Plusieurs décisions intéressantes ont été rendues en ce qui concerne le droit de la concurrence et droit public économique.

Aides d’Etat

Plusieurs décisions sont très intéressantes :

Tout d’abord, la décision du TUE (19 septembre 2019, aff. T-386/14) qui doit être notée car dans cette décision procède à une définition de la notion de « créancier en économie de marché ». 

Ensuite, une nouvelle décision du TUE doit être signalée. Dans cette décision (TUE, 20 septembre 2019, T-673/17) le TUE considère que l’exonération dont les ports belges bénéficient constituent une aide d’Etat incompatible avec le marché et enjoint l’Etat belge de supprimer ladite exonération.

En l’espèce, les requérantes soutenaient que les activités exercées par le port constituaient un service non économique d’intérêt général, échappant ainsi à l’application des dispositions du traité en matière d’aides d’État. Le TUE considère au contraire que les ports belges qui exploitaient directement les infrastructures ou fournissaient des services dans un port, étaient — au moins partiellement — des entreprises au sens de l’article 107, § 1, TFUE. Le TUE rappelle d’abord que la circonstance qu’une entité dispose, pour l’exercice d’une partie de ses activités, de prérogatives de puissance publique n’empêche pas, à elle seule, de la qualifier d’entreprise au sens des dispositions du traité relatives aux règles de concurrence pour le reste de ses activités économiques (aff. T-696/17, pts. 54-55). Par ailleurs, le Tribunal estime que c’est à tort que les requérantes prétendent que la Commission aurait opéré une confusion dans la décision attaquée entre les activités des ports et celles de leurs usagers, ainsi qu’entre la gestion de l’infrastructure et l’exploitation commerciale de la superstructure portuaire (aff. T-696/17, pt. 73). Il écarte également le grief tiré de l’absence d’activité économique en raison de la pratique tarifaire des ports. L’existence d’une rémunération constitue bien un élément pertinent afin d’établir l’existence d’une activité économique (aff. T-696/17, pt. 76). Peu importe à cet égard que les tarifs pratiqués ne soient pas définis par les ports (aff. T-696/17, pt. 78). De même le Tribunal rejette, faute de démonstration des requérantes, l’argument selon lequel les activités économiques des ports ne présenteraient qu’un caractère accessoire par rapport à leurs activités non économiques d’intérêt général (aff. T-696/17, pts. 90-92).

Le Tribunal écarte également l’argument selon lequel il n’existerait pas de marché sur lequel les autorités portuaires offriraient leurs services. Il rappelle à cet égard que la notion d’activité économique est une notion objective, qui découle d’éléments de fait, notamment de l’existence d’un marché pour les services concernés et ne dépend pas des choix ou des appréciations nationales (aff. T-696/17, pt. 98). Du reste, il existe bien une concurrence au niveau de l’Union entre les différents ports maritimes, en particulier sur l’axe Hambourg-Rotterdam-Anvers, pour attirer des navires ou d’autres prestataires de services (aff. T-696/17, pt. 99).

Les requérantes mettaient encore en avant le caractère de service d’intérêt général des activités des ports, de sorte que l’intervention de la France devrait être appréhendée comme une compensation d’obligations de service public, qui sort dès lors du champ d’application de l’article 107, § 1, TFUE. Le Tribunal répond que la circonstance qu’une entité dispose, pour l’exercice d’une partie de ses activités, de prérogatives de puissance publique n’empêche pas, à elle seule, de la qualifier d’entreprise. Cette circonstance ne suffit pas, dès lors, à leur retirer la qualification d’« entreprises », si et dans la mesure où les ports exercent également des activités économiques, consistant à offrir des biens et des services sur le marché contre rémunération, telles que celles qui ont été identifiées par la Commission (aff. T-673/17, pts. 92-93).

