestionnaires de réseau du pays transfrontalier concerné, sur une base définie par voie d’accords avec RTE. Ces capacités ainsi certifiées pourront acquérir lors d’enchères des « tickets » d’accès au mécanisme de capacité ».

Parmi les conditions analysées figure l’idée de réciprocité et donc d’accès des opérateurs français aux marchés étrangers :

« Les revenus tirés des enchères seront partagés entre RTE et les gestionnaires des réseaux de transport étrangers, à condition que les capacités françaises soient réciproquement prises en considération dans un mécanisme de capacité marketwide du pays concerné, afin d’éviter tout subventionnement unilatéral pour les consommateurs français des capacités de production étrangères. »

A cet effet, le décret prévoit encore :

« Dans le cas où aucun accord n’aurait pu être conclu pour une frontière donnée avec le responsable du réseau de transport concerné, la certification directe des interconnexions est possible. Dans le cadre de cette procédure, les

gestionnaires d’interconnexion (donc RTE pour la plupart des interconnexions en France) peuvent certifier directement leurs capacités en s’engageant sur la disponibilité de leurs interconnexions durant les périodes de pointe. Ils reçoivent alors des garanties de capacité, qu’ils peuvent ensuite valoriser sur le marché français. »

L’avis de l’Autorité :

Après avoir rappelé la complexité de la mise en place de ce système, l’Autorité considère que ce mécanisme est de nature à faire bénéficier RTE de revenus significatifs mais aussi de la placer dans une situation ambiguë vis-à-vis des acteurs obligés. A ce titre, l’Autorité reprend les doutes émis par la CRE et suggère que :

des modalités claires de séparation entre les services de RTE en charge de l’achat des pertes et des capacités liées à ces pertes et les services en charge de la gestion du registre soient introduites » et « que les comptes de RTE ‘acheteur pour les pertes’ et RTE‘ vendeur en tant que gestionnaire d’interconnexions’ soient distincts dans les registres »

Enfin, compte-tenu du rôle futur de RTE, l’Autorité suggère un contrôle renforcé de l’entreprise par la CRE.

2. Sur le dispositif de contractualisation pluriannuelle pour les nouvelles capacités

Concernant ce dispositif, le projet de décret précise qu’il s’agit de contractualiser sur plusieurs années de nouvelles capacités. A cet effet, un appel d’offres annuel sera lancé afin de sélectionner de nouvelles capacités :

« Le dispositif prend la forme d’un appel d’offres annuel dont le but est de sélectionner de nouvelles capacités économiquement utiles à la collectivité. Les capacités retenues dans ce cadre bénéficient alors d’un revenu en capacité fixé pour sept ans sous la forme d’un « contrat de différence » prenant en compte l’écart, positif ou négatif, entre le prix de l’offre et le prix de référence marché. Cet écart donne lieu à un gain ou à un coût, reversé ou exigé selon les cas aux « acteurs obligés » que sont les fournisseurs »

Dans ce contexte, à chaque appel d’offre, RTE présentera « une courbe de demande administrée » permettant d’évaluer la qualité des propositions sélectionnées. Cette courbe sera susceptible de faire l’objet d’une modification de la part du ministre en charge de l’énergie.

L’avis de l’Autorité :

L’Autorité sur ce point considère que le mécanisme présenté comporte des défauts. Tout d’abord, elle considère que la durée des garanties est trop élevée dans le cadre d’un mécanisme encore balbutiant. Elle suggère en outre de reculer la date de prise d’effet qui est prévue en 2019. Ensuite, elle considère que la mise en place de ce nouveau mécanisme peut avoir l’effet pervers d’inciter les acteurs à privilégier les nouvelles capacités, entrainant de fait des surcoûts. Enfin, elle exhorte le législateur à apporter le maximum de détails quant à la méthodologie de création de la courbe de demande administrée.

Conclusion

A notre sens si les critiques de l’Autorité ne sont pas toujours justifiées (date de mise en place du mécanisme), le fait que l’Autorité appelle à une réflexion sur le maintien du caractère décentralisé du mécanisme français de capacité, dans un environnement européen marqué par l’arrivée de systèmes centralisés est tout à fait justifié par le fait que ce mécanisme soulève la question de son efficacité en particulier au regard d’une nécessaire harmonisation européenne à moyen terme, s’agissant du fonctionnement de marchés transfrontaliers.