La CEDH (CEDH, 6 juin 2019, Nodet c/France, n°47342/14) vient de condamner la France pour violation du droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour la même infraction. En l’espèce, deux sanctions concernant une seule infraction avaient été prononcées, l’une par l’AMF, l’autre par une juridiction pénale.

Faits :

Le requérant, analyste financier, avait réalisé un certain nombre d’opérations sur le cours de l’action FPR, en utilisant plusieurs comptes bancaires sur lesquels il détenait un pouvoir et d’autres à partir du compte d’une amie.

Il dégagea de ces opérations une plus-value substantielle. C’est dans ces conditions que l’AMF a diligenté une enquête et déposa son rapport aux termes duquel il est précisé que les opérations concernées étaient susceptibles d’être considérées comme constitutives d’une opération de manipulation du marché au sens des dispositions des articles 631-1 et 631-2 du RGAMF.

Par une décision SAN-2008-09 du 20 décembre 2007, l’AMF infligea au requérant une amende d’un montant de 250.000 euros. Saisies, la Cour d’appel puis la Cour de cassation ont confirmé cette décision.

Alors que le pourvoi étant pendant devant la Cour de cassation, le requérant fut cité à comparaitre devant le procureur de la République pour répondre de l’infraction de manipulation de cours. Soit les mêmes que ceux qui lui ont valu l’amende précitée.

Considérant que les faits qui lui été reprochés par les juridictions pénales étaient les mêmes que ceux qui avaient abouti à sa condamnation civile, le requérant déposa des conclusions contestant la procédure en cours, en vertu du principe de non bis in idem, dont la protection repose sur l’article 4 du protocole 7 de la CEDH. 

Pour rappel, le Conseil constitutionnel avait déjà été amené à censurer les dispositions des articles L.465-1 et L.621-15 du CMF en raison de leur méconnaissance de ce principe (CC, 18 mars 2015, n°2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC). En conséquence, le législateur avait adapté son arsenal législatif à cette préoccupation en adoptant la loi n°2016-819 du 21 juin 2016 qui un mécanisme de coordination entre les autorités administratives et répressives (Cf. précédent article publié à ce sujet).

Toutefois, il fut condamné par le tribunal correctionnel de Paris à une peine de huit mois avec sursis. Cette peine sera confirmée en appel puis en cassation. C’est dans ces conditions que le requérant a saisi la Cour EDH.

Question de droit :

Une personne peut-elle être condamnée deux fois ou par deux juridictions différentes pour des faits identiques ?

Considérant de principe :

44. La Cour rappelle que l’article 4 du Protocole no 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (Sergueï Zolotoukhine c. Russie ([GC], no 14939/03, § 82, 10 février 2009, et Jóhannesson et autres c. Islande, no 22007/10, § 45, 18 mai 2017).

45. En l’espèce, elle constate que les faits reprochés étaient identiques dans les deux procédures.

Enseignement n°1 :

Les juridictions européennes ont déjà été amenées à se pencher sur les contentieux relatifs aux abus de marché (CEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et autres c/ Italie, n°18640/10). Dans cet arrêt, la CEDH avait conclu à la violation du principe non bis in idem dans le cadre des poursuites engagées par des autorités administratives et répressives. Les juridictions ont récemment sanctionné de pratiques équivalentes pour des infractions relatives à la TVA (CJUE, 20 mars 2018, Menci, aff. C-524/15) et en matière d’opérations d’initiés et de manipulation de marché (CJUE, 20 mars 2018, Garlsson Real Estate et autres et Di Puma, aff. C-596/16).

En l’espèce, la CEDH rappelle, dans un premier temps, le cadre juridique du principe non bis in idem appliqué au procédures mixtes (CEDH, 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, n°24130/11 et 297558/11) :

« L’article 4 du Protocole n°7 a pour objet d’empêcher l’injustice que représenterait pour une personne le fait d’être poursuivie ou punie deux fois pour le même comportement délictueux. Il ne bannit toutefois pas les systèmes juridiques qui traitent de manière «intégrée» le méfait néfaste pour la société en question, notamment en réprimant celui-ci dans le cadre de phases parallèles menées par des autorités différentes à des fins différentes.

Dans une telle situation, il convient donc les procédures soient unies « par un lien matériel suffisamment étroit ».

Enseignement n°2 :

Dans un second procède à une définition de ce qu’elle entend par « lien matériel suffisamment étroit ». La CEDH avait déjà eu l’occasion de déterminer qu’un tel lien était caractérisé par :

132.Les éléments pertinents pour statuer sur l’existence d’un lien suffisamment étroit du point de vue matériel sont notamment les suivants:

–le point de savoir si les différentes procédures visent des buts complémentaires et concernent ainsi, non seulement in abstracto mais aussi in concreto, des aspects différents de l’acte préjudiciable à la société en cause;

–le point de savoir si la mixité des procédures en question est une conséquence prévisible, aussi bien en droit qu’en pratique, du même comportement réprimé (idem)

;–le point de savoir si les procédures en question ont été conduites d’une manière qui évite autant que possible toute répétition dans le recueil et dans l’appréciation des éléments de preuve, notamment grâce à une interaction adéquate entre les diverses autorités compétentes, faisant apparaître que l’établissement des faits effectué dans l’une des procédures a été repris dans l’autre;

–et, surtout, le point de savoir si la sanction imposée à l’issue de la procédure arrivée à son terme en premier a été prise en compte dans la procédure qui a pris fin en dernier, de manière à ne pas faire porter pour finir à l’intéressé un fardeau excessif, ce dernier risque étant moins susceptible de se présenter s’il existe un mécanisme compensatoire conçu pour assurer que le montant global de toutes les peines prononcées est proportionné. »

En l’espèce, sur le point la juridiction de Strasbourg considère que la sanction de l’AMF peut être assimilé à une sanction de nature pénale. En second lieu, la CEDH constate que les faits reprochés devant les deux juridictions sont bien identiques. En troisième lieu, la CEDH indique que « la question du caractère « définitif » ou non d’une décision ne se pose pas dès lors qu’il y a non pas une répétition des poursuites à proprement parler, mais plutôt une combinaison de procédures dont on peut considérer qu’elles forment un tout intégré ».

En quatrième lieu, la CEDH relève qu’il y a eu répétition dans le mode de recueil des preuves et, que la procédure a duré plus de 7 ans et demi.

Enseignement n°3 :

En conséquence, la CEDH conclut à la violation de l’article 4 du protocole n°7 et considère que le requérant a subi un préjudice disproportionné en raison de la double condamnation dont il a été l’objet. La France est, en conséquence, condamnée à lui verser la somme de 20.000 euros.