La décision n°18-D-24 du 5 décembre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits électroménagers de l’autorité de la concurrence est particulièrement intéressante. D’une part, elle conduit à la condamnation des fabricants d’électroménager à payer une amende de 189 millions à raison d’une entente illicite entre lesdits fabricants. D’autre part, elle démontre l’efficacité du pouvoir de contrôle de cet autorité administrative indépendante. Le choix des fabricants de ne pas contester les conclusions de l’enquête de l’autorité est révélatrice du pouvoir dont elle dispose désormais.

Il convient dès lors de s’intéresser aux notions d’entente et à ses contours juridiques. Le pluriel est de rigueur car l’on peut décrire deux types d’ententes différentes.

Les ententes dites verticales qui concernent les compérages entre producteurs et acheteurs.Il s’agit par exemple de la pratique des prix de revente, les fournisseurs fixant directement le prix de revente que les distributeurs seront amenés à pratiquer (lignes directrices sur les ententes verticales, (2000/C 291/01) du 13 octobre 2000).

Il convient de souligner que la jurisprudence européenne comme française font peu de cas de la forme juridique des entités en cause. Ainsi, le conseil de la concurrence a considéré dans une décision n°99-D-41 du 22 juin 1999 a déterminé que l’article L 420-1 du code de commerce « ne pose pas comme condition de son application la qualité d’entreprise des parties à l’entente, une au moins des parties doit être considérée comme un acteur économique exerçant une activité sur le marché ».

La jurisprudence considère ainsi que la forme juridique des opérateurs économiques importe peu.

De fait, il peut s’agir de :

  • d’associations professionnelles (Conseil de la concurrence, n°96-D-04 du 23 janvier 1996) ;
  • de GEIE (Autorité de la concurrence, n°12-D-06 du 26janvier 2012) ;
  • de centrales d’achats et de coopératives d’entreprises (Autorité de la concurrence, n°16-D-26 du 24 novembre 2016) ;
  • de groupes de sociétés, la jurisprudence considère toutefois qu’il doit exister une autonomie juridique entre les sociétés afin de caractériser une entente, comme dans le cas des sociétés mères avec ses filiales (Conseil de la concurrence, n°87-D-25 du 7 juillet 1987)
  • des établissements de crédits (Conseil de la concurrence, n°00-D-28 du 19 septembre 2000)

I. Pratique européenne des ententes

L’importance du droit de l’Union en droit de la concurrence est primordiale, il convient de fait de souligner que le Traité de fonctionnement de l’Union européenne précise quelles sont les comportements qui sont susceptibles d’entrer dans la définition de l’entente illicite ou coopération horizontale :

« 1.Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser lejeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :

a)fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b)limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c)répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d)appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e)subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.

2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.

3.Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:

– à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises,

– à toute décision ou catégorie de décisions d’associations d’entreprises et

– à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées

qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :

a)imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b)donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence. »

Cette définition n’est bien entendu pas exhaustive (CJUE, C-209/07, Competition Authority contre Beef Industry Development societty, §23). Inversement, une pratique qui correspondrait à l’un des mécanismes définis par le législateur européen n’entrainera pas forcément la constatation d’une incompatibilité avec le droit européen de la concurrence.

Ainsi que le précise l’article 101 du TFUE, il est possible d’observer au moins cinq mécanismes d’entente différents.

A. Les ententes sur les prix

Cette pratique étant la plus répandue, il est trop fastidieux de donner un panorama complet. Toutefois, cette pratique consiste pour les entreprises concernées à fixer les prix à un certain niveau et à empêcher que ceux-ci puissent évoluer à la baisse ou à la hausse. Le marché est figé par cette pratique.

