« 13.10.2022] Saisie le 6 avril 2021, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu, le 13 octobre 2022, une décision attendue concernant la peine d’emprisonnement avec sursis infligée à une militante des Femen pour exhibition sexuelle dans une église. Dans son arrêt, elle estime que cette décision de la Cour de cassation française est contraire à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté d'expression). Elle considère que les juridictions n’ont pas procédé à la mise en balance entre les intérêts en présence de manière adéquate, et que l’ingérence dans la liberté d’expression de la requérante que constitue la peine d’emprisonnement avec sursis n'était pas « nécessaire dans une société démocratique » .

En l'espèce, la militante était poursuivie pour des faits d’exhibition sexuelle commis dans une église parisienne lors d’une « performance » visant à dénoncer la position de l’Église catholique sur l’avortement. La Cour de cassation avait rejeté son pourvoi estimant que la décision n'avait pas porté atteinte de manière excessive à sa liberté d'expression qui devait se concilier avec le droit pour autrui de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion (Cass. crim., 9 janv. 2019, n° 17-81.618).

 

La Cour rappelle tout d’abord qu’une peine de prison infligée dans le cadre d’un débat politique ou d’intérêt général n’est compatible avec la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple, la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence. En l’espèce, l’action de la requérante à laquelle aucun comportement injurieux ou haineux n’a été reproché, avait pour seul objectif de contribuer au débat public sur les droits des femmes.

 

Elle constate ensuite que la sanction pénale qui a été infligée à la requérante en répression du délit d’exhibition sexuelle n’avait pas pour objet de punir une atteinte à la liberté de conscience et de religion mais la nudité de sa poitrine dans un lieu public. Si les circonstances de lieu ainsi que les symboles auxquels elle avait eu recours devaient être nécessairement pris en compte, en tant qu’éléments de contexte, pour l’appréciation des intérêts divergents en jeu, la Cour en déduit que les juridictions internes n’avaient pas, eu égard à l’objet de l’incrimination en cause, à procéder à la mise en balance entre la liberté d’expression revendiquée par la requérante et le droit à la liberté de conscience et de religion protégé par l’article 9 de la Convention.

 

La Cour note enfin que si les juridictions internes n’ont pas fait abstraction des déclarations de la requérante au cours de l’enquête pénale, elles se sont toutefois bornées à examiner la question de la nudité de sa poitrine dans un lieu de culte, sans prendre en considération le sens donné à sa performance ni les explications fournies sur le sens donné à leur nudité par les militantes des Femen. Dans ces conditions, la Cour considère que les motifs retenus par les juridictions internes ne suffisent pas à ce qu’elle regarde la peine infligée à la requérante, compte tenu de sa nature ainsi que de sa lourdeur et de la gravité de ses effets, comme proportionnée aux buts légitimes poursuivis. » ( Veille LEXIS NEXIS - CEDH, 13 oct. 2022, N° 22636/19, B. c. France. )