Com., 23 octobre 2024, n°23-15.365
Cet arrêt apporte une précision intéressante s’agissant des dettes qui sont susceptibles d’être mises à la charge du gérant d’une société liquidée et qui a commis une ou plusieurs fautes de gestion contribuant à l’insuffisance d’actif de la société.
En l’espèce, la Cour de cassation rappelle que seules les dettes nées avant le jugement ayant ouvert la procédure de liquidation sont susceptibles d’être prises en compte pour déterminer l’insuffisance d’actif.
C’est donc à tort que la Cour d’appel a mis à la charge du gérant les sommes nécessaires pour réaliser l’actif.
Rappelons que l’insuffisance d’actif, appréciée au jour où le tribunal statue sur la responsabilité du dirigeant poursuivi (Com. 7 mars 2006 n°04-16.404), est égale à la différence entre le montant du passif admis et celui de l’actif réalisé (Com. 24 mai 2018 n°16-29.116) et ne se déduit pas de l’état de cessation des paiements de la société (Com. 24 mai 2018 n° 17-10.117).
Le comblement de passif est une sanction facultative. Le tribunal dispose d'une large faculté d'appréciation et peut écarter toute condamnation même si le dirigeant a commis une faute de gestion De même, il bénéficie d'une grande latitude pour déterminer si le dirigeant doit être condamné à prendre en charge la totalité de l'insuffisance d'actif ou seulement une partie de celle-ci.
Elle peut être engagée à raison des fautes de gestion commises entre l'ouverture du redressement et celle de la liquidation judiciaire consécutive à la résolution du plan de redressement (Com. 22 janvier 2020 n° 18-17.030), mais pas à raison des fautes commises pendant la période d'observation du redressement converti en liquidation judiciaire (Com. 8 mars 2023 n° 21-24.650).
Le dirigeant peut être condamné à supporter la totalité de l'insuffisance d'actif même s'il a commis une seule faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif ou si sa faute n'est que l'une des causes de l'insuffisance d'actif sans qu'il y ait lieu de déterminer la part de cette insuffisance imputable à sa faute. En cas de pluralité de dirigeants, la condamnation doit être répartie également entre chacun.
Cette décision est l’occasion pour revenir sur la notion d’action en comblement de passif.
Il convient de rappeler que le gérant d'une société en liquidation judiciaire qui a commis une faute ayant contribué à l'insuffisance d'actif peut être condamné à supporter tout ou partie de cette insuffisance (article L 651-2 du code de commerce). Cette sanction, connue sous le nom de « comblement de passif », est la seule sanction patrimoniale qu'encourt le gérant.
Tous les dirigeants de droit ou de fait de sociétés en liquidation judiciaire peuvent être poursuivis en comblement de passif (articles L 651-1 et L 651-2 du code de commerce).
Les personnes dont l'activité se limite à une mission de surveillance ne sont pas tenues de contribuer au paiement des dettes sociales au titre des dispositions relatives aux dirigeants sociaux.
Il convient de rappeler que si les dirigeants incriminés sont la plupart du temps ceux qui sont en fonction lors de l’ouverture de la procédure collective, les anciens dirigeants ne sont pas pour autant à l’abri d’une telle procédure si l’insuffisance d’actif est contemporaine à leur période de gestion (Com., 27 janvier 2015, n°13-12.430). Enfin, il sera noté que cette action est transmissible aux héritiers du dirigeant, sauf à renoncer à l’héritage.
Le régime spécial de responsabilité de l'action en comblement de passif exclut la possibilité de mettre en œuvre également l'action en responsabilité de droit commun (sauf pour les associés ainsi que pour tout créancier justifiant d’un préjudice personnel distinct), qu'elle soit fondée sur les dispositions spécifiques du droit des sociétés ou sur l'article 1240 du Code civil (Com. 8 avril 2015 n° 13-28.512).
Le cumul de l’action en comblement de passif et en réparation du préjudice résultant d’une infraction reste toutefois possible (Crim., 21 novembre 2001, n° 6741 : RJDA 3/02 n° 287).
Pour qu’une action soit engagée, il est nécessaire que les critères suivants soient réunis :
- la société doit faire l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire (C. com. art. L 651-2) ;
- la procédure de liquidation doit mettre en exergue une insuffisance d'actif ou lorsque l'insuffisance d'actif n'est pas alléguée (Com. 28 mars 2000 n° 807 : RJDA 7-8/00 n° 789);
- les fautes invoquées doivent être antérieures au jugement ouvrant la liquidation judiciaire ;
S’agissant des fautes qui sont susceptibles d’être retenues à l’encontre du dirigeant :
- Qui n'avait pas tenu de comptabilité, cette faute ayant privé la société d'un outil de gestion qui aurait permis au dirigeant de connaître l'absence de rentabilité et la nécessité de cesser la poursuite d'une activité préjudiciable aux créanciers (Cass. com. 22-6-2010 n° 09-14.214 : RJDA 10/10 n° 989) ;
- Qui n'avait pas payé pendant deux ans les loyers dus par la société et avait ainsi occasionné une dette locative représentant 60 % du passif de la société (Cass. com. 26-2-2020 n° 18-19.704 F-D : RJDA 5/20 n° 285) ;
- Qui avait tardé à demander l'ouverture de la procédure collective, d'importantes nouvelles dettes étant nées entre la date de cessation des paiements et la demande d'ouverture de la procédure (CA Angers 18-1-2022 n° 17/02316 : RJDA 7/22 n° 424).
