I. Les faits
Pour la bonne compréhension, on s'attachera à une description des faits de chaque espèce (Cass. 2ème 20 janvier 2022, n°20-13.245 puis n°20-10.529).
- Les faits : Cass. 2ème 20 janvier 2022, n°20-13.245
Une dame assurée auprès de la société Assurances du crédit mutuel du Nord IARD (l'assureur), a mis fin à ses jours en se positionnant sur une voie de chemin de fer à un passage à niveau, occasionnant notamment des dégâts à la SNCF.
Le 9 septembre 2014, la SNCF, arguant d'un préjudice, a assigné l'assureur en indemnisation.
L'assureur s'est opposé à la demande en invoquant, d'une part, l'article L. 113-1 du code des assurances et la commission par l'assurée d'une faute dolosive, d'autre part, l'application d'une clause d'exclusion de garantie stipulée au contrat d'assurance.
En effet, une clause au contrat d'assurance prévoyait que:
« sauf application de l'article L. 121-2 du code, les dommages intentionnellement causés ou provoqués directement, ou avec complicité, par [l'assuré (?)] »
La Cour d'appel a donné raison à l'assureur sur les deux points.
Pour faire application de cette clause et rejeter la demande de mise en jeu de la garantie de l'assureur, la cour d'appel a retenu que l'absence de définition contractuelle de la cause ou de la provocation n'excluait pas la bonne compréhension de la volonté de l'assureur d'exclure les dommages résultant d'un fait volontaire de l'assuré, qu'ils aient été voulus par leur auteur qui les a causés intentionnellement, ou qu'ils en soient la conséquence involontaire pour leur auteur, qui les a provoqués directement.
- Les faits : Cass. 2ème 20 janvier 2022, n°20-10.529
Une dame, assurée auprès de la société Gan assurances (l’assureur), selon un contrat multirisque habitation, a tenté de mettre fin à ses jours en s’immolant par le feu.
Elle a incendié des couvertures et répandu de l’essence sur le sol, à l’intérieur de ce domicile.
L’assureur a décliné sa garantie pour les dommages occasionnés à l’habitation, compte tenu de l’origine volontaire de l’incendie.
Ayant survécu à sa tentative, elle et son mari ont engagé une action à son encontre.
De la même manière que la première espèce, l’assureur a invoqué une clause d’exclusion de garantie stipulée au contrat, relative au caractère intentionnel du dommage, et l’exclusion légale de garantie prévue à l’article L. 113-1 du code des assurances.
L'occasion pour la Cour de cassation, après un pourvoi de la SNCF (1ère espèce) et de l'assurée et son mari (2ème espèce), de se positionner sur ces deux aspects, d'autant que l'occasion était trop belle, puisque la clause d'exclusion qui lui était soumise était la même.
II. Sur la caractérisation de la faute dolosive : cause légale d'exclusion de garantie
En droit des assurances, un sinistre ne peut être pris en charge s'il n'est pas entré dans le champ contractuel de la police (l'objet de la garantie), ou s'il en est exclu, ou encore s'il survient après la résiliation ou l'expiration du contrat (sous réserve de la nature du contrat et de la garantie subséquente).
L'activité non déclarée par exemple fait échec à la prise en charge d'un sinistre qu'elle aurait généré. Il ne s’agit pas de diminution d’indemnité, mais d’exclusion totale de garantie, à l’inverse de l’aggravation du risque.
A côté, des exclusions, légales ou conventionnelles sont prévues. La faute dolosive et la faute intentionnelle font partie de ces exclusions légales, prévues à l'article L.113-1 du Code des assurances.
La faute dolosive, longtemps assimilée en jurisprudence, faute de définition légale, à la faute intentionnelle, a vécu sous son spectre avant d'être détachée de cette notion par un arrêt du 7 octobre 2008 de la Cour de cassation.
Alors que le demandeur au pourvoi reprochait à la Cour d’appel d’avoir retenu la faute dolosive sans caractériser pour l’assuré la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu (définition jurisprudentielle de la faute intentionnelle), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en précisant que cette volonté n’était pas requise au titre de la faute dolosive :
« Ayant souverainement retenu que la société X s’était volontairement abstenue d’exécuter les travaux […] sans ignorer que des désordres allaient apparaître très rapidement […] la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a pu en déduire que ces manquements délibérés constituaient une faute dolosive ayant pour effet de retirer aux contrats d’assurance leur caractère aléatoire » (Civ. 3e, 7 oct. 2008, n° 07-17.969).