Plusieurs moyens des requérantes étaient par ailleurs tirés d’une violation du critère de sélectivité. En substance, la Commission aurait procédé à une identification erronée du cadre de référence. Sur ce point, le Tribunal estime que le raisonnement de la Commission, qui s’est fondée essentiellement sur le fait que les ports étaient en principe des « sociétés » pour les besoins de l’impôt sur les revenus à raison de l’essentiel de leurs activités, qui étaient des activités économiques et qui a ainsi considéré que, en l’absence de l’article 180, point 2, du CIR, les ports seraient normalement soumis à l’ISoc et a rejeté l’idée selon laquelle, en vertu d’une application « normale » des articles 1er et 2 du CIR, les ports seraient soumis à l’IPM et non à l’ISoc, n’est entaché d’aucune erreur d’appréciation (aff. T-696/17, pt. 145). Il ressort en effet de la logique de ces dispositions que les sociétés résidentes qui se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif doivent, en principe, être soumises à l’ISoc. L’article 180, point 2, du CIR instaure ainsi une exonération inconditionnelle de l’ISoc en faveur des ports qui y sont visés, dans la mesure où ces derniers effectuent bien des opérations de caractère lucratif, au sens de l’article 2, point 5, sous a), du CIR. Par conséquent, l’article 180, point 2, du CIR ne fait pas partie intégrante ou ne relève pas de la logique même du cadre de référence, mais constitue bien une dérogation audit cadre (aff. T-696/17, pt. 156). Dès lors, estime le Tribunal, la Commission a considéré, à juste titre, dans la décision attaquée, que le cadre de référence aux fins de l’examen de la sélectivité était constitué, en l’espèce, des articles 1er et 2 du CIR, auquel l’article 180, point 2, du CIR constitue une dérogation, dans la mesure où cette dernière disposition exonère inconditionnellement les ports de l’ISoc, alors même qu’ils se liv rent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, au sens de l’article 2, point 5, sous a), du CIR (aff. T-696/17, pt. 163).

En outre, le Tribunal parvient à la conclusion que l’exonération fiscale telle que celle prévue par l’article 180, point 2, du CIR est de nature à favoriser certaines entreprises par rapport à d’autres qui se trouveraient dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime commun. Dès lors, la Commission a constaté, à juste titre que la mesure en cause était prima facie sélective, dans la mesure où elle constituait une dérogation au cadre de référence, constitué des articles 1er et 2 du CIR, et où elle introduisait une différenciation entre les ports et les sociétés assujetties à l’ISoc, alors même que, au regard de l’objectif de ce cadre de référence, ils se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable (aff. T-696/17, pt. 192).

Enfin, dans une troisième décision (20 septembre 2019, aff. T-217/17), le TUE se prononce sur la notion de décision. En effet, dans le cadre d’un litige concernant une aide d’Etat versée aux producteurs d’EnR, les requérantes faisaient grief à la Commission d’être revenu sur une décision de 2004 par laquelle elle aurait considéré que les sommes en question de relevaient pas du régime des aides d’Etat. Les sociétés en question soutenaient en substance, que la lettre de 2004, dans laquelle la Commission avait conclu que le régime initial ne constituait pas une aide d’État, était une décision définitive contraignante et que, par conséquent, la Commission ne pouvait adopter la décision attaquée en raison du caractère définitif de cette « décision de 2004 », qui serait toujours en vigueur. En d’autres termes, la Commission aurait dû abroger cette « décision » avant de procéder à l’adoption de la décision attaquée, ce qu’elle n’a pas fait.