Cette catégorie d’entente peut aussi concerner les conditions dans lesquelles les produits ou les services sont vendus (Décision de la DG E2/38.359 du 3 décembre 2003). Les ententes porteront alors sur les services après-vente, les délais de paiement, les conditions de paiement…

B. Les ententes limitant la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements

Cette catégorie d’entente peut aussi concerner les conditions dans lesquelles les produits ou les services sont vendus (Décision de la DG E2/38.359 du 3 décembre 2003). Les ententes porteront alors sur les services après-vente, les délais de paiement, les conditions de paiement…Les ententes limitant la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements

Limitation de la production

Les entités économiques peuvent s’entendre afin de limiter la production des biens ou des services afin de créer un effet de rareté sur le marché. Cet effet est recherché afin d’augmenter le prix de biens ou des services vendus. L’affaire la plus symbolique est celle des producteurs de sacs industriels qui s’entendaient pour fournir une certaine quantité de sacs par zone géographique (COMP/38.354-cartel des sacs industriels).

Limitation ou contrôle des débouchés

Il s’agit pour les entités économiques d’empêcher d’autres acteurs économies de pouvoir accéder au marché en s’achetant les produits entre eux. Le cas le plus révélateur est sans aucun doute l’affaire BP KEMI (Commission du 14 novembre 1979, IV/29.021 – BP Kemi).

Limitation ou contrôle du développement technique

Les entités économiques peuvent aussi s’entendre pour limiter volontairement le recours à la R&D ou encore pour annoncer des innovations selon un calendrier bien défini (Commission du 21 octobre 1998,IV/35.691 – conduites pré calorifugées)

Contrôle ou limitation des investissements

Enfin, les entités économiques peuvent convenir entre elles de geler purement et simplement leurs investissements. Cela a pour effet de retarder l’apparition de l’innovation sur le marché (Commission du29 septembre 2004, COMP/C.37.750 – Groupe Danone).

C. Les ententes de répartition des marchés ou des sources d’approvisionnement

Il s’agit du troisième type d’entente qui est envisagé et dans lequel les entités économiques vont se répartir géographiquement, par soumissions concertées aux appels d’offres ou par catégorie de clients les marchés.

En ce qui concerne les ententes géographiques les concurrents vont procéder à un découpage artificiel des marchés et s’interdire mutuellement d’entrer sur le marché du concurrent. C’est ce type d’entente qui donne lieu aux sanctions les plus sévères de la part de la commission. Par exemple, suite à une entente entre EDF et E. ON, qui se sont réparties les marchés allemands et français, la Commission a infligé à chacune des entreprises une amende de 553 millions d’Euros.

D. Les ententes visant à des fins de discrimination

Dans ce type d’entente, les entreprises cherchent à écarter volontairement un concurrent.Cela peut prendre la forme d’impossibilité d’acheter ou de louer certains biens ou services (Commission du 29 novembre1995, IV/34.179).

E. Les ententes de boycottage

Enfin, dans ce type d’entente a boycotté un client ou un fournisseur. Ce dernier ne peut donc pas s’approvisionner ou fournir le marché (TUE, 20 mars 2002, T-9/99, HFB contre Commission).

F. Les sanctions

Conformément aux dispositions de l’article 23(2) du règlement 1/2003 de la Commission européenne, cette dernière peut uniquement infliger des sanctions de nature économique.

En l’occurrence, la Commission fixe le montant maximal de l’amende administrative à 10 % du chiffre d’affaire réalisé lors de l’exercice précédent par la contrevenante. Les Lignes directrices précisent les modalités de calcul de cette amende ainsi que les circonstances aggravantes ou atténuantes qui peuvent être retenues contre les contrevenantes.

Enfin, ces condamnations peuvent et sont très souvent désormais déférées à la censure de la Cour de Justice de l’Union européenne. Les entreprises condamnées peuvent ainsi saisir, sur le fondement de l’article 261 ou 263 du TFUE, la CJUE aux fins de voir annuler ou réformer la décision de la Commissio

II. Pratique française des ententes

Ainsi que cela été précisé plus, la jurisprudence française ne se préoccupe pas de la forme juridique des entités qui ont commis l’entente. Il convient aussi de préciser que les autorités françaises sont compétentes pour sanctionner cette pratique, lorsque cette dernière a uniquement affecté le territoire français (Com. 31 janvier 2012, n°10-25.775).

En outre, à l’instar du droit européen, un certain nombre d’exemptions sont prévues par la loi, plus particulièrement l’article L.420-4 du code de commerce énonce quelles sont ces exemptions.

