La presse se fait de manière régulière l’écho d’affaires dans lesquelles des sportifs professionnels ayant terminé leur carrière déclarent être ruinés.
Ruinés, et ce alors même que pourtant (et à rebours de la caricature malveillante qui en est parfois faite) ils avaient très tôt confié à un conseiller en gestion de patrimoine ("CGP") le soin de préparer leur après carrière en anticipant leurs revenus de demain.
À côté d’hypothèses extrêmes telles que l’escroquerie ou encore l’abus de confiance, les faits commis au préjudice de ces sportifs relèvent en droit, le plus souvent et simplement, du domaine de la responsabilité civile professionnelle.
On retrouve ainsi, articulés dans ces dossiers, tous les moyens juridiques qui fondent classiquement l’exercice d’une action en responsabilité contre les professionnels du conseil en gestion de patrimoine.
Il leur sera donc tantôt reproché un manquement à leur obligation d’information, tantôt un manquement à leur devoir de conseil et le plus souvent les deux.
Ce qui semble t-il fait la particularité de ces dossiers est le lien qui est fréquemment établi entre, d’une part, les manquements retenus à l’encontre des CGP mis en cause et, d’autre part, les spécificités attachées aux carrières des sportifs professionnels.
Pour le comprendre, il sera rappelé qu’en droit, le devoir de conseil du CGP (qui est parfaitement distinct de son obligation d’information - voir en ce sens Cass., com., 23 septembre 2014, n° 13-22763) lui impose notamment de vérifier que le support ou la solution préconisée par lui est adéquat ou opportun par rapport aux besoins, aux objectifs de son client, aux connaissances de ce dernier mais également à sa situation personnelle.
Et la situation personnelle qui doit être considérée par le CGP ne vise pas uniquement la situation matrimoniale mais aussi la situation professionnelle.
Or, la carrière d’un sportif professionnel présente à l’évidence d’importantes singularités qui, au risque sinon d’engager sa responsabilité civile professionnelle, doivent nécessairement être prises en compte par le CGP pour l’exécution de son devoir de conseil.
Sur ces singularités, on peut évoquer notamment le fait que la carrière d’un sportif professionnel, commencée souvent très jeune, est par essence brève. On peut citer aussi le fait que cette carrière, outre le critère de la performance, est soumise à l’aléa des blessures. On peut encore faire état du fait que certains sportifs (les footballeurs par exemple) ont vocation à exercer leur sport au-delà des frontières nationales (circonstance qui, si elle se réalise, est de nature à réduire significativement l’intérêt des opérations impliquant un volet de défiscalisation).
Dans un arrêt du 6 décembre 2022 (RG 21/01911), la première chambre civile de la Cour d’appel de Reims a eu à connaître d’une espèce dans laquelle un footballeur professionnel s’était vu préconisé par un CGP (CGP qui se présentait comme spécialisé dans "l’accompagnement patrimonial dédié au monde du football professionnel") l’acquisition de plusieurs biens immobiliers (cinq au total) dans le cadre des dispositifs Malraux, Monuments Historiques et Robien.
Toutes ces acquisitions avaient été financées grâce à des prêts in fine dont le remboursement devait être assuré par la valeur de rachat de contrats d’assurance vie nantis et sur lesquels avaient été mis en place des versements programmés.
Ces opérations financières, effectuées via l’entremise du CGP, constituaient les différents éléments d’un schéma patrimonial global devant permettre de satisfaire à un double objectif : la réduction de l’imposition sur le revenu en cours de carrière et, pour l’après carrière, la constitution d’un important capital générateur de revenus.
Ce schéma, s’est révélé être un véritable piège puisque le joueur dont il s’agit s’est retrouvé, au terme de sa carrière (intervenu à l’âge de 33 ans), dans l’impossibilité de pouvoir procéder au remboursement des prêts via les valeurs de rachat des contrats d’assurance vie nantis.
Mais aussi dans l’impossibilité avec des revenus fortement amoindris de continuer à assumer les échéances de prêt et, encore moins, d’abonder ses contrats d’assurance vie.
Et enfin dans l’impossibilité, sous peine de reprise des avantages fiscaux dont il avait pu bénéficier, de revendre les biens qui étaient en tout de cause initialement destinés à être conservés pour bénéficier de revenus complémentaires.
Si dans ce dossier, tous les manquements relevés par la Cour à l’encontre du CGP ne sont pas directement en lien avec les particularités du métier de footballeur professionnel, il est intéressant de relever qu’à de nombreuses reprises la Cour a tenu compte de ces spécificités pour entrer en voie de condamnation à l’encontre du CGP.
On relèvera ainsi par exemple : "La société Y en qualité de professionnelle de l’investissement, se présentant de surcroît spécialisée dans ce domaine spécifique, ne pouvait ignorer les exigences particulières liées au caractère temporaire de cette carrière et des revenus importants qu’elle génère"
"Il résulte des pièces produites que Monsieur X a bénéficié d’une réduction fiscale conséquente par le jeu des investissements que lui a fait opérer la société Y, mais qu’en revanche depuis la fin de sa carrière de joueur professionnel, compte tenu de la diminution considérable des revenus de Monsieur X qui était prévisible pour la société Y (la carrière d’un footballeur est très spécifique en ce que ses revenus, surtout quand ils sont importants, sont par définition très précaires : blessure, mauvais résultat du club etc…), il n’est plus en mesure d’abonder les contrats d’assurance-vie. Or, le montage conseillé par la société Y prévoyait d’épargner sur les contrats d’assurance-vie afin de pouvoir rembourser les emprunts in fine".
Au-delà de ce cas d’espèce, il apparaît que tout conseil saisi de la défense des intérêts d’un sportif professionnel s’estimant lésé par un CGP devra au premier chef vérifier que l’investissement ou le schéma patrimonial querellé était opportun ou adéquat par rapport aux spécificités d’une carrière de sportif professionnel .
La circonstance que le CGP ne se soit pas, comme dans l’espèce précitée, "spécialisé dans les sportifs professionnels", sera parfaitement indifférente.
Tout professionnel tenu par un devoir de conseil et une obligation d’information doit en effet, pour l’exécution de ses obligations, avoir une démarche active et donc notamment se renseigner sur la situation personnelle de son client.
Ainsi, et dans l’arrêt précité, la Cour d’appel de Reims a rappelé qu’à supposer même que le CGP ignorait les exigences particulières liées au caractère temporaire de la carrière de footballeur professionnel, il lui appartenait "(…) de recueillir tous renseignements et informations sur ce point afin de satisfaire à ses obligations envers son client".
Il sera enfin signalé que le CGP n’est bien entendu pas le seul professionnel devant tenir compte des spécificités liées aux carrières des sportifs professionnels.
Il en va de même, par exemple, pour le banquier dispensateur de crédit qui est tenu à l’égard ses clients profanes d’un devoir de mise en garde en cas de risque d’endettement excessif de l’emprunteur.
Dans une décision récente (Jugement du 13 avril 2022, RG 19/05219) qui concernait là encore un ancien footballeur professionnel, la 9ème chambre, 2ème section près le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que l’établissement de crédit dont la responsabilité était recherchée aurait dû, pour apprécier l’existence d’un risque d’endettement excessif, tenir compte du caractère nécessairement bref de la carrière de l’emprunteur et de la diminution prévisible de ses revenus.
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