En effet, si la faute intentionnelle et la faute dolosive ont ceci de commun qu’elles suppriment l’aléa consubstantiel à l’assurance, la première implique la volonté de causer le dommage (tel qu’il est survenu), alors que la seconde ne reposait que sur une prise de risque rendant inévitable la réalisation du dommage.
Pour qualifier la faute dolosive, il fallait donc réunir deux éléments : un premier, subjectif, correspondant à un comportement délibéré de l’assuré contraire à ses obligations contractuelles, et un second, objectif, correspondant à la disparition de l’aléa du contrat d'assurance.
Les conditions de qualification de la faute dolosive étaient ainsi plus souples que celles de la faute intentionnelle, puisqu’il n'est pas nécessaire de prouver que l’assuré avait voulu le dommage tel qu’il s’était produit, preuve au demeurant particulièrement délicate à établir s’agissant de la recherche a posteriori de l’intention de l’assuré.
C’est ainsi que la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir retenu la faute dolosive en ayant caractérisé une faute de l’assuré justifiant l’exclusion de garantie en ce qu’elle faussait l’élément aléatoire attaché à la couverture du risque, sans avoir à caractériser si l’assuré avait recherché les conséquences dommageables qui en sont résultées (Civ. 2e, 12 sept. 2013, F-P+B, n° 12-24.650).
Peu importe donc la conscience ou non par l’assuré des dommages que sa faute engendrerait, la simple rupture de l’aléa suffisait à caractériser la faute dolosive.
Toutefois, opérant un certain revirement, la Cour de cassation s’est montrée moins souple sur la caractérisation d’une faute dolosive, en approuvant une Cour d’appel qui avait retenu que le dommage « était inévitable et ne pouvait pas être ignoré de l’incendiaire, même s’il était difficile d’en apprécier l’importance réelle et définitive » (Cass. 2ème civ. 20 mai 2020, n° 19-11.538).
Mais en l'espèce, par une série d'arrêts du 20 janvier 2022, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation est venue ajouter cette condition qui était en filigrane, rapprochant ainsi la faute dolosive de la faute intentionnelle (alors que le chemin inverse avait mis des décennies à s'élaborer).
La Cour de cassation exige désormais, pour établir la faute intentionnelle, de « caractériser la conscience que l’assurée avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son geste » (Cass. 2ème 20 janvier 2022, n°20-13.245).
Cette solution a ainsi permis de rejeter l'argument de la faute dolosive soutenue par l'assureur pour dénier sa garantie.
III. Sur la clause d'exclusion de garantie
Dans les deux espèces, l'assureur se prévalait d'une clause d'exclusion qui prévoyait en des termes identiques que :
« sauf application de l'article L. 121-2 du code, les dommages intentionnellement causés ou provoqués directement, ou avec sa complicité [par l'assuré (?)] »
Le problème était que "causés ou provoqués" n'étaient pas des termes clairement définis par la police d'assurance.
Or, on ne rappellera jamais assez que la lettre de l'article L. 113-1, alinéa 1 du code des assurances autorisant ce type de clauses :
"Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police"
La clause d'exclusion de garantie doit donc être formelle, cela signifie qu’elle doit être écrite mais surtout claire et précise, de sorte que les juges du fond ne sauraient les interpréter, au risque d’y voir le non-respect de cette condition légale (Civ. 1re, 22 mai 2001).
La clause d’exclusion ne doit pas être ambiguë, c’est-à-dire susceptible de deux sens différents, au risque là aussi d’être réputée non écrite. Elle doit être suffisamment précise pour « permettre à l’assuré de connaître exactement l’étendue de sa garantie » (Civ. 2e, 18 janvier 2006, no 04-17.872).
Or pour faire application de cette clause et rejeter la demande de mise en jeu de la garantie de l'assureur aux termes de l'arrêt commenté, la Cour d'appel dans chaque espèce a retenu que l'absence de définition contractuelle de la "cause" ou de la "provocation" n'excluait pas la bonne compréhension de la volonté de l'assureur d'exclure les dommages résultant d'un fait volontaire de l'assuré, qu'ils aient été voulus par leur auteur qui les a causés intentionnellement, ou qu'ils en soient la conséquence involontaire pour leur auteur, qui les a provoqués directement.
C'était nécessairement s'exposer à la censure de la Cour de cassation, qui rappelle dans les deux espèces que :
"En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a procédé à l'interprétation d'une clause d'exclusion ambigüe, ce dont il résulte qu'elle n'était ni formelle ni limitée, a violé le texte susvisé."
C'était couru d'avance...
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