- Qui avait omis de déclarer l’état de cessation des paiements. Pour un exemple dans lequel, cette omission n’a pas été qualifiée de fautive (Com. 3 février 20221 n° 19-20.004 F-P : RJDA 5/21 n° 333 ; pour un cas où une faute de gestion a été retenue car le dirigeant connaissait la situation d'endettement de la société, voir Com., 5 février 2020 n° 18-15.072) ;
- Qui avait procédé au paiement préférentiel de certains fournisseurs ;
- Qui avait procédé à une distribution excessive de dividendes ;
- Qui avait commis des irrégularités comptables masquant la réalité financière de la société en surévaluant l’actif et en minorant le passif ;
- Qui avait mis en place un plan d’investissements notoirement inadaptés compte tenu des conditions prévisibles de financements ;
- Qui avait compté sur des subventions aléatoires ainsi que sur le soutien des banques pour se constituer une trésorerie ;
- Qui, dans le cadre d’un LBO, avait distribué à sa holding de très importants dividendes alors que la situation financière de la société ne le permettait pas ;
- Qui a poursuivi une exploitation déficitaire ;
- Qui avait perçu une rémunération excessive au regard des capacités financières de la société ;
- Qui avait fait réaliser d’importants travaux dans un local n’appartenant à la société ;
A contrario, n’ont pas été qualifiées de fautes :
- La défaillance de la société est la conséquence de la conjoncture économique
- L'omission de la déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal peut par exemple constituer une simple négligence du dirigeant, même s'il n'a pas pu ignorer cet état; pour un cas où une faute de gestion a été retenue car le dirigeant connaissait la situation d'endettement de la société ;
- Le fait d’avoir surestimé le fonds artisanal apporté à la société par le gérant lors de la constitution de la société. Cela constitue un acte fondateur et non un acte de gestion ;
- L’apport insuffisant en fonds propres des associés lors de la constitution ;
- l'insuffisance d'actif qui trouvait son origine dans la mésentente entre les associés
- l'omission du dirigeant d'inscrire en comptabilité une dette sociale n'avait pas contribué à la création de l'insuffisance d'actif ;
- l'insuffisance d'actif n'était constituée que par le montant d'un emprunt bancaire non remboursé, la décision du dirigeant de recourir à un financement bancaire n'étant pas fautive et les fautes de gestion imputables au dirigeant (notamment dépôt de bilan tardif et défaut de comptabilité) n'étaient pas à l'origine de l'insuffisance ;
Comme indiqué ci-dessus, le Tribunal dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour juger la part de responsabilité du dirigeant dans l’insuffisance d’actifs de la société. A ce titre, les circonstances suivantes ont permis d’atténuer les condamnations prononcées :
- la bonne gestion du dirigeant pendant 20 ans et les efforts déployés pour tenter de sauver la société ;
- la survenance d’événements familiaux graves durant la période pendant lesquelles les fautes ont été commises.
Afin d'éviter que les dirigeants n'organisent leur insolvabilité, le président du tribunal peut ordonner des mesures conservatoires à l'égard des biens des dirigeants poursuivis.
L'action en comblement de passif se prescrit par 3 ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire, sans considération de la date de réalisation des fautes de gestion.
La Juridiction compétente pour statuer sur l'action en comblement de passif est celle qui a ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire de la société, le juge-commissaire ne peut ni siéger dans la formation de jugement ni participer au délibéré.
En outre, lorsque des poursuites pénales sont exercées à l'encontre du dirigeant, le tribunal saisi de l'action en comblement de passif n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal répressif ait pris sa décision, même si celle-ci est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution de l'action menée devant le juge civil.
L’autorité de la chose jugée au pénal suppose aussi que les tribunaux civils ne peuvent pas retenir la qualité de dirigeant de fait pour condamner une personne à supporter l'insuffisance d'actif d'une société lorsqu'une décision pénale a rejeté cette qualité dans des poursuites pour infraction à la législation sur les sociétés et pour banqueroute.
Par contre, si l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux éléments constitutifs de l'infraction poursuivie et ne fait pas obstacle à ce que d'autres éléments étrangers à cette dernière soient soumis à l'appréciation de la juridiction civile, la relaxe du dirigeant par le juge pénal ne s'oppose pas forcément à l'examen par le juge civil des fautes de gestion dénoncées dans le cadre d'une action en comblement de passif.
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