Vendre ou acheter une entreprise est une opération délicate qui nécessite rigueur et prudence. L'histoire de Chloé en est la parfaite illustration. Chloé dirige une petite agence immobilière florissante. En 2022, une opportunité en or se présente : son principal concurrent local décide de lui vendre son portefeuille de gestion immobilière et son activité de syndic. Enthousiasmée, Chloé mandate son avocate, Maître Géraldine L., pour boucler la transaction rapidement. L'enjeu est de taille : en rachetant la clientèle de son concurrent, Chloé espère doper son chiffre d'affaires et asseoir sa position sur le marché. Pressées par le calendrier (et sans doute par l'avocate du vendeur également), Chloé et Maître L. finalisent la cession du fonds de commerce en un temps record. L'acte de cession est signé en plein été, et tout semble bien se passer… du moins en apparence.

Les problèmes ne tardent pas à surgir une fois la vente conclue. Dès la rentrée, Chloé découvre des surprises désagréables laissées par le vendeur : des charges impayées et des manquements que l'acte de cession n'a pas pris en compte. Par exemple, elle apprend que deux employées de l'entreprise rachetée n'ont pas reçu tous leurs salaires et indemnités dus par l'ancien patron ; en vertu de la cession, c'est désormais à sa société de combler ces arriérés inattendus (plusieurs milliers d'euros imprévus). Elle constate aussi qu'en l'absence de certaines clauses de garantie dans le contrat, son entreprise doit rembourser aux propriétaires bailleurs des loyers de gestion locative que le vendeur avait encaissés sans les reverser avant la vente (encore 6 000 € de trésorerie négative). Ces dépenses non prévues commencent à grever les finances de Chloé, qui a déjà mobilisé ses fonds pour payer le prix de vente.

Mais le pire est ailleurs. En quelques semaines, Chloé voit une partie de la clientèle qu'elle vient d'acquérir lui filer entre les doigts. Pourquoi ? Parce que Maître L. n'a pas anticipé un détail crucial : les contrats de syndic et de gestion immobilière ne se transfèrent pas automatiquement à l'acheteur. Il aurait fallu prévoir des conditions pour s'assurer de la continuité des mandats avec les copropriétés et propriétaires clients, ou au minimum informer Chloé du risque de perdre ces mandats. Faute de ces précautions, certains clients profitent du changement pour aller voir ailleurs, ou ne confirment pas leur engagement avec la nouvelle agence. Conséquence : le portefeuille de biens gérés se réduit d'environ 10 % dès la première année. Cette perte de clientèle représente un manque à gagner important, alors même que Chloé avait tablé sur une croissance grâce à la reprise. En outre, le vendeur, sitôt la vente conclue, se remet en selle en contournant la faible clause de non-concurrence prévue : il crée une nouvelle structure concurrente et récupère au passage quelques contrats, sans craindre de pénalité car l'acte signé par Maître L. n'a prévu aucune sanction dissuasive en cas de violation de la non-concurrence. En omettant d'ajouter une clause pénale ou des garde-fous, l'avocate a privé Chloé d'un moyen de défense rapide. Celle-ci doit engager une procédure judiciaire complexe pour faire cesser ces actes de concurrence déloyale, là où une simple pénalité prévue au contrat aurait sans doute dissuadé le vendeur de la défier.

Chloé se sent flouée. Ce qui devait être l'affaire du siècle tourne au cauchemar. Non seulement l'intégration de l'agence rachetée est chaotique (pertes de clients, désorganisation du service), mais en plus elle se retrouve à payer des dettes qui auraient dû rester à la charge du vendeur. Au total, quelques dizaines de milliers d'euros de pertes financières directes s'accumulent (frais salariaux non prévus, loyers remboursés, honoraires d'avocats pour les litiges post-cession, etc.). Surtout, Chloé estime avoir perdu une chance de rentabiliser pleinement son investissement. Elle avait projeté une hausse de 15 % de son chiffre d'affaires grâce à cette acquisition ; au lieu de cela, son activité stagne, entamée par les départs de clients et le temps passé à gérer les litiges hérités du vendeur. En d'autres termes, la faute de son avocate lui a fait perdre la chance d'atteindre les bénéfices escomptés lors de l'achat. Cette perte de chance, estimée par Chloé à environ 25 000 € de manque à gagner sur l'année suivante, vient s'ajouter au préjudice.

Que s'est-il passé du côté juridique ? Essentiellement, une cascade de manquements de la part de l'avocate de Chloé dans la rédaction et la sécurisation du contrat de cession. Maître L. a fait preuve de précipitation et de négligence .

 Elle n'a pas vérifié tous les passifs et engagements du vendeur ni prévu de clauses pour s'en prémunir (ex : clause de garantie de passif pour les dettes sociales comme les salaires dus, clause de séquestre d'une partie du prix le temps de s'assurer qu'il n'y a pas de « casseroles » financières…). En conséquence, des charges ont été laissées à la charge de l'acheteur, ce qui constitue un préjudice financier certain (chaque euro payé en trop est un dommage indemnisable à hauteur de son montant exact). Elle a omis d'exiger l'accord formel du bailleur des locaux avant de finaliser la vente, alors que c'était requis pour transférer le bail commercial. Cette imprudence a failli rendre le transfert du bail inopposable (donc invalide) et a plongé la société de Chloé dans l'incertitude quant à l'occupation de ses bureaux. Cela aurait pu mettre en péril l'exploitation même de l'agence.

Lire la suite : https://news.avocats-rosenberg.com/fr/responsabilite/ep2-quand-la-precipitation-dans-une-cession-d-entreprise-coute-cher