Le divorce par consentement mutuel, dit « divorce à l’amiable sans juge », a profondément changé la manière de divorcer en France.
Depuis la loi du 18 novembre 2016, les époux qui s’entendent sur tout peuvent divorcer sans passer devant un juge : il leur suffit de signer une convention, contresignée par leurs avocats, puis déposée chez un notaire.
Une avancée incontestable en matière de simplification.
Mais derrière cette apparente facilité se cache une exigence capitale : la présence et l’indépendance de deux avocats distincts, chacun garant de la liberté du consentement de son client.
Car un divorce sans juge n’est pas un divorce sans règles.
Et lorsque ces règles ne sont pas respectées, le divorce peut être annulé, les avocats sanctionnés, et les conséquences peuvent être dramatiques pour les époux.
1. Pourquoi la loi impose deux avocats distincts
L’article 229-1 du Code civil fixe le principe selon lequel lorsque les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils constatent, assistés chacun par un avocat, leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire.
Le législateur a voulu que chaque époux dispose de son propre avocat.
Ce n’est pas une formalité : c’est la condition même de la validité de la convention.
L’avocat n’est pas un simple témoin, il est le garant du consentement libre et éclairé.
Pourquoi deux avocats ?
Parce que leurs missions sont différentes et parfois contradictoires : chacun défend les intérêts d’un seul client.
Même en cas d’accord total, il faut s’assurer que cet accord est équilibré et librement consenti.
La double assistance permet de remplacer le contrôle du juge.
Le juge ne vérifie plus la convention, c’est désormais le rôle des avocats. Ils en portent donc la responsabilité.
2. Un cadre déontologique strict
Les textes applicables sont très clairs.
Le Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat, à l’article 7.2, prévoit que la convention de divorce par consentement mutuel est signée, en présence physique et simultanément, par les parties et les avocats rédacteurs désignés à la convention, sans substitution ni délégation possible.
Et la loi du 31 décembre 1971, à l’article 66-3-1, ajoute :
« En contresignant un acte sous seing privé, l’avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte. »
Autrement dit :
- L’avocat doit rencontrer personnellement son client ;
 - Il doit lui expliquer chaque effet de la convention ;
 - Il doit être présent le jour de la signature aux côtés de son client.
 
Aucune délégation, aucune procuration, aucune signature à distance n’est admise.
Le divorce par acte d’avocat n’est pas une simple formalité : c’est un acte juridique solennel engageant la responsabilité des conseils.
3. Les dérives observées : quand la simplification tourne à la faute
- Le « double contact » initial : un risque de conflit d’intérêts
 
Parfois, un seul avocat reçoit les deux époux pour « expliquer la procédure », avant d’en orienter un vers un confrère « de confiance » qui signera la convention.
Cette pratique est prohibée.
L’article 4.1 du RIN interdit à un avocat de conseiller deux parties dans une même affaire lorsqu’il existe entre elles un conflit d’intérêts ou un risque sérieux de conflit.
Or, dès qu’un avocat a reçu des informations personnelles des deux conjoints, il ne peut plus représenter l’un d’eux : il détient des éléments confidentiels sur l’autre.
Son indépendance est altérée et le risque de partialité est évident.
Le confrère « orienté » qui signe sans rencontrer son client commet lui aussi une faute : il n’a pas rempli son devoir de conseil individuel et ne peut prétendre avoir « éclairé pleinement » son client au sens de l’article 66-3-1 de la loi de 1971.
Cette pratique, que l’on retrouve parfois sous couvert de « divorce en ligne », expose les deux avocats à des sanctions civiles et disciplinai
- L’ « avocat de signature » : une erreur lourde de conséquences
 
