Le 8 décembre 2016, la CEDH déclare à l’unanimité rejeter la demande d’Yvan Colonna portée devant la juridiction le 11 janvier 2013 (requête 4213/13), au motif que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. Ce dernier dénonçait une atteinte à sa présomption d’innocence du fait des propos tenus par différentes autorités publiques le désignant comme étant l’assassin du préfet de la région Corse, Claude Erignac.
RETOUR SUR LES FAITS :
Le 6 février 1998, Claude Erignac, préfet de la région Corse a été abattu par balles dans une rue d’Ajaccio. Plusieurs personnes ont été interpellées et certaines parmi elles avaient désigné M. Colonna comme étant l’auteur du crime. L’information avait été largement relayée par la presse. Autant la commission d’enquête du Sénat que le procureur de la République près du tribunal de grande instance de Paris l’avaient présenté comme étant l’assassin du préfet Erignac.
Le 4 juillet 2003, M. Colonna fut interpellé et Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, s’adressait à la presse en affirmant : « Yvan Colonna, l’assassin du préfet Erignac ». M. Colonna fut mis en examen par la suite et placé en détention provisoire.
Le 6 février et le 4 avril 2007, M. Colonna assigna M. Sarkozy en référé et au fond sur le fondement de l’article 9-1 du code civil, qui protège la présomption d’innocence. Ce dernier devenu Président de la République, la cour d’appel de Paris ordonna le 18 avril 2008 le sursis à statuer jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant la cessation des fonctions de président de la République de M. Sarkozy. Le tribunal de grande instance de Paris, saisi de la demande de réparation au fond, décida également de surseoir à statuer pour les mêmes motifs.
Le 13 décembre 2007, M. Colonna fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises de Paris pour l’assassinat du préfet Erignac, commis en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs. Mme Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, s’exprima dans un communiqué de presse sur la « culpabilité d’Yvan Colonna ». Enfin, le 20 juin 2011, après moult contestations des décisions rendues, M. Colonna fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d’assises de Paris.
LA DECISION DE LA CEDH :
La Cour rappelle dans sa décision le principe d’épuisement des voies de recours internes, préalable obligatoire de sa saisine. En effet, l'article 35 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme dispose que : « La Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes ».
Cela signifie qu'on ne peut poursuivre un Etat devant la Cour européenne seulement si on s’est donné la possibilité de remédier à la violation invoquée au niveau national.
La Cour relève en effet qu’il existe en droit français des recours spécifiques dont M. Colonna pouvait faire usage. L’article 9-1 du code civil en particulier assure la protection de la présomption d’innocence. Elle souligne que M. Colonna disposait également « d’une action civile fondée sur une atteinte à la présomption d’innocence commise par l’un des moyens visés par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, voire même une action en diffamation au moyen de cette même loi ».
Alors qu’il disposait de moyens internes, M. Colonna n’a saisi les juridictions internes qu’une seule fois, en 2007, à l’encontre de M. Sarkozy. La Cour note que ni le juge des référés ni le juge du fond n’ont rejeté la demande de l’intéressé. Ils ont uniquement sursis à statuer jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant la cessation des fonctions du Président de la République en cause. Toutefois, M. Colonna n’a pas repris l’instance à la fin du délai. Tout au contraire, « il n’introduit sa requête que plus de treize ans après, devant la Cour ». Celle-ci décide alors à bon droit qu’il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-respect du délai de six mois et non-épuisement des voies de recours internes.
LE PRINCIPE D’EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES :
L'épuisement des voies de recours internes comporte deux aspects :
- l'épuisement des griefs : c'est à dire que le requérant doit avoir invoqué « en substance » devant les juridictions nationales le grief qu'il fait valoir devant la CEDH.
- l'épuisement des instances : la charge de la preuve de l'épuisement des voies de recours repose sur le requérant. L’Etat défendeur doit quant à lui prouver l'existence au niveau interne d'un recours effectif qui n'aurait pas été exercé.
Toutefois, cette règle « ne s'accommode pas d'une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu » (Akdivar c/ Turquie, 16 septembre 1996, para. 69)
Ainsi, le requérant est dispensé d'exercer un recours interne aléatoire en cas de jurisprudence bien établie ou d'absence de jurisprudence favorable. Il a été jugé que l'absence de pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation ne faisait pas obstacle à un recours devant la CEDH dans ce cas.
La Cour apprécie l'utilité des recours et estime en fonction du contexte juridique et politique que des circonstances particulières justifie de ne pas épuiser les voies de recours internes.
Je reste à votre disposition pour toute question sur ce sujet.
Me Yannick LUCE
Avocate au Barreau de Paris
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