Pour réaliser des opérations sur instruments financiers, les particuliers peuvent, au choix, conclure avec un tiers habilité un mandat de gestion de gestion de portefeuille ou, garder la maîtrise de leur portefeuille et ainsi passer eux-mêmes leurs ordres de bourse via leur banque ou un tiers agissant en qualité de prestataire de service d’investissement (PSI) assurant un service de réception transmission d’ordres (RTO).

Dans cette seconde hypothèse que nous qualifierons "d’investissements en direct", et dans un souci évident de protection des investisseurs, la chambre commerciale de la Cour de cassation a, le 5 novembre 1991 (Arrêt BUON - numéro pourvoi 89-18005) et sur le fondement de l’article 1147 du Code civil (devenu aujourd’hui l’article 1231-1 du même code), consacré l’existence d’un devoir de mise en garde des PSI à l’égard de leur clients.

Ce devoir de mise en garde d’origine prétorienne était limité aux seuls investisseurs non avertis et au seul cas d’opérations spéculatives sur les marchés à terme.

"Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, quelles que soient les relations contractuelles entre un client et sa banque, celle-ci a le devoir de l'informer des risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme, hors le cas où il en a connaissance, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Avec la transposition en 2007 et en droit interne de la directive Marchés d’Instruments Financiers du 30 avril 2004 (MIF), le devoir de mise en garde des PSI assurant un service de RTO s’est vu attribuer un fondement légal et un régime juridique spécifique autrement plus précis que celui résultant de la jurisprudence.

Partant, il était raisonnablement permis d’anticiper que les praticiens du droit se saisiraient de ce  devoir de mise en garde rénové et précisé et que ce devoir de mise en garde donnerait lieu à une jurisprudence relativement abondante.

Force est cependant de constater qu’en pratique, et suivant la transposition de la MIF, de manière assez surprenante, de nombreux professionnels du droit ont continué (et continuent même parfois encore aujourd’hui), en cas de contentieux, à invoquer la jurisprudence BUON en matière de RTO et bien peu de décisions visent expressément les dispositions du Code monétaire et financier (CMF) relatives au devoir de mise en garde des PSI assurant une activité de RTO.

Les raisons à cela sont vraisemblablement multiples.

On pensera à la "force de l’habitude" (l’arrêt BUON, largement commenté, date en effet de 1991).

On invoquera peut être ensuite aussi la "facilité". La solution dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt BUON tient en quelques lignes à mettre en lien avec les dispositions de prime abord complexes et souvent éparses de la réglementation financière.

On invoquera enfin l’opportunité.

L’opportunité pour les PSI eux de continuer, en cas de contentieux, à voir trancher les litiges, non pas sur le fondement des dispositions spécifiques du CMF mais conformément à la solution de l’arrêt BUON.

En effet, et alors que dans le cadre de la jurisprudence BUON, le devoir de mise en garde n’existait en principe que pour les seules opérations spéculatives sur les marchés à terme,  le devoir de mise en garde tel que prévu par le CMF est susceptible quant à lui, toutes conditions par ailleurs réunies (et notamment celles concernant les connaissances et l’expérience de l’investisseur), de concerner tous les ordres autres que ceux passés sur des instruments financiers non complexes (article L. 533-13, III, 1° du CMF) définis par l’article D. 533-15-1 du CMF (et autrefois par le Règlement Général de l’Autorité des Marchés Financiers).

Et la "liste" des instruments financiers autres que ceux non complexes (i.e. les instruments financiers complexes) est longue et surtout inclut aujourd’hui la grande majorité des produits dérivés et structurés particulièrement prisés des investisseurs et à l’origine de nombreux litiges.

Toutefois, et matière de RTO, vouloir appliquer la solution de l’arrêt BUON en faisant fi du devoir de mise en garde spécifique prévu par le CMF n’est évidemment pas possible.

En lieu et place de la solution générale de l’arrêt BUON, il convient bien entendu, en matière de RTO, d’appliquer les dispositions particulières prévues par le CMF.

Telle est la position de la Cour de cassation rappelée dans un arrêt de 2015 : 

"Mais attendu que, hors le cas prévu par l’article L. 533-13-II du code monétaire et financier où le prestataire de services d’investissement qui fournit un service autre que le conseil en investissement ou la gestion de portefeuille doit, si les informations nécessaires ne lui sont pas communiquées ou s’il estime, sur la base des informations fournies, que le service ou l’instrument n’est pas adapté, ce qui n’est pas allégué en l’espèce, mettre en garde son client (….), le prestataire n’est pas tenu à un devoir de mise en garde à l’égard de son client, fût-il non averti, s’il lui propose des produits ou services financiers qui ne présentent aucun caractère spéculatif" (Cass., com., 2 juin 2015, numéro pourvoi 14-18999).

Pour les contentieux afférents au service de RTO, aux conseils des banques qui seraient tentés de dire "BUON", ceux des investisseurs, en gardant à l’esprit que le devoir de mise en garde tel que prévu par le CMF est susceptible de concerner bien plus de situations pratiques que celles couvertes par l’arrêt BUON et que la violation de ce devoir de mise en garde doit s'analyser en une perte de chance de ne pas souscrire  le ou les instruments financiers inadéquats (en ce sens voir Cass., com., 16 février 2016, numéro pourvoi n°14-25104), doivent répondre :

"Pas BUON mais le CMF".