Par une décision en date du 15 mars 2018 (TUE, 15 mars 2018, T-108/16), le Tribunal de l’Union européenne a censuré l’analyse de la Commission européenne qui avait considéré que l’utilisation exclusive d’une facilité essentielle n’était pas constitutive d’une aide d’État.

A ce sujet, la Commission européenne avait eu l’occasion de publier en 2017, une grille d’analyse permettant d’apprécier, pour chaque facilité essentielle, l’existence ou non d’une aide d’État.

1,Les faits

Les faits sont une nouvelle fois relativement simples, la société Naviera Armas, requérante et compagnie maritime établie dans les Îles Canaries proposait des services commerciaux de transport maritime de personnes et de marchandises entre l’archipel et l’Espagne et avec le Maroc. Elle contestait l’utilisation à titre exclusif par sa concurrente, la compagnie Fred Olsen, du port de Puerto de Las Nieves, situé sur la côte nord-ouest de Grande Canarie, en face de Ténériffe.

Cette compagnie bénéficiait de l’exploitation à titre exclusif du port de Puerto de Las Nieves. Au regard de cette situation, la requérante avait sollicité à plusieurs reprises le droit de pouvoir accoster sur cette plateforme. Ces demandes avaient toutes été refusées par l’office public des ports canariens (DGPC) en raison de la capacité d’accueil limitée sur cette infrastructure. La réalisation de travaux d’extension au cours de l’année 2014 ont finalement permis de faire droit à cette demande.

Néanmoins, la requérante avait déjà introduit une plainte en 2013 auprès de la Commission européenne en alléguant que cette utilisation exclusive de l’infrastructure portuaire ainsi que l’exonération dont bénéficiait la compagnie Fred Olsen de payer certaines redevances et enfin le financement de la nouvelle infrastructure à son usage exclusif étaient constitutive d’aides d’État.

En octobre 2013, la Commission a informé la requérante de ce que les mesures en cause ne semblaient pas pouvoir être qualifiées d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La requérante contestant cette appréciation a demandé l’ouverture d’une enquête formelle de la part de la Commission.

Après de multiples rebondissements dont nous ferons grâce au lecteur, la Commission a adopté le 8 décembre 2015 la décision C(2015) 8655 final concernant l’aide d’État SA.36628 (2015/NN) (ex 2013/CP) – Espagne – Fred Olsen par laquelle elle a considéré que les mesures contestées par la requérante n’étaient pas constitutives d’aides d’État.

C’est cette décision que la requérante a déféré à la censure du TUE en se fondant sur le refus de la Commission européenne d’ouvrir une enquête formelle suite à sa plainte initiale.

2. L’analyse du Tribunal

Dans un premier temps, le Tribunal critique le refus de la Commission d’ouvrir une enquête formelle. En effet, la jurisprudence constante du droit de l’Union donne obligation à la Commission de procéder à ce type d’enquête dès lors que « la Commission ne peut pas acquérir la conviction à la suite d’un premier examen que la mesure en cause n’est pas constitutive d’une aide d’État ».

Ensuite, le Tribunal souligne qu’aucun élément du dossier ne permet de supposer que les services exécutés par la compagnie Fred Olsen peuvent s’apparenter à l’exécution de services d’intérêt économique général.

Puis, le Tribunal censure le raisonnement de la Commission, laquelle avait estimé que le fait que l’infrastructure n’ait pas été construite uniquement pour la compagnie Fred Olsen suffisait à exclure l’existence d’une aide d’État. Le Tribunal constater sur ce point qu’il incombait à la Commission de procéder à un examen complet de la situation afin de déterminer si les circonstances d’exploitation permettaient de démontrer que la compagnie Fred Olsen bénéficiait d’une exclusivité de fait sur cette plateforme portuaire.

Enfin, le Tribunal censure de nouveau le raisonnement de la Commission en estimant que le principe d’exclusivité dont bénéficiaire la compagnie Fred Olsen ne résultait pas d’une procédure de mise en concurrence des opérateurs. De fait, la Commission devait se référer au test de l’investisseur privé agissant en économie de marché afin de conclure à l’inexistence d’une aide d’État :

« Or, en l’espèce, comme la Commission l’a confirmé à l’audience en réponse à une question du Tribunal, l’activité par laquelle la DGPC gère l’infrastructure portuaire de Puerto de Las Nieves et la met à disposition d’une compagnie maritime utilisatrice, moyennant le paiement de taxes portuaires, constitue bien une activité « économique » (voir, par analogie, s’agissant de la gestion d’infrastructures aéroportuaires, arrêts du 12 décembre 2000, Aéroports de Paris/Commission, T‑128/98, EU:T:2000:290, points 121 et 125, et du 24 mars 2011, Freistaat Sachsen et Land Sachsen–Anhalt/Commission, T‑443/08 et T‑455/08, EU:T:2011:117, point 93). Dans un tel cas de figure, c’est donc à l’aune du critère de l’investisseur privé agissant en économie de marché qu’il appartenait à la Commission de vérifier si le comportement de la DGPC avait procuré à l’intervenante un avantage qu’elle n’aurait pas reçu dans des conditions de concurrence normales (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2008, Ryanair/Commission, T‑196/04, EU:T:2008:585, point 85). »

En définitive, le Tribunal procède à l’annulation de la décision contestée en tant que la Commission avait refusé de conclure que l’utilisation exclusive de l’infrastructure était constitutive d’une aide d’État.

A notre sens, cette décision est parfaitement justifiée, une facilité essentielle ne pouvant en effet être destinée à l’utilisation exclusive d’une société sans qu’un mécanisme de mise en concurrence ne soit intervenu. A ce titre, le mouvement de privatisation des facilités essentielles en France ne devrait pas échapper à un certain nombre de contentieux.