Dans les épisodes précédents, nous avons évoqué à plusieurs reprises la notion de perte de chance – cette chance envolée à cause d'une faute d'avocat, qu'il s'agisse de gagner un procès, de sauver une entreprise ou d'éviter des pertes financières. Mais concrètement, comment les juristes évaluent-ils ce type de préjudice ? Ce guide pratique vise à expliquer, de façon accessible, le calcul des dommages-intérêts liés à une perte de chance en matière de responsabilité professionnelle d'un avocat.

Qu'est-ce que la perte de chance ? (Rappel) Commençons par bien définir ce dont on parle. En droit français, un préjudice n'est indemnisable que s'il est certain. De prime abord, on pourrait penser qu'une "chance" manquée est quelque chose de par définition incertain (puisqu'une chance peut se réaliser… ou non). Comment alors peut-elle être réparée ? La réponse est que la jurisprudence a depuis longtemps admis qu'on peut réparer la perte d'une chance dès lors que cette chance perdue était réelle et sérieuse. Autrement dit, ce n'est pas le succès final qui est indemnisé, mais la disparition de la possibilité d'atteindre ce succès. La Cour de cassation a donné une définition claire : la perte de chance est « la disparition, par l'effet de la faute, de la possibilité d'un événement favorable ». On insiste : on n'indemnise pas le gain lui-même (qui reste hypothétique), mais la probabilité perdue d'obtenir ce gain. Par exemple, si mon avocat fait une erreur qui me prive de la possibilité de gagner mon procès, je peux être indemnisé non pas comme si j'avais gagné le procès, mais pour avoir perdu la chance de le gagner.

**Exemple illustratif** : Un avocat néglige d'introduire une action dans les délais, et votre dossier était solide. Vous aviez, disons, 70 % de chances de remporter 100 000 € au procès. À cause de la faute, vous n'avez rien pu obtenir. Le préjudice indemnisable sera la perte de cette chance de 70 % – ce qui pourrait conduire le juge à vous accorder environ 70 000 € en réparation (70 % de 100 000 €). On le voit, vous n'êtes pas payé comme si le succès avait été total, mais on ne vous laisse pas non plus sans compensation : on répare à hauteur de la chance perdue.

☝️ **Important** : Si la chance était quasi nulle ou, au contraire, quasi certaine, la qualification de "perte de chance" peut évoluer. Si vos chances de succès étaient nulles (0 %), alors vous n'avez rien perdu du tout – votre préjudice est inexistant (on n'indemnisera pas une "chance" imaginaire). Inversement, si votre succès était pratiquement acquis à 100 % sans la faute (par exemple, l'adversaire était prêt à signer un accord extrêmement favorable), alors la perte équivaut à un gain manqué certain : le préjudice sera traité comme tel, en totalité, et non plus comme une simple chance. Mais entre les deux extrêmes, toute chance, même faible, est prise en compte : « la perte certaine d'une chance, même faible, est indemnisable » a affirmé la Cour de cassation.

Les étapes du calcul de l'indemnisation

Lorsqu'un juge ou un expert doit chiffrer une indemnité pour perte de chance, il suit généralement une méthode en deux temps :

1. Évaluer le préjudice total si le succès avait été au rendez-vous. 

Cela implique de déterminer ce qu'aurait gagné le client (ou ce qu'il aurait évité de perdre) si tout s'était parfaitement passé. C'est souvent le montant de l'enjeu principal. Par exemple : le gain espéré dans le procès (somme d'argent réclamée, dommage évité, bénéfice attendu, etc.), ou la valorisation d'une entreprise si elle avait survécu, etc. Dans nos épisodes précédents, cela pourrait être : l'intégralité des bénéfices attendus du projet hôtelier de Marc, le montant total des créances que M. Martin espérait récupérer, etc. Appelons ce montant le préjudice global ... lire la suite: https://news.avocats-rosenberg.com/fr/responsabilite/ep5-comment-calculer-la-perte-de-chance-guide-pratique