Dans le cadre d’un dossier récemment traité, le Cabinet MOGENIER s’est penché sur la notion d’investissement étranger en France. Il s’agissait en l’espèce du rachat d’une société spécialisée dans la fabrication d’armes dont le client principal est le Ministère de la Défense.

NOTION D'INVESTISSEMENTS ETRANGERS EN FRANCE:

L’acheteur étant étranger, cet investissement était soumis aux dispositions de articles L.151-3 du code monétaire et financier.

En outre, le décret n° 2018-1057 du 29 novembre 2018 est venu élargir les secteurs relevant du régime d’autorisation préalable et plus particulièrement ceux de l'intelligence artificielle et de la robotique.

Cet article précise que :

« I. – Sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l'économie les investissements étrangers dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l'exercice de l'autorité publique ou relève de l'un des domaines suivants :

a) Activités de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ;

b) Activités de recherche, de production ou de commercialisation d'armes, de munitions, de poudres et substances explosives.

Un décret en Conseil d'Etat définit la nature des activités ci-dessus.

II. – L'autorisation donnée peut être assortie le cas échéant de conditions visant à assurer que l'investissement projeté ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux visés au I.

Le décret mentionné au I précise la nature des conditions dont peut être assortie l'autorisation.

III. – Le ministre chargé de l'économie, s'il constate qu'un investissement étranger est ou a été réalisé en méconnaissance des prescriptions du I ou du II, peut enjoindre à l'investisseur de ne pas donner suite à l'opération, de la modifier ou de faire rétablir à ses frais la situation antérieure.

Cette injonction ne peut intervenir qu'après l'envoi d'une mise en demeure à l'investisseur de faire connaître ses observations dans un délai de quinze jours.

En cas de non-respect de l'injonction précitée, le ministre chargé de l'économie peut, après avoir mis l'investisseur à même de présenter ses observations sur les faits qui lui sont reprochés dans un délai minimum de quinze jours, sans préjudice du rétablissement de la situation antérieure, lui infliger une sanction pécuniaire dont le montant maximum s'élève au double du montant de l'investissement irrégulier. Le montant de la sanction pécuniaire doit être proportionnel à la gravité des manquements commis. Le montant de la sanction est recouvré comme les créances de l'Etat étrangères à l'impôt et au domaine.

Ces décisions sont susceptibles d'un recours de plein contentieux.

Le décret mentionné au I détermine les modalités d'application du III. »

Il s’évince de ce texte que le Ministre de l’Économie peut, dans le cadre des compétences qui lui sont confiées, peut s’opposer à un investissement étranger qui aurait pour objet de prendre le contrôle d’une entreprise dont l’activité est en lien avec la commercialisation d’armes. En l’espèce, la cession envisagée relevait pleinement de la compétence du Ministre qui a donné ladite autorisation sous condition de préciser la liste des bénéficiaire effectifs de l’opération.

Or, le Ministre n’avait pas épuisé sa compétence puisqu’il s’était contenté de prendre une connaissance succincte d’un montage qui s’était révélé être un enchevêtrement de holding détenues in fine par deux sociétés offshore basées aux Iles Caïmans.

NOTION DE BENEFICIAIRES EFFECTIFS:

Le stratagème ayant été découvert, la décision d’autorisation a été contestée devant le Tribunal administratif de Paris. Le recours a été rejeté tout comme en appel puis en cassation.

Au final, dans ce dossier, la principale difficulté provenait du fait que l’Ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme n’était pas encore entrée en vigueur et que les acheteurs n’avaient pas pour obligation d’annexer à leur document d’immatriculation le registre de leurs bénéficiaires effectifs.

Désormais codifiée à l’article L.561-46 du code monétaire et financier, ce texte impose que :

« Les sociétés et entités juridiques mentionnées aux 2°, 3° et 5° du I de l'article L. 123-1 du code de commerce autres que les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé en France ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans un autre pays tiers imposant des obligations reconnues comme équivalentes par la Commission européenne au sens de la directive 2013/50/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013, et établies sur le territoire français conformément à l'article L. 123-11 du même code sont tenues d'obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs définis à l'article L. 561-2-2.

Sans préjudice de la communication de l'information sur l'identité du bénéficiaire effectif requise en vertu des obligations de vigilance à l'égard de la clientèle prévues à la section 3 du présent chapitre, les sociétés et entités juridiques mentionnées au premier alinéa déposent au greffe du tribunal, pour être annexé au registre du commerce et des sociétés, un document relatif au bénéficiaire effectif contenant les éléments d'identification et le domicile personnel de ce dernier ainsi que les modalités du contrôle qu'il exerce.