Certains dispositifs numériques ou cabinets low-cost proposent des divorces « express », où un avocat rédige l’intégralité de la convention pour les deux époux, puis un second se limite à la signer « au nom » du conjoint « adverse ».
Juridiquement, cela revient à contourner la loi.
Le second avocat ne remplit pas sa mission et le consentement du client n’est pas véritablement éclairé.
Les tribunaux l’ont rappelé un avocat absent lors de la signature, ou qui n’a jamais rencontré son client, commet une faute professionnelle et le divorce obtenu dans ces conditions est fragile : il peut être annulé pour vice du consentement.
4. Les décisions de justice récentes : un signal fort
- Tribunal judiciaire de Versailles, 30 avril 2024 (RG 20/00907)
 
Une épouse avait signé la convention préparée par le conseil de son mari.
Son avocate, qu’elle n’avait jamais rencontrée, n’était pas présente lors de la signature.
Le tribunal a annulé le divorce, considérant que la convention avait été signée hors la présence de l’avocat et sans réitération valable du consentement.
Le tribunal rappelle : « La convention doit être signée ensemble, en présence physique et simultanément par les époux et leurs avocats. »
Le divorce est annulé, l’avocate déclarée fautive, et condamnée à indemniser sa cliente.
- Tribunal judiciaire de Dijon, 22 mai 2025 (RG 22/00601)
 
Dans cette affaire, une avocate absente le jour de la signature et n’ayant échangé avec sa cliente que par courriels via une plateforme a été reconnue en faute professionnelle.
Le tribunal souligne :
« L’avocat doit assurer un conseil individualisé, et sa présence à la signature est obligatoire. »
La faute est reconnue même sans préjudice financier démontré.
L’absence à la signature constitue en soi une violation du devoir de conseil.
5. Les conséquences juridiques d’un divorce irrégulier
Pour les époux
- Le divorce peut être annulé : le mariage redevient valable.
 - Tout remariage postérieur peut être invalidé.
 - Les liquidations de biens et pensions doivent être refaites.
 - Des effets fiscaux ou successoraux inattendus peuvent apparaître.
 
Pour les avocats
- Responsabilité civile professionnelle (article 1231-1 du Code civil).
 - Sanctions disciplinaires pour manquement à la loyauté, à l’indépendance et au devoir de conseil (articles 4, 6.2 et 7.2 RIN).
 - Atteinte à la réputation et aux relations de confiance avec les clients.
 
6. Les bonnes pratiques à retenir
Pour les époux
- Choisir chacun son avocat.
 - Exiger un entretien personnel avant toute signature.
 - Vérifier la présence effective des deux avocats à la signature.
 - Se méfier des divorces “en ligne” sans contact humain réel.
 
Pour les avocats
- Ne jamais recevoir les deux époux ensemble, même « pour information ».
 - Orienter dès le départ chaque partie vers un conseil distinct.
 - Refuser toute intervention de pure signature.
 - Reporter la signature si un avocat est empêché : aucune substitution n’est possible.
 - Documenter le conseil délivré (mails, notes, rendez-vous, comptes rendus).
 
7. En conclusion : la confiance du législateur, la rigueur de la profession
Le divorce sans juge repose sur une confiance majeure : celle du législateur envers les avocats.
Mais cette confiance appelle une exigence absolue d’indépendance, de loyauté et de vigilance.
Un seul avocat pour deux, un entretien commun ou un confrère signataire sans conseil réel, c’est une faute déontologique et un risque de nullité du divorce.
La simplification voulue par la loi ne doit pas devenir une déresponsabilisation.
Le divorce à l’amiable n’est pas une formalité : c’est un acte de droit engageant, à la fois pour les époux et pour leurs conseils.
À retenir
- Deux époux = deux avocats distincts.
 - Deux signatures = deux présences simultanées.
 - Deux conseils = deux consentements réellement éclairés.
 
La rapidité ne doit jamais prendre le pas sur la sécurité juridique.
Un divorce bien accompagné est un divorce solide.
Et dans cette procédure sans juge, la rigueur des avocats est la seule véritable garantie de paix.


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