Le refus de la Commission européenne, sur le fondement de la réglementation européenne sur les concentrations, d’accepter la fusion entre ces deux groupes spécialisés dans le transport ferroviaire afin de donner naissance à un géant dans ce domaine nous amène à nous interroger sur les modalités de fonctionnement de cette réglementation.

  • Bases juridiques

Les témoins attentifs de cette affaire ont pu constater que le contrôle des opérations de concentration s’effectue ex ante, c’est-à-dire en amont de la procédure de fusion.

En droit interne, Le contrôle des concentrations en France est réglementé au Titre III du Livre IV par les articles L 430-1 s. et R 430-2 s. du Code de commerce :

« 1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;

2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises.

II. - La création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration au sens du présent article.

III. - Aux fins de l'application du présent titre, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et notamment :

- des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ;

- des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise »

Ces dispositions sont liées aux autres règles destinées à protéger la concurrence, notamment celles réprimant les ententes et abus de domination.

L'Autorité de la concurrence, compétente pour contrôler les opérations de concentration de dimension nationale, a publié le 10 juillet 2013 une version mise à jour de ses « Lignes Directrices relatives au contrôle des concentrations »

Le contrôle des concentrations porte sur l’ensemble de toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public. Toutefois, les concentrations dans les domaines de la presse, la banque, grande distribution, les assurances ainsi que dans la communication audiovisuelle font l’objet de dispositions spécifiques.

En droit européen, le contrôle des concentrations est institué par le règlement du Conseil 139/2004 du 20 janvier 2004.

Le règlement 139/2004 est complété par le règlement de la Commission 802/2004 du 21 avril 2004, modifié par le règlement 1003/2008 du 20 octobre 2008 et le règlement d'exécution (UE) n° 1269/2013 du 5 décembre 2013, précisant les règles de procédure, ainsi que par :

- une communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement 139/2004 (JOUE 2009 C 43 p. 10), qui remplace quatre communications de la Commission du 2 mars 1998 relatives respectivement à la notion de concentration, la notion d'entreprises communes de plein exercice, la notion d'entreprises concernées et le calcul du chiffre d'affaires ;

- deux communications du 5 mars 2005 relatives aux restrictions accessoires aux opérations de concentration et à la procédure de renvoi des affaires de concentrations entre la Commission et les autorités nationales, une communication du 22 décembre 2005 relative aux règles d'accès au dossier de la Commission, une communication du 22 octobre 2008 concernant les mesures correctives recevables (JOUE 2008 C 267 p. 1) et une communication du 14 décembre 2013 relative à la procédure simplifiée (JOUE 2013 C 366 p. 5) ;

- des lignes directrices « sur l'appréciation des concentrations horizontales » (JOUE 2004 C 31 p. 5), et « sur l'appréciation des concentrations non horizontales » (JOUE 2008 C 265 p. 6), et un Code de bonnes pratiques

Dans les développements qui suivent, les dispositions du règlement 139/2004 sont désignées par la lettre « R », les « Lignes Directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales » par l'expression « LDH » et les « Lignes Directrices sur l'appréciation des concentrations non horizontales » par l'expression « LDNH ».

Enfin, la Commission européenne a publié en juin 2015, « une Code des bonnes pratiques » concernant les informations confidentielles circulant dans les data-rooms.

Dans les deux législations, européenne et interne, la réglementation relative aux concentrations n’a pas pour objet d’interdire par principe les opérations de concentration dont beaucoup sont nécessaires au renforcement de la compétitivité des entreprises européennes, mais de faire obstacle à celles dont résulterait un pouvoir de marché jugé incompatible avec le Marché intérieur.

  • Seuils de soumission au contrôle

En droit interne, l’article L.430-2 alinéa 1er du Code de commerce précise que les opérations de concentration doivent être soumises à un contrôle lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :

 « -le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d'euros ;

-le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 millions d'euros ;

-l'opération n'entre pas dans le champ d'application du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises. »

 

En droit européen, les concentrations suivantes sont soumises au contrôle de la Commission, lorsque les deux seuils suivants sont réunis :

  • Le chiffre d'affaires total réalisé sur le plan mondial par toutes les entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d'euros.
  • Le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans l'Union européenne par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d'euros.

Il est à noter que les deux procédures coexistent entre elles, seuls les seuils permettent à la personne concernée de savoir si elle doit notifier son projet de concentration auprès soit de l’autorité de la concurrence, soit de la Commission européenne.

  • Pré notification et notification du projet

En droit interne, la phase de pré notification n’est pas expressément prévue par les dispositions du Code de commerce, toutefois, il est conseillé aux entreprises d’échanger des informations et des pièces avec l’autorité de la concurrence en amont de la procédure de contrôle à proprement parlé.

Intervenant dans un cadre beaucoup plus formel la notification du projet doit être adressée à l’autorité de la concurrence, conformément aux dispositions de l’article L.430-3 du Code de commerce.

Cette notification suspend la procédure de concentration jusqu’à la prise de décision de l’autorité de la concurrence quant à la conformité de l’opération.