Seules peuvent avoir communication du document relatif au bénéficiaire effectif :

1° La société ou l'entité juridique l'ayant déposé ;

2° Sans restriction les autorités compétentes suivantes, dans le cadre de leur mission :

– les autorités judiciaires ;

– la cellule de renseignement financier nationale mentionnée à l'article L. 521-23 ;

– les agents de l'administration des douanes agissant sur le fondement des prérogatives conférées par le code des douanes ;

– les agents habilités de l'administration des finances publiques chargés du contrôle et du recouvrement en matière fiscale ;

– les autorités de contrôle mentionnées à l'article L. 561-36 ;

3° Les personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme mentionnées à l'article L. 561-2 dans le cadre d'une au moins des mesures de vigilance mentionnées aux articles L. 561-4-1 à L. 561-14-2 ;

4° Toute autre personne justifiant d’un intérêt légitime et autorisé par le juge commis à la surveillance du registre du commerce et de sociétés auprès duquel est immatriculée la société ou l'entité juridique mentionnée au 1°.

Les autorités compétentes mentionnées au 2° du présent article reçoivent en temps utile à leur demande ou à l'initiative des autorités compétentes des Etats membres de l'Union européenne ou communiquent en temps utile, à leur demande ou à l'initiative de ces autorités, les informations mentionnées au premier alinéa nécessaires à l'accomplissement de leur mission. »

 

Ce texte impose aux entités tenues de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés d’annexer la liste de leurs bénéficiaires effectifs. On entend par bénéficiaire effectif, les personnes physiques qui détiennent directement ou indirectement plus de 25 % du capital et/ou des droits de vote de l'entité, ou qui exercent par tout autre moyen un pouvoir de contrôle sur les organes d'administration. En présence d'associés personnes morales, ce régime oblige à remonter jusqu'aux personnes physiques remplissant ces critères. Si aucune personne physique ne remplit ces conditions, par défaut, le ou les bénéficiaires effectifs sont la ou les personnes physiques qui occupent directement ou indirectement (par l'intermédiaire d'une personne morale) la position de représentant légal de l’entité déclarante.

Cette déclaration doit être déposée par la société ou l'entité concernée au greffe du tribunal de commerce du lieu de son siège social, pour être annexé au registre du commerce et des sociétés. Cette obligation est accomplie par le représentant légal de l'entité concernée.

En ce qui concerne les sanctions l’article L561-49 du code monétaire et financier précise que le fait de ne pas procéder à une telle déclaration ou de procéder au dépôt d’une déclaration incomplète est punie de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d'amende (37 500 euros s’il s’agit d’une personne morale), ainsi que par certaines peines complémentaires, comme une interdiction de gérer. Une sanction identique est prévue en cas de dépôt d’un document comportant des informations inexactes ou incomplètes.

Afin de compléter ce propos, il convient de signaler qu’une ordonnance récente du juge à la surveillance du RCS de Bobigny vient d’apporter des précisions intéressantes :

  • le déposant doit indiquer pour chaque bénéficiaire effectif le pourcentage de parts sociales ou d’action qu’elles détiennent en capital ou en droit de vote.
  • la déclaration doit être en conformité avec l’identité et les adresses des associés connus et inscrits sur le K-BIS.

Cette solution mérite d’être signalée car elle clarifie le régime juridique de déclaration des bénéficiaires effectifs.

PROJET DE LOI PACTE:

Enfin, il n'est pas inintéressant de souligner que la loi PACTE prévoit le renforcement du contrôle de ces investissements.

Tout d'abord, le projet de loi prévoit le renforcement du pouvoir de sanction du Ministre de l'économie s'il constate certains manquement:

- la réalidsation d'une opération sans autorisation préalable;

- l'obtention frauduleuse d'une autorisation préalable;

- le manquement aux conditions,

- le non-respect de l'injonction

Il pourra prononcer une amende dont le montant ne pourra excéder la plus élevée des sommes suivantes : le double du montant de l’investissement irrégulier, 10 % du montant du chiffre d’affaires annuel de la société cible, un million d’euros pour les personnes physiques et 5 millions d’euros pour les personnes morales. Par ailleurs, afin de clarifier le traitement des opérations réalisées sans autorisation préalable, le ministre aura enfin la possibilité d’autoriser une opération a posteriori, tout en sanctionnant l’investisseur qui n’aurait pas sollicité d’autorisation préalable. Il pourra toujours obtenir le rétablissement de la situation antérieure mais aussi imposer à un investisseur de solliciter une autorisation.

Ensuite, le Ministre peut, s'il estime que les intérêts nationaux sont en péril, prendre des mesures conservatoires qui lui apparaitraient nécessaires. Plus précisément, il pourra prononcer la suspension des droits de vote attachés à la fraction des actions ou des parts sociales, dont la détention aurait du faire l'objet d'une autorisation préalable, mais aussi interdire ou limiter la distribution de dividendes ou de rémunérations attachés aux actions ou aux parts sociales.

Enfin, le Ministre voit son pouvoir d'injonction aussi renforcé puisqu'il disposerait de la faculté d'enjoindre :

-l'investisseur de déposer une autorisation préalable;

-l'investisseur de rétablir à ses frais la situation antérieure;

-l'investisseur de modifier les modalités de son investissement.

Si cette loi voit le jour, il est clair que le législateur français a entendu renforcer son contrôle sur les investissements étrangers dans les secteurs sensibles.

Le Cabinet MOGENIER demeure à votre disposition pour vous accompagner sur des problématiques d’investissement étrangers et d’identification de bénéficiaires effectifs.