Le Tribunal adopte une autre lecture en soulignant que,  ladite lettre ne revêtait le caractère d’une décision. Si, certes, certains passages de cette lettre indiquent que les services de la Commission « ont conclu » qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes pour continuer l’enquête ou que la mesure en cause n’impliquait pas de ressources d’État, il y a lieu de constater que lesdits services ont précisé, d’une part, que leurs appréciations étaient fondées « sur la base de l’information disponible », à savoir, notamment, un « projet législatif », et, d’autre part, en fin de courrier, qu’ils invitaient les plaignantes, si elles devaient avoir à leur disposition de nouveaux éléments de nature à démontrer une violation des règles relatives aux aides d’État, à les en informer dès que possible. Il s’ensuit que ces services se réservaient la possibilité de revenir sur leur position si de nouveaux éléments devaient leur être apportés, ce qui démontre également que la lettre en question ne revêtait pas un caractère décisionnel ou définitif (pt. 49). Du reste, le règlement n° 659/1999 n’autorisait pas la Commission à adopter de décision à la suite d’une plainte faisant état d’un projet d’aide qui n’était ni notifié ni mis à exécution (pt. 51). Même à supposer que la lettre de 2004 constitue une décision au sens du traité ou du règlement n° 659/1999, elle ne saurait empêcher la Commission d’adopter une décision telle que la décision attaquée, ni d’ailleurs la contraindre à « révoquer » d’abord la « décision de 2004 » avant d’adopter la décision attaquée. En effet, le régime de promotion de la production d’électricité à partir de SER, qui a été notifié en 2014, est substantiellement différent de celui ressortant du projet de loi, qui avait été porté à l’attention de la Commission en 2003 (pts. 58-59).

Les autres développements ne méritent pas d’être signalés.

Droit des concentrations

L’autorité de la concurrence lance une consultation concernant la révision des lignes directrices sur les concentrations. La refonte des lignes directrices vise à i) entériner l'élargissement du champ d'application de la procédure simplifiée ; ii) intégrer la pratique décisionnelle de l'Autorité, son retour d'expérience de sa participation au sein du Réseau Européen de la concurrence (REC) et ses échanges avec la Commission européenne et les autres autorités nationales de concurrence ; iii) prendre en compte la jurisprudence du Conseil d'État depuis 2013 ; iv) insérer les suggestions proposées par les participants aux consultations publiques de l'automne 2017 et de l'automne 2018. La partie des lignes directrices consacrée aux infractions procédurales (défaut de notification, réalisation anticipée d'une opération) a été complétée afin d'y intégrer les avancées récentes de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence. Autre apport du document, l'identification des opérations ne posant pas de problème de concurrence est facilité.

Par ailleurs, l’Autorité a souhaité rendre le document plus clair et intuitif en réorganisant son architecture et en l’enrichissant par des exemples.

En particulier, la refonte de la partie relative à l'analyse concurrentielle met en exergue les principaux critères d'analyse pris en compte par l'Autorité lorsqu'elle analyse une opération, sans préjudice de sa nature horizontale, verticale et/ou conglomérale. La clarification porte également sur la démarche de l’Autorité pour l’acceptation des remèdes. Par ailleurs, les annexes concernant la méthodologie d'analyse de l'Autorité face à certaines questions récurrentes dans le commerce de détail ont été enrichies. Enfin, l'Autorité précise son approche en cas de non-respect des engagements souscrits et le cadre applicable à la procédure de révision d’engagements.

Droit public économique

La CJUE (18 septembre 2019, aff C-526/17) a rendu un arrêt particulièrement intéressant concernant le renouvellement de concession de travaux.

En 2009, une plainte a été adressée à la Commission au sujet de la prorogation de la durée du 31 octobre 2028 au 31 décembre 2046 d’une concession de travaux pour une autoroute italienne. Considérant que les mesures nécessaires pour répondre aux obligations fixées par la directive 2004/18/CE n’avaient pas été respectées, la Commission a saisi le CJUE.

Dans cet arrêt, la CJUE rappelle que le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence qui en découle font obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur apporte des modifications substantielles au contrat initial. La Cour avait déjà eu l’occasion de juger que l’extension des travaux à des éléments non prévus ou la modification de l’équilibre économique du contrat constituaient des modifications substantielles.

S’agissant de notre affaire, la CJUE reconnait aussi que la prorogation jusqu’en 2046 constitue une modification substantielle du contrat initial et que partant, une nouvelle procédure de passation aurait dû être engagée.

En ayant prorogé du 31 octobre 2028 au 31 décembre 2046 la concession du tronçon de l’autoroute A 12 Livourne-Civitavecchia reliant Livourne à Cecina (Italie) sans publier d’avis de marché, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 58 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, telle que modifiée par le règlement (CE) no 1422/2007 de la Commission, du 4 décembre 2007.