Le Conseil d’État, dans un arrêt du 24 juin 2019 (n°407059), vient d’expliciter la méthode pour déterminer si une décision administrative affectée par un vice de compétence a causé un préjudice à son destinataire.

Faits :

Une entreprise agricole plaignait d’une série d’arrêtés pris par le préfet de la Drome entre 2004 et 2010 qui ordonnait l’arrachage de ses arbres fruitiers afin de limiter la propagation de la maladie de sharka, qui affectait les vergers de cette entreprise.

Or, le préfet était incompétent pour prendre une telle mesure laquelle relevait de la compétence du ministre de l’agriculture. C’est dans ces conditions que l’entreprise a saisi le Tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté sa demande. Il en fut de même par la Cour administrative d’appel de Lyon. C’est contre cette décision que l’entreprise s’est pourvue en cassation.

Question de droit :

Quelle sont les modalités de détermination du préjudice subi par un requérant suite à une décision prise par une autorité incompétente ?

Considérant de principe :

« 2. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale. »

Enseignement n°1 :

Dans un premier temps, le Conseil d’État souligne effectivement que seul le ministre de l’agriculture est compétent pour prononcer les mesures d’arrachage dont la requérante se plaignait. Toutefois, il note que la requérante ne démontre pas que le ministre aurait pris une autre décision que celle prise par le préfet. C’est le point central de cet arrêt, pour déterminer si une décision, prise par une autorité incompétente, est susceptible d’avoir causé un préjudice à son destinataire, le juge administratif doit vérifier si l’autorité réellement compétent aurait pris une décision identique. Si ce n’est pas le cas, alors le requérant a le droit de se faire indemniser pour le préjudice subi.

Enseignement n°2 :

En l’espèce, le Conseil d’État écarte donc tout lien de causalité entre la décision prise par l’autorité incompétente et le préjudice invoqué par la requérante. Dans ces conditions, il rejette purement et simplement la demande d’indemnisation sollicitée par l’entreprise pour une partie seulement des arrachages.

Enseignement n°3 :

Enfin, le Conseil d’État annule l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon en ce qu’elle a inexactement qualifié les faits de l'espèce s'agissant des arrêtés des 12 novembre 2003, 10 juin 2008, 27 avril 2009 et 24 juin 2010 qui ont retenu un seuil de contamination de 5 %, dès lors qu'il ne résultait pas de l'instruction que le ministre aurait, aux dates considérées, pris des mesures identiques à celles résultant des décisions incompétemment prises par le préfet.