Concernant le droit interne, il convient de se référer à l’article L 420-1 du code de commerce qui dispose :

« Sont prohibées même par l’intermédiaire direct ou indirect d’une société du groupe implantée hors de France, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à :

1°Limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ;

2°Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3°Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4°Répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement. »

Le droit interne impose donc la conjonction de deux éléments afin de caractériser une entente entre des opérateurs économiques :

  • L’exigence d’une pratique collusive
  • L’exigence d’une restriction de la concurrence sur les marchés
  • L’exigence d’une pratique collusive

Il convient de rappeler que l’entente doit se prouver en rapportant la preuve d’un concours de volontés entre les entités économiques (Conseil de la concurrence, n°07-D-2007). Cette preuve incombe nécessairement à celui qui s’en prétend victime ou à l’autorité de poursuite qu’elle soit pénale ou administrative (Com, 12 octobre 1993,n°91-16.988).

Afin de déterminer l’existence d’une entente, les autorités de poursuite vont raisonner selon le principe du faisceau d’indices. Dans sa décision n°95-D-51 du 11juillet 1995, le conseil de la concurrence énonce un certain nombre« d’indices graves, précis et concordants » permettant de conclure à l’existence d’une entente illégale (Voir aussi Conseil de la concurrence n°95-D-76 du 29 novembre 1995).

En ce qui concerne l’affaire citée en référence, c’est à la suite de la transmission de« certains indices » à la DGCCRF en 2011-2012, qu’une enquête a été ouverte par l’Autorité de la concurrence en mai 2012.

En octobre 2013 puis en mai 2014, des visites et des saisies ont été opérées dans les locaux des sociétés soupçonnées.

En l’espèce,l’Autorité de la concurrence a pu mettre en évidence que les contrevenantes avaient organisé un certain nombre de réunions en marge d’événements organisés par le GIFAM (organisation syndicale des fabricants d’électroménager).

L’Autorité avait ainsi pu déterminer que les entreprises avaient convenus de procéder à une hausse concertée des prix et constater une corrélation entre les prix publics et les prix recommandés lors des réunions. 

Enfin, cette entente doit constituer une restriction au principe de libre concurrence sur les marchés.

Même si l’autorité de poursuite n’est pas obligée démontrer quel est le marché qui est affecté par l’entente, elle doit au moins déterminer avec précision qui sont les entités concernées (Conseil de la concurrence n°05-D-27 du 15 juin 2005). Par exemple, l’Autorité de la concurrence a démontré dans cette affaire que le marché du gros électroménager était concerné. Elle précise aussi quels sont les sous marchés impactés par ces infractions.

Les juridictions françaises étant confrontées aux mêmes problématiques que le juge européen, des pratiques tendant à limiter l’accès de concurrents au marché ont pu être sanctionnées, tout comme le fait de pratiquer des prix prédateurs afin d’exclure un concurrent du marché (Conseil de la concurrence, n°94-MC-10 du 14 septembre 1994), ou alors la pratique dite « des offres de couverture » (Com, 24 mars 1998, n°96-14.845) ou le fait de boycotter un fournisseur (Com, 22 octobre 2002,n°00-18.048), ou enfin le fait de pré-programmer des appareils pour un opérateur spécifique (Paris, 13 juillet2000).

Sanctions :

Étant entendu que des sanctions de nature pénale sont prévues à l’article L.420-6 du code de commerce, les sanctions pécuniaires sont elles prononcées par l’Autorité de la concurrence.

En effet, l’article L.464-2 du code de commerce précise quels sont les pouvoirs de l’Autorité ainsi que les sanctions encourues par les contrevenants. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise de 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédent.La prise en compte de l’exercice précédent permet d’avoir une vision de l’activité de l’entité et de ne pas fonder la sanction sur une période durant laquelle elle a commis une infraction.

En l’espèce, l’Autorité condamne 6 fabricants après négociations à une somme totale de 189 millions d’euros. Whirlpool étant l’entité la plus sévèrement condamnée.