Les conséquences du défaut de notification sont mentionnées à l’article L430-8 du Code de commerce. 

En droit européen, la notification à la Commission européenne s’effectue après la conclusion de l’accord, de la publicité de l’offre d’achat ou encore de l’acquisition d’une participation de contrôle, mais avant toute réalisation de l’opération. La méconnaissance de cette obligation est passible d’une amende.

  • Instruction et décision

En droit interne, l’article L430-5 du Code de commerce précise que l’autorité de la concurrence dispose d’un délai de 25 jours à compter de la réception de la notification de l’opération pour se prononcer.

Toutefois, si des engagements sont pris par les parties afin de limiter l’impact négatif de leur opération sur la concurrence, ce délai est susceptible d’être augmenté de 15 jours.

A ce stade, trois possibilités subsistent :

  • « soit constater, par décision motivée, que l'opération qui lui a été notifiée n'entre pas dans le champ défini par les articles L. 430-1 et L. 430-2 ;
  • soit autoriser l'opération, en subordonnant éventuellement, par décision motivée, cette autorisation à la réalisation effective des engagements pris par les parties.
  • soit, si elle estime qu'il subsiste un doute sérieux d'atteinte à la concurrence, engager un examen approfondi dans les conditions prévues à l'article L. 430-6. »

Dans certains cas, l’autorité de la concurrence peut décider de lancer une enquête approfondie, si l’opération « est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Elle apprécie si l'opération apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. »

Après avoir pris connaissance de l'ouverture d'un examen approfondi les parties peuvent proposer des engagements de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération.

L’autorité de la concurrence dispose alors d’un délai de 65 jours pour se prononcer sur cette opération.

Au terme de ce délai quatre situations peuvent se présenter :

  • l’autorité interdit l’opération ou à tout le moins enjoint les parties de prendre toutes mesures de nature à rétablir une concurrence suffisante ;
  • l’autorité autorise l’opération en enjoignant les parties aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence ;
  • l’autorité autorise l’opération sans que les parties soient nécessairement soumises à un quelconque engagement ;
  • l’autorité ne prend aucune des décisions ci-dessus et, dans ce cas, la décision revient au Ministre de l’économie.

En droit européen, la Commission doit procéder à un premier examen dont la durée est de 25 jours. Elle peut alors négocier avec les parties qui peuvent prendre des engagements. Ensuite, une seconde phase s’ouvre, d’une durée de 90 jours, en cas de doute sérieux.

Sont incompatibles « les concentrations qui entraveraient de manière significative une concurrence effective dans le Marché commun ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d'une position dominante». Pour apprécier s'il y a entrave significative à la concurrence effective, la Commission tient compte, comme en matière d'application des règles de concurrence, «de la structure de tous les marchés en cause », mais également « de la concurrence réelle ou potentielle d'entreprises situées à l'intérieur ou à l'extérieur de l’Union européenne.

À l'issue de la « phase 2 » de la procédure de contrôle, la Commission peut prendre une décision déclarant le projet de concentration compatible ou incompatible avec le Marché intérieur ou, lorsque celle-ci a déjà été réalisée, ordonner le rétablissement de la situation de droit antérieure. La plupart du temps, la Commission n'accepte de déclarer compatible une opération de concentration qu'en raison des charges et des conditions que les entreprises ont acceptées.

A l’expiration de ces délais, si aucune décision n’est intervenue, l’opération est réputée avoir été autorisée.

  • Contentieux de la décision

En droit interne, les parties à l’opération peuvent contester les décisions prises par l’autorité de la concurrence ou par le Ministre de l’économie par la voie de l’excès de pouvoir. Le Conseil d’État est compétent, en premier et dernier ressort au fond comme en référé, pour connaitre de ce contentieux, qui exerce un contrôle normal sur la décision d’autorisation (CE, 31 juillet 2009, Société Fiducial Informatique et Fiducial Expertise, n°305903).

En droit européen, deux sortes de recours peuvent être exercés devant le Tribunal de l'Union européenne contre les décisions de la Commission :

  • Un recours en annulation qui peut être formé contre toute décision par toute personne physique ou morale qui en est le destinataire ou qui est directement et individuellement concernée par elle (art. 263 du TFUE). Pour qu'un tel recours soit recevable, il faut, d'une part, que la décision de la Commission soit adoptée dans le cadre du règlement sur les concentrations soit considérée comme un acte attaquable et, d'autre part, que les requérants aient un intérêt à agir.
  • Un recours en pleine juridiction qui peut être formé contre les décisions par lesquelles la Commission inflige des amendes ou des astreintes (art. R 16). Le Tribunal peut alors supprimer, réduire ou majorer l'amende ou l'astreinte infligée.

Par ailleurs, il est toujours possible d'assortir un recours au fond d'une demande de référé, fondée sur les articles 278 et 279 du TFUE, devant le président du Tribunal afin d'obtenir le sursis à exécution de la décision.

 

Si vous avez un tel projet, n’hésitez pas à contacter le cabinet Mogenier qui vous accompagnera dans toutes vos démarches.