Par un arrêt du 22 mai 2019, le Conseil d’État a donné une nouvelle illustration de la notion de domaine public virtuel.

Faits :

Une nouvelle fois, les faits sont relativement simplement, en 2012 la commune de Langlade a conclu avec une association une convention de partenariat pour la mise à disposition, à titre gracieux, de locaux pour la gestion d’une crèche. La convention a été renouvelée d’années en années jusqu’en 2018. A cette date, le maire a informé l’association du non-renouvellement de la convention suite à la décision de la mairie d’instaurer dans ces locaux un service public communal d’accueil de la petite enfance.

La commune avait saisi le juge des référés, qui avait fait droit à la demande, aux fins d’obtenir l’expulsion, sous astreinte, de l’association. Cette dernière avait décidé de se pourvoir devant le Conseil d’État.

Question de droit :

Des locaux affectés au service de la petite enfance font-ils partie du domaine public virtuel ?

Considérant de principe :

« Ces locaux, dans lesquels l’association exploitait une crèche et une halte-garderie, disposaient déjà des aménagements indispensables à l’activité de service public dont la création avait été décidée. En retenant, eu égard à l’ensemble des circonstances de droit et de fait de l’espèce, que les locaux en cause pouvaient être regardés comme une dépendance du domaine public de la commune de Langlade et que la demande de la commune tendant au prononcé d’une mesure d’expulsion de ces locaux n’échappait pas manifestement à la compétence de la juridiction administrative, le juge des référés du tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit »

Enseignement n°1 :

Quand bien même le domaine public virtuel constitue une catégorie à part, puisqu’il s’agit d’une projection de la consistance future de ce domaine, il convient de rappeler quelles sont les modalités d’identification du domaine public.

En premier lieu, le bien en cause doit appartenir à une personne publique ou à l’un de ses établissements (CE, 23 octobre 1998, EDF, n°160246). Toutefois, en sont exclus les biens qui sont en copropriété (CE, 11 février 1994, Compagnie d’assurances Préservatrice Foncière, n°109564).

En second lieu, il convient de vérifier si le bien est directement affecté et aménager pour les besoins du service public, qu’il soit administratif ou industriel et commercial (CE, 11 mai 1959, Sieur Dauphin, n°9229).

En troisième lieu, la jurisprudence n’a cessé d’étendre la consistance du domaine public en prenant, par exemple, en compte les biens accessoires du domaine public qui, se retrouvent incorporés dans ce dernier (CE, 11 décembre 2008, Mme Perreau Polier et autres, n°309260).

Enseignement n°2 :

Un petit rappel de la notion de domaine public virtuel est nécessaire pour apprécier la portée de la décision du Conseil d’État.

Par sa décision du 6 mai 1985 « Eurolat », le Conseil d’État avait signé l’acte de naissance de la notion de domaine public virtuel. Cette théorie consiste à appliquer par anticipation les principes de la domanialité publique à des immeubles affectés à l’utilité publique qui ne sont pas encore aménagés, mais qui le seront.

D’aucuns, dont le rapport de présentation de la loi, avaient signé l’arrêté de mort de cette théorie avec l’entrée en vigueur du CG3P en 2006. La disparition de cette notion était fondée sur la lecture de l’article L.2111-1, qui disposait que :

«  Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. »

Cette perception avait été confirmée par l’arrêt du Conseil d’État du 8 avril 2013 (CE, 8 avril 2013, association ATLALR, n°363738) :

” Considérant qu’avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l’appartenance d’un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ; que le fait de prévoir de façon certaine un tel aménagement du bien concerné impliquait que celui-ci était soumis, dès ce moment, aux principes de la domanialité publique ; qu’en l’absence de toute disposition en ce sens, l’entrée en vigueur de ce code n’a pu, par elle-même, avoir pour effet d’entraîner le déclassement de dépendances qui, n’ayant encore fait l’objet d’aucun aménagement, appartenaient antérieurement au domaine public en application de la règle énoncée ci-dessus, alors même qu’en l’absence de réalisation de l’aménagement prévu, elles ne rempliraient pas l’une des conditions fixées depuis le 1er juillet 2006 par l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui exige, pour qu’un bien affecté au service public constitue une dépendance du domaine public, que ce bien fasse déjà l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public […] »

Mais, contre toute attente, par une décision du 13 avril 2016 (CE, 13 avril 2016, Commune de Baillargues, n°391431), le Conseil d’État avait ressuscité cette notion au détour d’une banale action en bornage :

“quand une personne publique a pris la décision d’affecter un bien qui lui appartient à un service public et que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine, eu égard à l’ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés, ce bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public”

Par cette nouvelle décision, le Conseil d’État confirme que cette théorie n’est pas morte et, même sa vitalité.

Enseignement n°3 :

Dans cette décision, le Conseil d’État considère donc que les aménagements dont disposaient les locaux étaient indispensables à l’activité envisagée par la commune. Qu’à ce titre les locaux devaient donc être regardés comme constituant une dépendance du domaine public.

Le Cabinet MOGENIER intervient dans toutes les problématiques relatives au domaine public ou privé de l’État et de ses collectivités.