Lorsqu'un jugement de première instance est injuste, l'appel est l'espoir du justiciable. Mais que se passe-t-il si votre avocat "oublie" d'appuyer sur la pédale de secours ? C'est la mésaventure qu'a connue la SCI DreamBeyond (le nom a été modifié pour protéger l'anonymat de notre client), une petite société immobilière propriétaire de locaux commerciaux à Paris. En 2019, la SCI est en conflit avec le syndicat des copropriétaires de son immeuble au sujet d'une décision d'assemblée générale. Lors de l'AG, les copropriétaires ont voté la modification de la destination des lots commerciaux détenus par la SCI (en clair, ils ont changé l'usage autorisé de ces locaux, par exemple de commerce à habitation touristique) sans obtenir l'unanimité pourtant exigée par la loi. Cette décision met en péril le modèle économique de la SCI, qui loue ses locaux pour des commerces : si la nouvelle destination s'impose, ses baux commerciaux risquent de perdre leur objet ou de valoir beaucoup moins. La SCI conteste donc la résolution en justice, bien décidée à la faire annuler pour non-respect de la règle d'unanimité (prévue par l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété).
Au départ, la SCI a raison en droit : la loi est de son côté et sa contestation paraît solide. Mais encore faut-il mener la procédure correctement… La société fait appel à Maître A., un avocat parisien, pour la représenter. Hélas, ce dernier va accumuler les retards et omissions procédurales. En première instance, le tribunal traîne ; l'affaire est complexe et l'audience a été renvoyée. Finalement, un jugement défavorable est rendu à la SCI – peut-être à cause d'un vice de forme ou d'un défaut de comparution, difficile à dire. Quoi qu'il en soit, Maître A. conseille à son client de faire appel. L'appel est formé en 2023, la société garde espoir d'obtenir gain de cause en deuxième instance. Mais c'est ici que tout bascule : l'avocat, pourtant dûment constitué, va laisser l'appel périmer sans réagir.
Délai d'appel expiré : la procédure est forclose !! La Cour d'appel avait décidé de fixer l'affaire à bref délai, c'est-à-dire de la traiter en urgence compte tenu de son objet (ce qui est fréquent en copropriété). Cela implique des contraintes procédurales : selon l'article 905-1 du Code de procédure civile, l'appelant doit faire signifier (notifier) sa déclaration d'appel à la partie adverse dans les 10 jours de l'avis de fixation, et déposer ses conclusions dans le mois. Ce sont des délais stricts, à peine de caducité de l'appel. Or, aucun acte de signification ni conclusions n'ont été faits en temps utile par l'avocat. Résultat inéluctable : par arrêt du 6 novembre 2024, la Cour d'appel de Paris constate la caducité de l'appel de la SCI. En termes simples, l'appel est annulé pour cause d'inaction procédurale de l'avocat. La SCI DreamBeyond ne pourra jamais faire examiner le bien-fondé de sa contestation en appel. La messe est dite.
Pour la société, c'est la douche froide. Elle venait de perdre en première instance sur un point de procédure ou faute de preuves suffisantes, mais elle comptait sur l'appel pour faire valoir le droit et les faits en sa faveur. Son avocat avait même semblé confiant. Et voilà que, par pure négligence, cette chance de renverser la vapeur vient de s'envoler définitivement. Quelles en sont les conséquences concrètes ? La résolution de l'AG litigieuse – qui change la destination de ses locaux – reste en vigueur, faute d'annulation judiciaire. La SCI se retrouve piégée : elle a perdu la possibilité de faire annuler une décision pourtant irrégulière. Son patrimoine en souffre : la valeur de ses lots commerciaux diminue car leur usage est restreint par la nouvelle destination (difficile de louer un local commercial si l'immeuble le destine désormais à autre chose). On peut parler d'un préjudice matériel par perte de valeur. De plus, la SCI exploitait peut-être elle-même un commerce ou percevait des loyers de ces locaux ; si la résolution l'empêche de continuer cette exploitation normalement, il y a aussi un préjudice économique (manque à gagner sur l'activité commerciale). Enfin, il y a tous les frais engagés en pure perte dans cette procédure (honoraires d'avocat, frais de justice), ainsi que le préjudice moral pour les gérants de la société, frustrés et démunis face à cette issue sans examen au fond.
Revenons au rôle de l'avocat : Maître A. a clairement commis une faute professionnelle en laissant l'appel sombrer. Il a manqué à son obligation de diligence la plus élémentaire : respecter les délais de procédure. Pire, il n'a apparemment pas non plus informé son client des risques liés à la procédure accélérée. Selon les gérants de la SCI, Maître A. ne les a pas avertis qu'un avis de fixation à bref délai avait été reçu, ni qu'il y avait un impératif de réagir sous 10 jours. Ils n'ont appris l'issue fatale qu'après coup. Ce défaut d'information aggrave la faute de l'avocat : il a privé la SCI de toute possibilité de sauver la procédure en changeant éventuellement d'avocat ou en demandant un sursis. Tout cela constitue un manquement grave aux obligations déontologiques (le Règlement Intérieur National impose une information loyale du client sur le suivi de son dossier).
Engager la responsabilité pour les fautes commises.
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