La décision du Conseil d'État du 19 février 2025 porte sur un contentieux relatif à l'attribution de ressources radioélectriques pour la diffusion de services de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique.

En effet, Télédiffusion De France (TDF) exploite pour le compte de l’État les installations et les fréquences utilisées par les chaines de la TNT un peu comme SNCF Réseau le fait pour le réseau ferré.

Il convient immédiatement de préciser que la décision de l’ARCOM déférée au Conseil ne portait nullement sur la fermeture ou l’interdiction des chaines C8 et NRJ12. Il était donc permis à ces chaines de continuer de diffuser sur d’autres canaux comme les box ou internet.

Selon une étude menée par l'IFOP en janvier 2024, 62 % des Français utilisent la TNT pour regarder la télévision, dont 58 % sur leur téléviseur principal et 4 % uniquement sur des téléviseurs secondaires. Parmi ces utilisateurs, 35 % accèdent également à la télévision via la fibre ou l'ADSL. Ainsi, environ 27 % des Français reçoivent exclusivement la télévision par la TNT.

Au prix d’une réorganisation vraisemblablement conséquente, ces deux chaines pouvaient donc continuer de toucher près de 73 % des Français et il est faux de dire que l’ARCOM ou le Conseil d’État ont fermé NRJ12 et C8.

 

I. Le cadre juridique et factuel de l'affaire :

L'attribution des fréquences hertziennes en France est encadrée par la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dite « loi Léotard ».

L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM / ex-CSA) est chargée de délivrer ces autorisations en tenant compte des critères prévus par la loi, notamment ceux relatifs à la sauvegarde du pluralisme et à l'équité de l'accès aux ressources radioélectriques.

Les sociétés NRJ 12 et NRJ Group d'une part, et C8 d'autre part, ont contesté le rejet de leur candidature et l'attribution des autorisations à d'autres chaînes, notamment CMI TV et OFTV.

NRJ 12, NRJ Group et C8 invoquaient plusieurs moyens devant le Conseil d'État :

  • Irrégularité de la procédure (transparence, présélection des candidats, modification des candidatures durant la négociation) ;
  • Insuffisance de l’étude d’impact préalable ;
  • Défaut de motivation de la décision ;
  • Méconnaissance des critères légaux d’attribution et erreur d’appréciation de l’ARCOM

Elles ont dénoncé une absence de transparence et un manque de motivation des décisions de l'ARCOM.

Le Conseil d'État a examiné la légalité de la procédure et des critères appliqués par l'Autorité.

 

II. L'examen de la légalité de la procédure d'attribution :

Les requérantes ont soutenu que la présélection des candidats par l'ARCOM était irrégulière et qu'elle favorisait certains acteurs au détriment d'autres.

Le Conseil d'État a toutefois jugé que la phase de présélection était conforme aux exigences légales, dès lors qu'elle ne statuait pas définitivement sur le rejet des candidatures non retenues à ce stade et qu'elle était fondée sur des critères objectifs.

Le Conseil a rappellé que l'appréciation comparative des candidatures se fonde sur les critères légaux fixés par les articles 29 et 30-1 de la loi du 30 septembre 1986, notamment :

  • La contribution au pluralisme ;
  • L'intérêt du public ;
  • La diversité des opérateurs ;
  • Les engagements en matière de production audiovisuelle ;
  • La viabilité économique des projets.

Il conclut que l'ARCOM a valablement pu estimer que les candidatures retenues (notamment CMI TV, OFTV, TFX, TMC et W9) répondaient mieux aux exigences légales en matière de pluralisme des courants socio-culturels, diversité d'offre, et intérêt général.

Il a jugé que la sélection des chaînes retenues était justifiée par la volonté d'assurer une offre variée, en privilégiant des projets thématiques et innovants.

 

III. L'appréciation du Conseil d'État sur le fond :

 

  • Concernant l'appréciation négative portée sur la candidature de NRJ 12 :

Le Conseil d’État a validé l'appréciation négative effectuée par l'ARCOM en mettant l’accent sur principalement trois points :

Le Conseil d'État relève que le projet de NRJ 12 présentait une continuité notable avec sa programmation existante, majoritairement composée de fictions audiovisuelles et de divertissements. Ces genres sont déjà fortement représentés sur la TNT gratuite, notamment sur des chaînes concurrentes retenues par l’ARCOM (comme TFX, TMC et W9). Or, l'un des objectifs majeurs imposés par la loi du 30 septembre 1986 consiste précisément à favoriser la diversité et le pluralisme socio-culturel des programmes offerts au public. Selon le Conseil d’État, l'autorité de régulation pouvait ainsi légitimement privilégier des projets introduisant des contenus plus variés ou plus originaux, apportant ainsi une contribution supérieure au pluralisme socio-culturel.

