La volonté de l'indemnisation des dommages écologiques est apparue très tôt, dès les années 1920 avec le principe du « pollueur-payeur » développé par l'économiste libéral britannique Arthur Cecil Pigou.

Cette notion de réparation des dommages environnementaux est apparue en Europe avec la Directive européenne n°2004/35/CE du 21 avril 2004 relative à la prévention et à la réparation des dommages environnementaux. Cette directive a pour objectif d’instaurer un nouveau régime de responsabilité des Etats membres.

Transposée en droit interne par la loi n°2008-757 du 1er août 2008, il faudra attendre 2016 avec la loi n°2016-1087 « Pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » pour que le principe du préjudice écologique intègre le code civil.

L’article 1246 du Code civil prévoit que :

« Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer »

L’article 1247 du même code dispose que :

« Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement. »

Cette définition des dommages inclut non seulement la détérioration de l'état de l'environnement affecté, mais également les dommages au fonctionnement normal des écosystèmes et des services qu'ils fournissent.

Toutefois, les impacts minimes causés à l’environnement ne pourront être qualifiés de préjudices écologiques puisque la définition implique que l'atteinte aux équilibres écosystémiques ne soit pas « négligeable », ce qui sera déterminé par l'office du juge.

Les obligations de restauration imposent donc à la fois la restauration des conditions d'origine et celle des pertes écologiques causées par le dysfonctionnement de l'écosystème.

Les différents régimes d’indemnisation qui existent actuellement en France pour indemniser les dommages causés par les atteintes à l’environnement sont les suivants.

  • La responsabilité civile environnementale :

Basé sur le principe de « pollueur-payeur », cette responsabilité implique pour toute entreprise qui du fait de son activité de production, de stockage ou de transport de matière, est susceptible de porter atteinte à l’environnement, et ainsi de voir sa responsabilité engagée.

  • La responsabilité environnementale soumise au régime de droit administratif :

Elle vise à réparer, dans le cadre des dispositions du Code de l’environnement, les dommages causés aux sols, eaux, espaces et habitat naturels protégés par une installation classée.

Quel est la nature de la faute dans le cadre du préjudice écologique ?

Le régime français ne prévoit aucune disposition particulière concernant la faute du pollueur, c’est le droit commun qui a vocation à s’appliquer.

Toutefois, le professeur Laurent NEYRET, spécialisé en droit de l’environnement précise que « Le domaine d'application du nouveau régime se limite aux seuls préjudices non encore réparables sans pour autant revenir sur les faits générateurs de responsabilité requis qui restent ceux du droit commun, à savoir la faute, la garde de la chose et le fait d'autrui. Cela signifie que la réparation du préjudice écologique n'est pas limitée aux seuls cas de responsabilité pour faute ».

Dès lors, il est possible de condamner les responsables d’atteintes à l’environnement malgré leur absence de faute, notamment lorsque l’activité à l’origine de la pollution bénéficie d’une autorisation administrative.

Concernant les pouvoirs publics, la jurisprudence a abandonné l'exigence d'une faute lourde en matière de police administrative spéciale de l'environnement (CE 28 nov. 2003, Commune de Moissy Cramayel, n° 238349, CE 7 août 2008, Min. de l'Agriculture et de la Pêche, n° 278624).

Ainsi, le représentant de l’autorité publique peut voir sa responsabilité engagée du fait de sa simple négligence dans la préservation de l’environnement (CE, 27 juillet 2015, n°367484).

Qui peuvent être les demandeurs de cette action en responsabilité ?

Devant le Juge civil ou administratif, les demandeurs doivent avoir un intérêt à agir.

Le Juge civil se fondera sur l’article 1248 du Code civil qui prévoit une liste longue et non exhaustive des protagonistes ayant qualité à agir. Il s’agit de l'État, l'Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales ainsi que leurs groupements dont le territoire est concerné, ou encore les établissements publics et les associations, agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance, qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement.

L’article L142-1 du Code de l’environnement vient reprendre cette liste, et prévoit cette action pour :

« Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci.

Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les associations agréées de pêcheurs professionnels justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. »

Le Juge administratif se réfère à ces articles, ainsi qu’à la jurisprudence de droit commun (Tribunal administratif de Paris, 3 février 2021, n°1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1) qui prévoit que l’intérêt doit être personnel (ce qui n’empêche pas l’intervention des associations de protection de la nature), direct, né et actuel

Le défaut d’intérêt d’une partie constitue une fin de non-recevoir que le juge pourra soulever d’office

Quel est le délai de prescription de l’action en réparation ?

L’article 2226-1 du Code civil prévoit que l’action en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique se prescrit par 10 ans à compter du jour où le titulaire de l’action a connu ou aurait dû connaitre la manifestation du préjudice.

En droit administratif, les dispositions de la loi du 31 décembre 1968 s’appliquent et les requérants ne peuvent engager la responsabilité de l’Etat que dans un délai de 4 ans à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle est née la créance.

Comment a lieu la réparation ?

L’article 1249 du Code civil prévoit que :

« La réparation du préjudice écologique s'effectue par priorité en nature.

En cas d'impossibilité de droit ou de fait ou d'insuffisance des mesures de réparation, le juge condamne le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l'environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l'Etat.

L'évaluation du préjudice tient compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà intervenues, en particulier dans le cadre de la mise en œuvre du titre VI du livre Ier du code de l'environnement. »

La problématique du préjudice écologique est qu’il n’y ait pas vraiment d’indicateur visible de la valeur des ressources naturelles, aucun prix à partir duquel le juge pourrait déterminer le calcul de l’indemnisation du préjudice causé à l’environnement. Les ressources naturelles étant hors commerces, ce préjudice écologique pur reste difficilement évaluable.

La réparation en nature évoquée par le législateur implique que le responsable du dommage causé, devra procéder à la remise en état du milieu dégradé. En cas d’impossibilité, cette réparation se fera par des dommages et intérêts affectés à la réparation de l’environnement, avec l’obligation d’affecter les sommes perçues à la réparation de l’environnement. Ces sommes seront reversées au demandeur.

Toutefois, en cas d’impossibilité de sa part de prendre les mesures nécessaires à la réparation de l’environnement, le juge demandera que ces sommes soient octroyées à l’Etat. Il est également possible de garantir l’affectation de ces sommes à la réparation effective de l’environnement par la technique de la fiducie.

Depuis la loi de 2016 il est de plus en plus fréquent de voir le juge condamné l’Etat dans le cadre de préjudice écologique.

Récemment, par son jugement du 29 juin 2023 (n° 2200534/4-1), le Tribunal administratif de Paris a reconnu l’existence d’un préjudice écologique résultant de la « contamination généralisée, diffuse, chronique et durable » des eaux et des sols par les pesticides. L’Etat, dont les carences fautives à respecter ses objectifs ont été reconnus, a été enjoint par le juge de prendre les mesures nécessaires pour la réparation du préjudice écologique, au plus tard le 30 juin 2024.

Il s’agit là d’une condamnation historique pour l’Etat dans le cadre d’un préjudice écologique lié à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

La réparation du préjudice écologique devient un levier d'importance dans la lutte contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, qui sont des enjeux sociaux de taille au vu du risque d’inhabilité future de la Terre.

 

Sandrine TRIGON, Cabinet HESTEE AVOCAT

Avocat au Barreau de l’Ain

Hilal TOSUN

Avocat au Barreau de l’Ain