Par ailleurs, le Conseil souligne explicitement que les engagements pris par NRJ 12 en matière de programmes inédits étaient inférieurs à ceux d’autres candidats retenus. De même, la forte proportion d'heures consacrées au téléachat (plus de 1000 heures par an, soit près de 30 % du temps d'antenne, publicité comprise) a été perçue comme insuffisamment attractive au regard des critères d’intérêt général et d’innovation éditoriale.

Enfin, la viabilité économique du projet de NRJ 12 était sujette à caution du fait du contraste entre les prévisions optimistes des recettes publicitaires avancées par la chaîne et le constat d’une tendance constante à la baisse de ses parts d’audience. Cette appréciation négative sur la viabilité économique et commerciale du projet proposé par NRJ 12 a donc également justifié le rejet de sa candidature.

 

  • Concernant l'appréciation négative portée sur la candidature de C8 :

Quant à la candidature de C8, le Conseil valide l’appréciation négative de l’ARCOM, fondée sur principalement trois motifs.

Si le Conseil reconnaît que C8 se distingue favorablement par le volume significatif de programmes inédits, notamment des émissions en direct, il souligne que l’offre globale de la chaîne demeure insuffisamment diversifiée, se limitant essentiellement à des formats répétitifs : magazines, divertissements, fictions. Cette appréciation négative tient particulièrement compte de l’objectif légal de diversification et de pluralisme qui sous-tend les critères d’attribution des fréquences.

Le Conseil valide l'appréciation de l’ARCOM relative aux nombreux manquements passés de C8 à ses obligations conventionnelles et légales, tels que le respect des droits fondamentaux des personnes, la protection des mineurs, ou encore la maîtrise de l’antenne. Malgré les engagements récents de la chaîne (notamment un dispositif renforcé de maîtrise de l’antenne annoncé mais non réellement mis en œuvre à la date de la décision), le Conseil considère que ces mesures demeurent imprécises et insuffisamment concrètes pour garantir un changement effectif de pratiques de la chaîne.

Enfin, le Conseil relève que les résultats financiers passés et les prévisions économiques proposées par C8 présentaient des incertitudes notables. En effet, la chaîne affichait depuis plusieurs années un déficit chronique, incompatible selon l’ARCOM avec une prévision optimiste des recettes publicitaires annoncées par C8 dans son dossier. Ainsi, l'appréciation défavorable portée par l'ARCOM sur les aspects économiques du dossier est considérée comme fondée et proportionnée.

 

IV. La décision de l'ARCOM de ne pas attribuer l'intégralité des fréquences disponibles :

Un autre point d'importance réside dans la décision de l'ARCOM de ne pas attribuer l'intégralité des fréquences disponibles, notamment après le retrait de certaines chaînes payantes. Le Conseil d'État a jugé cette approche justifiée par la nécessité d'évaluer les conséquences économiques avant de procéder à une redistribution des fréquences.

En effet, lors du lancement de l'appel à candidatures par l’ARCOM, le 28 février 2024, quinze fréquences étaient initialement prévues, incluant des chaînes gratuites et payantes. Cette procédure visait spécifiquement à renouveler les autorisations d’usage arrivant à échéance en 2025 pour plusieurs chaînes gratuites et payantes.

Cependant, un événement inattendu est intervenu durant la procédure : le 5 décembre 2024, soit quelques jours seulement avant la décision finale de l’ARCOM, le groupe Canal + (propriétaire de C8) a retiré ses quatre chaînes payantes, initialement présélectionnées. Ce retrait soudain représentait une modification substantielle et imprévue du cadre initial de la procédure, obligeant l’ARCOM à réévaluer en urgence la stratégie d’attribution des fréquences.

L’ARCOM doit désormais évaluer l’opportunité d’un nouvel appel à candidatures pour les 4 fréquences désormais vacantes.

L’on peine à imaginer que cela puisse permettre à C8 et NRJ 12 de renaitre de leurs cendres.